Dans un interview enregistré, la professeur de Yiddish de l’université de Harvard, Ruth Wisse a condamné la tentative en cours des militants internationaux de voguer vers Gaza en disant que la flottille était "une flottille tueuse-de-Juifs". "Le but de la flottille est de discréditer l’effort d’Israël pour se protéger et aussi de permettre au Hamas d’accumuler des armes pour tuer des civils israéliens." Madame Wisse invente donc une nouvelle sorte de ’solipsisme juif’ en disant :"Il faut lui donner le nom qu’elle mérite : flottille tueuse-de-Juifs. Si on lui donne son vrai nom, alors on saura ce qu’il en est vraiment."
Voilà donc la logique Yiddish : Donner d’abord une étiquette et ensuite expliquer la réalité d’après elle. J’aimerais toutefois faire remarquer à madame Wisse que d’après ce que l’on observe au Moyen Orient, ce ne sont pas les militants pacifiques de la Flottille ni les membres du Hamas démocratiquement élus qui tuent. C’est en fait l’état juif qui se livre à des assassinats de masse et cela au nom du peuple juif.
Le Sauveur du monde
Mais Israël ne défend pas seulement les intérêts d’Israël selon le professeur de Yiddish, il joue un rôle beaucoup plus important ; Israël est "la ligne de front du combat pour ce qu’on avait l’habitude d’appeler la civilisation occidentale, le monde libre démocratique."
C’est réconfortant de rencontrer un professeur de Yiddish qui manifeste une telle ’nostalgie’ de la civilisation occidentale mais il faut quand même dire que Madame Wisse n’a pas l’air de bien connaître la différence philosophique capitale qui existe entre Athènes et Jérusalem : tandis que Jérusalem évoque le tribalisme, le fait d’être choisi, élu et la brutalité, Athènes représente la naissance de l’Occident à savoir l’universalisme, la raison, la chrétienté et la pensée morale (quelque chose qu’on ne retrouve malheureusement dans l’odieux comportement du gouvernement grec cette semaine).
Madame Wisse ment ou elle est mal informée ou elle s’illusionne -Israël n’a rien à voir avec la pensée et les valeurs occidentales ; en fait Israël et l’idéologie juive sont en complète contradiction avec la pensée occidentale. Au mieux, on peut considérer qu’Israël s’emploie parfois à imiter certains aspects de la pensée et du système de valeurs occidentaux.
Qui plus est, Israël n’est pas une ’civilisation’ et il est aussi très loin d’être une société civilisée exemplaire. Israël se définit comme un état juif -et donc les Juifs de Blooklin y ont des droits que les Palestiniens de Jaffa, Lod, St Jean d’Acre et Ramle n’ont pas. Pour qu’Israël soit considéré comme une civilisation il faudrait d’abord qu’il devienne l’état de Tous Ses Citoyens. Il faudrait d’abord qu’il accepte la notion de loi civile et qu’il renonce à tout trace de théocratie juive. Tant que ce n’est pas le cas, Israël ne peut pas être considéré comme une civilisation et encore moins comme une ’civilisation occidentale’.
Le printemps arabe
En parlant du printemps arabe, Madame Wisse a dit : "S’il y a un facteur que je veux garder à l’esprit quand j’essaie de voir si le monde arabe progresse vers plus de démocratie et vers des réformes intérieures ou si au contraire il régresse davantage...."
Comme ’les Juifs progressistes’ Madame Wisse voit les choses selon un modèle binaire et simpliste : elle partage le monde entre ’progressistes’ et réactionnaires’. Comme les ’Juifs progressistes’ elle se place, elle et ses frères, parmi ’les élus’ c’est à dire ’les progressistes’, ceux qui ’avancent’.
Il est clair que Madame Wisse n’a aucune notion du rôle évident que l’Islam joue en général et dans les événements actuels en particulier. L’Islam est un appel à la justice et l’égalité et il dépasse de beaucoup le modèle binaire juif. L’Islam en fait intègre la temporalité -il regarde en avant tout en jetant des coups d’oeils en arrière, et vice-versa.
Mais, comme il faut s’y attendre, Madame Wisse nous explique aussi ce que ’avancer’ signifierait pour les Arabes : "un facteur de progrès serait que les leaders arabes acceptent l’état d’Israël sans conditions et sans restrictions." "Aussi longtemps que les Arabes utilisent Israël comme excuse pour ne pas se remettre en question, pour ne pas se réformer, pour ne pas se perfectionner, ces pays ne peuvent pas progresser."
Introspection
Madame Wisse ne fait-elle pas de la projection en disant cela ? Et de fait, n’est-il pas temps que les intellectuels juifs, les spécialistes du Yiddish et les leader sionistes se livrent à quelque introspection ?
Madame Wisse nous donne en réalité un aperçu de la conception juive de la problématique identitaire et de son incapacité absolue de se remettre en question. Ce serait beaucoup plus fructueux si ’l’universitaire’ arrêtait de déblatérer juste une seconde et se demandait : comment se fait-il que les Juifs aient toujours fini par susciter autant d’opposition où qu’ils aillent et quoiqu’ils fassent ?
Au lieu ’d’accuser les Goyim’ encore et encore, il serait sûrement temps que les universitaires et les intellectuels juifs se lancent dans un vrai travail de réflexion profonde et sincère sur eux-mêmes.
Au lieu de recenser à l’envie ’ce qui ne va pas’ chez les Gentils, ils feraient sûrement mieux de se demander une bonne fois pour toutes si ce ne sont pas l’idéologie et la culture juives qui sont un peu problématiques.
* Gilad Atzmon est né en Israël et il a servi dans l’armée israélienne. Il habite Londres et est l’auteur de deux romans, le premier : A Guide to the Perplexed et le second : My One and Only Love. Atzmon est aussi le meilleur saxophoniste d’Europe.