Le Hizbullah, mouvement chiite libanais, a conservé une attitude ambivalente au sujet des manifestations dans la Syrie voisine, et cela s’explique par ses liens avec le régime syrien, écrit Lucy Fielder depuis Beyrouth.
Le groupe politique et militaire chiite libanais du Hizbullah serait profondément affecté si son allié stratégique syrien sombrait dans le chaos, estiment les observateurs. Mais le groupe a une forte base de soutien local et dispose d’autres alliés et ressources. Par conséquent, selon l’avis de beaucoup, il survivrait.
Le Liban a observé avec appréhension la relance de la vague de manifestations contre le régime en Syrie au cours du week-end. Les histoires des deux pays voisins sont entrelacées, et la Syrie a dominé le Liban politiquement et militairement depuis la fin de la dernière guerre civile dans le pays au début des années 90, et ce jusqu’en 2005.
L’assassinat de Rafik al-Hariri, alors premier ministre cette même année, a coupé le pays en deux camps opposés, l’un soutenu par l’Occident qui a jugé la Syrie responsable et l’autre mené par le Hizbullah, un ferme allié de Damas.
Depuis mi-mars, les différends en Syrie ont orienté les projecteurs sur les liens qui lient étroitement le Hizbullah au régime du président syrien Bashar Al-Assad. Les observateurs portant leur attention sur le groupe pensent que la majeure partie de son arsenal provient de son principal allié qui est l’Iran, et que la Syrie agit souvent en tant qu’intermédiaire pour les acheminements d’armes.
Les ressources financières viennent principalement de Téhéran, mais aussi du réseau des associations du Hizbollah, des dons religieux et provenance de riches donateurs dont un bon nombre sont des Libanais expatriés. La Syrie fournit au groupe un précieux support politique et stratégique.
« Le Hizbullah serait naturellement affecté si la Syrie était entraînée dans une guerre civile, » a estimé Walid Charara, auteur d’un livre sur le sécrétaire général du groupe, Hassan Nasrallah, et lui-même un analyste au Centre Consultatif pour les Études et la Documentation, un groupe de réflexion lié au Hizbullah. « Mais je pense que les Libanais ont généralement peur de ce qui se produit au niveau populaire et dans la caste dirigeante. Si la Syrie sombre dans le chaos, le Liban sera le premier pays à s’en trouver affecté. »
Le Hizbullah est persuadé que son allié fait face à des tentatives de déstabilisation venues de l’extérieur et que les pays occidentaux et arabes pro-occidentaux exploitent la vague de protestation populaire pour faire pression sur la Syrie afin qu’elle se plie à des exigences de longue date, dit Charara.
Le gouvernement syrien dit faire face « à des bandes armées » qui ont tué au moins 120 membres des forces de sécurité du pays. Jusqu’ici, le Hizbullah n’a pas défini de ligne officielle à propos de la situation en Syrie, bien que l’on s’attende à une évolution car au moment où Al-Ahram Weekly allait être mis sous presse, Nasrallah devait aborder la question dans un discours très attendu.
Après qu’il ait soutenu les révolutions en Egypte et en Tunisie, bien qu’alors à des stades très avancés, les observateurs expliquent que le groupe s’est retrouvé face à une tâche ardue depuis que les protestations ont touché la Syrie.
Al-Manar, la chaîne de télévision du groupe, a évité de contester la version du gouvernement syrien sur les événements, se concentrant au contraire sur les enterrements des membres des forces de sécurité du pays qui auraient été tués par des insurgés, sur les manifestations pro-régime et donnant la parole aux gens dans des secteurs peu affectés.
Une déclaration du Hizbullah critique les sanctions des Etats-Unis contre la Syrie et les présentent comme une tentative de pousser Damas à abandonner son soutien aux groupes appartenant à la résistance contre Israël.
Mais la pression exercée sur le groupe pour qu’il explique ses contradictions, s’est développée. Nasrallah a fait un discours soutenant les manifestants pro-démocratie au Bahrain en mars - ces manifestants appartenant la plupart à la communauté chiite qui est privée de droits civiques — et s’opposant au régime sunnite en place.
Ceci a suscité la colère de plusieurs États du Golfe, entraînant des accusations de contradiction ou de parti-pris, car le soulèvement au Bahrain a été présenté dans le Golfe comme un combat sectaire.
Présentant ses observations sur la position du groupe, Charara a estimé que le Hizbullah était en premier lieu un groupe de résistance et pour cette raison, il a eu besoin d’un éventail aussi large que possible d’alliés. « C’est une alliance stratégique avec le seul état arabe ayant des fdrontières avec le Liban. Le Hizbullah ne peut pas interférer dans les affaires intérieures de la Syrie, et il doit s’en tenir fermement à ses principes contre ce qu’il voit comme tentatives de le déstabiliser. »
Selon Amal Saad-Ghorayeb, un expert du Hizbullah et chercheur auprès de l’institut Doha basé à Beyrouth, les alliés et les partisans du Hizbullah au Liban justifient le soutien au régime syrien par la priorité accordée à la capacité militaire de la Syrie à combattre Israël.
« Personne n’est aveugle concernant la corruption politique en Syrie, sur l’utilisage de la violence ou sur le néolibéralisme économique croissant, » dit-elle. « Mais [cette priorité] pousse à minimiser la répression exercée par le régime et à critiquer les ingérences étrangères et la déformation [des faits] par les médias. »
Washington a affiché depuis plusieurs années ses ambitions de sortir la Syrie de l’étreinte de l’Iran et de lui faire abandonner son soutien au Hizbullah. Ibrahim Al-Amine du quotidien libanais Al-Akhbar a rédigé un article le week-end passé expliquant que les pays occidentaux et arabes pro-occidentaux faisaient secrètement pression sur Al-Assad pour qu’il signe avec Israël un accord de paix qui garantirait le retrait de ce dernier des hauteurs sous occupation du Golan syrien, comme prélude à une rupture des liens avec le Hizbullah.
Al-Amine et le journal qu’il dirige sont considérés comme partisans du Hizbullah, au moins dans son combat contre Israël. Mais depuis que les troubles ont commencé en Syrie, le journal a étonné ses critiques en rendant compte des manifestations et en publiant des avis variés, dont des articles attaquant la répression exercée par le régime à l’encontre des protestataires. Le résultat a été que quelques éditions n’ont pas été diffusées en Syrie.
Al-Assad serait également tenu de réduire de façon importante ses liens avec l’Iran et le Hamas dans le cadre d’un acord de paix, écrit Al-Amine, comme de décrèter des réformes à l’intérieur du pays et de renvoyer certains membres de la clique au pouvoir. En échange, il recevrait une aide financière et une aide au développement. « Inutile de dire qu’Al-Assad a rejeté ces propositions, » poursuit Al-Amine. « Il a répondu aux délégués des pays arabes que l’Iran et les forces de la résistance restaient ses alliés et que ceci avait été prouvé par l’expérience. »
Selon Saad-Ghorayeb [de l’institut Doha] si Al-Assad devait tomber, ce serait un coup sérieux pour le Hizbullah. « Celui qui le remplacerait ne soutiendrait très probablement pas les mouvements de résistance de la même façon, » dit-elle.
« Nous ne parlons pas simplement des lignes d’approvisionnements. Cela affaiblirait la stratégie de dissuasion et lierait bien davantage les mains du Hizbullah dans n’importe quelle guerre à venir avec Israël. Cela pourrait même encourager Israël à vouloir frapper le Hizbullah. »
Fidaa Itani - une journaliste appartenant à la gauche libanaise, bien informée sur Al-Akhbar et le Hizbullah et une critique féroce de Damas - soutient l’idée que le groupe a surtout tiré sa force et sa légitimité de sa base électorale libanaise majoritairement chiite, laquelle est concentrée au sud du pays et dans les quartiers du sud de Beyrouth.
Le groupe s’est également attaché à renforcer sa sécurité en évitant une totale dépendance vis à vis de la Syrie ou de n’importe quelle autre support. « [Le Hizbullah] a oeuvré depuis le début pour s’assurer que son soutien financier et politique ainsi que ses lignes d’approvisionnement n’aient pas une unique origine, » dit Itani.
« Si le régime syrien tombe, le Hizbullah ne s’effondrera pas. »