Il fut un temps où la plupart des Français ne pouvaient pas placer le Qatar sur une carte. Maintenant, ce petit État du Golfe – qui a des liens marginaux avec la culture française – est membre de l’Organisation internationale de la francophonie. Certains ont sourcillé à la nouvelle identité francophone du Qatar, puisque celui-ci vient d’expulser le directeur d’un lycée laïc français hors de ses frontières.
Au début de 2010, un prince du Qatar décide de rénover un hôtel parisien du 17ème siècle qu’il venait d’acheter. Cependant, après quelques mois de travaux, une organisation qui protège le patrimoine français traîne le Qatar devant les tribunaux pour arrêter ce projet.
Il s’avère que le prince du Qatar voulait faire des changements radicaux dans ce bâtiment historique, comme la construction d’un ascenseur allant du parking jusque dans les chambres. Le plan de rénovation avait également pour but de supprimer un appareil de chauffage du 18ème siècle pour le remplacer par des salles de bains modernes.
La rénovation n’a pas été complètement arrêtée, mais le ministère de la Culture, un groupe de préservation du patrimoine ainsi que les tribunaux ont conclu un accord avec le prince afin de tempérer ses plans de rénovation ambitieux. Pourtant, à la fin, les directives officielles françaises ont imposé que le projet du prince soit satisfait.
Ce n’est qu’un petit exemple de ce qui se passe aujourd’hui entre le Qatar et la mission éducative française qui a été envoyée dans le petit État du Golfe pour gérer le nouveau lycée français à Doha. Les tensions entre les administrateurs français et leurs homologues qataris sont montées lorsque les autorités locales ont fait pression pour des changements dans le programme et ses principes, qui ont été mis en place depuis 1902.
Cette école – le lycée Voltaire – a été inaugurée en 2008 par le président d’alors, Nicolas Sarkozy, sous les auspices de la Mission laïque française (MLF), une organisation à but non-lucratif qui établit et gère des écoles françaises à l’étranger en coordination avec le ministère de l’Éducation.
À l’époque, les Français ont accepté – avec la bénédiction de Sarkozy – les conditions du Qatar que l’école soit gérée par des administrateurs des deux pays, avec un Qatari nommé président du conseil d’administration de l’école. Cependant, après quelques années – lorsque le corps étudiant a atteint 700 élèves – les Qataris ont commencé à s’immiscer dans les programmes scolaires, d’une façon qui s’oppose à l’identité et à la mission du MLF.
En 2011, par exemple, les troubles ont commencé avec l’enlèvement d’un livre d’histoire utilisé dans certaines classes « en raison de la contenance d’un chapitre sur le christianisme au Moyen Age », selon des responsables qataris.
Plus récemment, le manuel de langue arabe utilisé dans toutes les classes a été retiré et remplacé par un livre qui enseigne l’arabe et l’Islam. Lorsque les enseignants et les autorités scolaires françaises se sont plaints au ministère de l’Éducation, celui-ci a décidé de relever le directeur français, Frank Chouinard, de ses fonctions.
L’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur a confirmé que le MLF va quitter l’émirat à la fin du mois prochain. Le Figaro a ajouté : « Les complications financières entre les parties qatarie et française ont conduit le Qatar à mettre fin à l’autorité financière et administrative du MLF il y a un mois. »
Pour sa part, l’ambassade française au Qatar a publié un communiqué publié mardi, en déclarant : « Le directeur du lycée Voltaire a quitté son poste de directeur après un différend avec la partie qatarie de l’administration et quittera bientôt l’émirat. »
La déclaration poursuit : « L’école va continuer ses opérations à Doha, avec le soutien de la France, en coopération avec les responsables qataris. »
L’affaire du lycée Voltaire arrive au moment d’une escalade de la controverse en France sur l’ensemble des relations franco-qataries, surtout après que l’émirat riche en pétrole a été intronisé dans l’organisation culturelle internationale de la France, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
S’acheter une identité francophone
« Il y a quarante ans, le Qatar n’était rien de plus qu’un tas de sable avec un peu de pétrole aux yeux des Français » a rappelé un diplomate dans une interview avec le magazine Le Point. « Il y a cinq ans, la plupart des Français ne savaient même pas où se trouvait le Qatar sur une carte », dit un autre.
Beaucoup de gens en France – qui ne bénéficient pas financièrement des largesses du Qatar – se rendent compte que l’invasion de leur pays par cet émirat riche en pétrole aura inévitablement une sorte d’impact négatif sur leur république.
Le Qatar est aujourd’hui l’un des plus importants investisseurs en France, et achète des parts importantes dans une grande variété de secteurs, y compris les médias, le sport, la communication, l’énergie, et les marques de luxe. Il s’est aussi lui-même acheté un siège à l’OIF.
Le Qatar est devenu un pays francophone en un clin d’œil. Sans remplir aucune des conditions pour faire partie de l’organisation, l’OIF s’est volontiers contrainte à la demande de l’émir du Qatar et a officiellement intronisé le Qatar comme « État associé » le mois dernier.
Cela a provoqué un tollé au sein de l’OIF et des médias français, en particulier à la lumière du fait que le Qatar a été immédiatement accepté comme État associé, sans avoir à passer par la « case observateur » par laquelle la plupart des nouvelles recrues doivent passer.
Certaines sources d’information ont signalé que le Qatar « a créé un groupe de pression au sein de l’OIF – en particulier dans certains pays africains – afin d’appuyer sa demande d’adhésion ». Pendant ce temps, des responsables frustrés de l’OIF soulignent que le Qatar n’était au départ même pas un pays francophone et ne méritait donc pas de devenir directement un État associé.
Mais un porte-parole du ministère français des Affaires étrangères pria de différer. « Il y a des raisons fondamentales pour inclure le Qatar dans l’OIF », dit le porte-parole, comme celle de « l’inclusion de la langue française par Doha dans son programme scolaire officiel au début de cette année, en plus du lancement d’une station de radio de langue française ».
Certains experts français ont lié les deux controverses ensemble, avec un commentateur qui résume toute l’affaire de la façon suivante : « Le Qatar expulse une mission d’enseignement française laïque du pays et se réserve un siège à l’OIF avec le soutien de certains pays africains, où le Qatar crée des écoles religieuses qui prennent la place des écoles françaises. »