Six mois après les attentats, Charlie Hebdo est encore convalescent et veut tourner la page.
Le parallèle entre l’état de santé de son directeur et celui du journal est saisissant. Après une demi-année d’hospitalisation et de rééducation, Riss, le nouveau patron, blessé par balle à l’omoplate lors de l’attaque du 7 janvier, vient de terminer sa rééducation mais ne pourra plus jamais lever le bras plus haut que l’épaule.
« Ça tire tout le temps, comme si j’avais des crampes. Pour dessiner, il faut parfois que je fasse des pauses. C’est ça qui est chiant, on aimerait s’en débarrasser définitivement et, en fait, on ne pourra jamais. Y’aura toujours un truc qui nous le rappellera », déclare-t-il à l’AFP à propos de l’attaque des frères Kouachi qui ont décimé la rédaction.
Huit personnes qui travaillaient pour l’hebdomadaire, dont cinq de ses dessinateurs, ont été tués le 7 janvier. Quatre autres, parmi lesquelles Riss et Philippe Lançon, ont été grièvement blessés.
Pleurs, communion intense, crises, départs : au fil des semaines, les survivants de ce titre devenu un symbole planétaire de la liberté d’expression sont passés par des montagnes russes d’émotions.
Six mois, c’est trop tôt pour tourner la page mais suffisamment loin pour commencer à relever la tête. « On a le cul entre deux chaises au bout de six mois », résume Riss.
« Je me demande chaque semaine comment on arrive à faire le journal, mais on y arrive. C’est un journal toujours transitoire, qui n’est pas encore refondé », abonde le journaliste Laurent Léger, membre du collectif qui avait réclamé, mi-avril dans une tribune, une nouvelle répartition de l’actionnariat.
Gros changements
Pour faire table rase du passé, l’hebdomadaire satirique va tout changer, ou presque, à la rentrée.
Les locaux d’abord. Hébergé depuis janvier dans l’immeuble de Libération, la rédaction doit emménager en octobre dans des bureaux ultra-sécurisés du XIIIe arrondissement de Paris. Les travaux en cours, réalisés avec des conseillers de la police, prévoient notamment une pièce blindée (également appelée « panic room ») et un système de sas, selon Riss.
« Ça fait du bien de changer de locaux. Même si on est très bien à Libé, c’est lié à l’événement. On a envie d’être dans notre bordel à nous », ajoute-t-il. « Tout sera neuf. On ne gardera rien du tout. Juste les archives. Il faut qu’il n’y ait aucune trace. »
Principale source de crispation au sein de l’équipe, la répartition de l’actionnariat, doit également être revue après l’été « en faisant rentrer d’autres salariés », explique Riss. Même si « tout le monde ne rentrera pas » et qu’il ne sait pas encore « comment on va répartir » les actions, « ce sera des vrais actionnaires, pas symboliques », prévient-il.
Ce projet d’évolution de la direction a fait baisser la tension. Actuellement, le titre est détenu à 40% par les parents de l’ex-directeur de la rédaction, Charb, tué dans l’attaque, à 40% par Riss et 20% par le directeur financier, Eric Portheault.
« On a repris une discussion plutôt saine. Ça progresse pas mal », explique à l’AFP Laurent Léger.
Changement de look
Par ailleurs et pour aller dans le même sens, Charlie Hebdo doit être le premier titre à adopter courant juillet le nouveau statut d’entreprise solidaire de presse. Celui-ci prévoit que « 70% des résultats soient destinés à l’autofinancement pour permettre à l’entreprise de se développer », explique à l’AFP Me Christophe Thévenet, avocat de l’hebdomadaire.
« On a voté une résolution supplémentaire pour attribuer les 30% restants à l’autofinancement », ajoute l’avocat qui rappelle que la répartition des plus de 4 millions d’euros de dons sera confiée à une commission de sages désignés, à la demande du journal, par le ministère de la Justice.
Dernière nouveauté prévue pour la rentrée, un toilettage de la maquette de l’hebdomadaire qui se vend désormais à 120 000 exemplaires et compte 220 000 abonnés, et une refonte de sa version numérique qui avait, depuis les attentats, disparu du web. « On va remettre Charlie sur le net, les tablettes, les téléphones », explique Riss pour qui « c’est important, maintenant que les jeunes découvrent les choses sur le net ».