L’affaire Jouyet-Fillon secoue durement la sphère politico-médiatique. Elle en révèle les défauts et les tares. Elle est le symptôme de l’état de décomposition atteint par cette dite sphère. Car, n’en doutons pas, ce ne sont pas seulement Jean-Pierre Jouyet et François Fillon qui sont en cause. Les effets de cette crise sont d’ores et déjà bien plus profonds. Quels sont donc les faits connus à l’heure actuelle ?
Les faits
Il est établi que Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Élysée, aurait déjeuné avec François Fillon, ancien Premier ministre. Ce que se sont dits ces deux personnages relève de l’hypothétique, mais ont peut penser que les différentes affaires secouant l’UMP (Bygmalion entre autres) furent évoquées. Rien de scandaleux à cela. Il est aussi établi a rencontré deux journalistes du Monde et, dans une déclaration enregistrée avec son accord à proféré des accusations graves sur François Fillon, affirmant que ce dernier aurait fait pression sur lui pour que des poursuites soient lancées contre Nicolas Sarkozy. Notons ici que, ce qui pose problème dans les déclarations de Jouyet n’est pas que Fillon ait mentionné Sarkozy, ni même qu’il ait déclaré que Nicolas Sarkozy pourrait être poursuivi dans le cadre de l’affaire Bygmalion. En l’état de ce qui nous en est connu, cette affaire est suffisamment grave pour que l’on puisse considérer l’audition comme témoin assisté de l’ex-Président, voire son inculpation. Mais, ce qui pose un véritable problème est l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques, ce que sous-entend Jean-Pierre Jouyet. Quand on fait une affirmation de cette gravité, on en apporte les preuves. Sinon, nous sommes dans une situation « j’affirme / il affirme » dans laquelle nul ne peut, en raison, trancher. Notons aussi que les deux journalistes, qui recueillent ces confidences, et qui les ont publiées, n’ont pas réellement cherché ces preuves et ne présentent pas ces déclarations pour ce qu’elles sont, soit des déclarations hautement hypothétiques. Ils ont cherché le scandale, et bien entendu ils l’ont obtenu.
Dans le comportement des uns et des autres, on peut lire la décomposition profonde de la sphère politique, mais aussi de la sphère médiatique et journalistique. Ces deux sphères, dont les relations incestueuses ne sont plus à démontrer ont aujourd’hui sombré dans le ragot et la manipulation de bas étage.
Irresponsabilités
Il faut revenir sur l’irresponsabilité des différents acteurs de ce « drame » qui relève plutôt de la pantalonnade. Irresponsabilité donc de M. Jean-Pierre Jouyet, ci-devant secrétaire général de l’Élysée, poste important s’il en est, d’avoir tenu de tels propos. Car, de deux choses l’une : soit il tient ces propos sans y prendre garde, alors qu’il est en entretien avec deux journalistes, et c’est tout simplement irresponsable à un point tel que l’on se demande pourquoi on a laissé ce monsieur quitter le jardin d’enfants ; soit il tient ces propos en pleine conscience de leurs conséquences, dans le but de nuire à François Fillon, et il ne peut ignorer que, tel un boomerang, ils lui reviendront dans la figure. Il est possible que M. Jouyet ait décidé de « voter Sarkozy » dans une manipulation très claire contre François Fillon. Mais, il le fait avec un amateurisme et une imbécillité consternants. Là encore, c’est irresponsable, et tout juste digne du jardin d’enfants.
Irresponsabilité, ensuite, des deux journalistes d’une « grand quotidien » (i.e. Le Monde) qui reprennent ces propos, extrêmement graves, et qui les publient sans aucune précaution et sans indiquer qu’en l’état ils n’ont aucune garantie sur leur sincérité. Le goût du scandale l’a emporté sur l’information. C’est extrêmement grave et parfaitement irresponsable quand on connaît l’influence et le poids de ce journal.
Irresponsabilité, enfin, au plus haut niveau, c’est à dire à celui du Président de la République. Irresponsabilité dans le choix de l’homme (Jouyet) mais aussi dans la réaction devant ce scandale. Du moment que Jouyet doit admettre qu’il a tenu les propos rapportés, et que les journalistes en ont la preuve, il aurait dû être renvoyé séance tenante par François Hollande. A moins que ce dernier ne veuille accréditer l’idée qu’il ait trempé dans cette possible manipulation…
Cela fait beaucoup ; cela fait trop.
Cadavres en décomposition
Cette affaire, car elle est devenue désormais une véritable « affaire d’État » signe le fait que, de toute part, nous sommes entourés de cadavres politiques.
Il y a un cadavre évident à l’Élysée, et il s’appelle François Hollande. Sous quelque angle que l’on regarde cette affaire, elle témoigne du fait que la politique présidentielle est morte. Que penser en effet d’un Président qui choisit comme secrétaire général un homme qui fut ministre dans un gouvernement opposé et qui se montre d’une telle irresponsabilité, si c’est de cela qu’il s’agit ? Que penser d’un Président qui en serait à chercher de choisir ses adversaires et, considérant Nicolas Sarkozy comme plus vulnérable que François Fillon déciderait de faire à ce dernier un croche-pied mortel ? La politique conduite par le Président est morte, et chacun d’entre nous le sait. Le mélange d’austérité à demi avouée et de fausse compassion cachant mal un véritable clientélisme entraîne la France à la catastrophe. L’abandon des intérêts de notre pays face aux demandes des États-Unis relayées par l’Union européenne, que ce soit sur les questions commerciales comme le Traité transatlantique ou sur l’Ukraine et nos relations avec la Russie, sont venues de surcroît manifester que cette mort d’une politique allait bien au-delà de la politique économique.
Mais, il y a un cadavre similaire à l’UMP. Que François Fillon ait tenu ou non les propos qui lui sont reprochés, et pour l’instant rien ne prouve l’une ou l’autre de ces hypothèses, ce qui est dramatique c’est qu’il soit crédible qu’il les ait tenus. Les différences politiques entre Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon sont tellement minces que l’on vise l’homme et non le projet. Et tel est la vérité : il n’y a pas de projet à l’UMP qui propose une politique différente de celle menée par François Hollande. Bien sûr, si l’un de ces trois personnages arrivait au pouvoir nous pourrions nous attendre à plus d’austérité, et plus de soumission à l’Union Européenne. Mais ceci n’est qu’affaire de degrés et non de principes. On nous propose de choisir sur des traits de caractère, le calme d’un Juppé, l’énervement d’un Sarkozy ou la froideur austéritaire d’un Fillon. Mais, en réalité, c’est pour continuer la politique actuelle.
En fait, c’est le principe de l’alternance qui est mort dans notre pays. Et la trajectoire personnelle de Jean-Pierre Jouyet en est la plus magnifique preuve. Il a pu passer du gouvernement de François Fillon, alors Premier Ministre de Nicolas Sarkozy, au secrétariat général de l’Elysée sans problème, ni pour lui ni pour les autres. Quelle meilleure illustration des propos de Marine le Pen sur ce qu’elle appelle « l’UMPS »… Comment alors s’étonner qu’elle monte dans les sondages alors que c’est bien la même politique qui est proposée tant par le P « S » que par l’UMP ? L’incapacité du Front de Gauche à faire vivre une alternative véritable et construite, incapacité qui provient de ses contradictions fondamentales au sujet de la souveraineté et de l’Union Européenne et de l’Euro, fait bien partie du même problème. Et l’on peut y ajouter les « affligés » du Parti « socialiste », les frondeurs en peau de lapin, ces politiciens à la petite semaine qui tonnent le dimanche et se couchent dès le lundi matin.
Un désastre
D’anecdotique, l’affaire Jouyet-Fillon pourrait bien s’avérer désastreuse. Elle révèle crûment l’état de décomposition des grandes forces qui étaient supposées structurer la politique française. Mais, elle révèle cette situation alors que des forces de remplacement ne sont pas encore disponibles. Le sentiment de vide politique qu’elle produit pourrait avoir, dans les semaines ou les mois qui viennent, les conséquences les plus graves pour la paix civile.