La récession qui frappe l’Europe depuis 2011 a, bien entendu, eu un impact non négligeable sur l’activité économique de la Russie. Elle a affecté l’activité des exportateurs, qu’il s’agisse des exportateurs d’hydrocarbures que des exportateurs de produits semi-finis (acier, métaux non-ferreux, produits chimiques de base). Ces exportations, quoique moins spectaculaires que celles des hydrocarbures, ont en réalité un impact bien plus important sur l’activité économique par le biais des chaînes de sous-traitance. De ce point de vue, l’impact de la crise en Europe sur l’emploi industriel en Russie a été sensible, mais somme toute assez bien digéré.
Le taux de chômage est aujourd’hui inférieur à 5 % de la population active. Néanmoins, il est clair que la Russie, dont l’Europe est le premier partenaire commercial, a « importé » en partie la récession ou la stagnation que connaît le continent européen. C’est ce phénomène qui a déclenché au sein des élites tant politiques qu’économiques russes une réflexion approfondie sur l’avenir des relations économiques avec l’Europe, mais aussi avec d’autres partenaires et en premier lieu des partenaires asiatiques.
I. Les raisons d’un pivotement
Dès la fin de l’année 2012, la croissance économique s’est mise à ralentir en Russie. Devant la situation économique de l’Union européenne, il était clair qu’il y avait un risque de connaître cette situation pendant encore plusieurs années. On parle de plus en plus de la perspective d’une « décennie perdue » en Europe, et en tous les cas pour les pays de la zone Euro. Il est clair que cette perspective n’a été perçue que progressivement au sein des élites politiques et économiques de la Russie. Vue comme un risque potentiel en octobre 2012, mais comme un risque que les européens pouvaient réduire et limiter, du moins dans la vision des dirigeants russes, cette perspective est devenue un fait objectif à l’automne 2013. Durant cette période, les dirigeants russes ont progressivement fait le constat de l’incapacité des dirigeants européens à prendre la mesure de la gravité de la situation économique.
Ceci n’a certainement pas dû être facile car ils tenaient, en règle générale, ces dirigeants pour compétents et rationnels en ce qui concerne les mesures de politique économique. Le constat de l’impuissance des dirigeants européens, dans un domaine où ils étaient réputés être passés maîtres, a profondément ébranlé l’image de ces dirigeant européens pour l’élite russe. Elle a entraîné, par réaction, un changement important dans la stratégie du gouvernement russe. Ce changement se traduit par le choix vers l’Asie, choix qui a été fait en réalité entre la fin de 2012 et la fin du printemps 2013. De ce point de vue, on peut parler d’un réajustement pragmatique de la politique économique de la Russie [1].