La retraite d’Afghanistan ressemblera à un sauve-qui-peut général où les militaires, après avoir dépensé des milliards de dollars pour massacrer hommes, femmes et enfants, apparaitront pour ce qui sont : d’absurdes criminels que seules l’ignorance et la bêtise de nos semblables sauvent de la prison.
Fuite orchestrée, construite par des officiers du renseignement, les 105 000 documents livrés au public, par le site islandais WikiLeaks, offrent peu d’intérêt pour les amoureux de la vérité.
Les amateurs de scoop, de scandale, de petites histoires, resteront sur leur faim. La fausseté du prétexte qui a motivé, en décembre 2001, l’invasion puis l’occupation de l’Afghanistan, est savamment dissimulée, dans les plis du drapeau.
Pas un instant, les traitres « qui menacent la sécurité nationale », selon l’expression de Washington, ne dénoncent les marchands de canons, les multinationales du crime, la CIA ou les compagnies militaires privées.
La coïncidence entre le boum de la production d’opium, dans la région du Helmand, au sud-est de l’Afghanistan, et l’occupation anglo-saxonne, n’est même pas évoquée.
On ne retrouve pas, dans cette poubelle renversée sur la Toile, les ordres de mission relatifs aux crimes de guerre, perpétrés par l’US Air Force ou les Marines, à Nawabad, le 21 août 2008 et à Bala Batuk, le 5 mai 2009.
Hormis les prisonniers et les transfuges, parlant sous la torture ou pour de l’argent, aucun rapport ne donne la parole à la Résistance ni aux milliers de villageois qui vivent dignement, sous les bombes, et qui auront contribué, à leurs manières, au départ de l’étranger.
La représentation des choses ici demeure fermement aux mains de l’occupant.
Seuls des « journalistes embarqués », des photographes de l’armée ou de soit-disant experts, le M16 en bandoulière, sont autorisés à dire la réalité.
Et malheur au reporter qui essaierait de donner à voir autre chose que la propagande : il serait tué ou pris en otage par un groupe armé. Les journalistes français de Fr3, captifs depuis 218 jours, quelque part dans la vallée de la Kapisa, payent, aujourd’hui, le prix de ces paroles et images confisquées.
L’Histoire de cette seconde guerre d’Afghanistan doit être écrite par l’Amérique – dans la victoire comme dans la débâcle.
Tel est peut-être l’unique message qui émane de cette montagne de papiers, flottant dans l’arbre stérile d’Internet.
LE GRAND MÉNAGE AVANT UNE RETRAITE PITOYABLE
Comme dans les films évoquant la chute de Saïgon, en 1975, ou la prise d’assaut de l’ambassade des États-Unis, à Téhéran, les petits fonctionnaires américains brûlent tous les documents compromettants et ne sauvegardent que l’essentiel : leur propagande.
Les informateurs de Julian ASSANGE, responsable de WikiLeaks, ambitionnent, avec une avalanche de détails, de conforter les fables qu’on nous sert depuis les attaques de New-York.
Entre autres : la collusion de l’armée pakistanaise avec les talibans et l’aide militaire, apportée par l’Iran, au groupe chiite de Guldbudin HEKMATYAR, le Hezb-i-Islami.
Mais le nombre de preuves assénées par des militaires dont la première mission n’est pas exactement l’information n’en font pas des certitudes recevables par un tribunal.
Les accusations portées contre le général pakistanais à la retraite, Hamid GUL, présenté comme une sorte de roi des talibans, frisent le ridicule et ne résisteraient pas, cinq minutes, à l’analyse d’un juge d’instruction.
Les charges contre ce vieillard de 74 ans, décoré à la chute du Mur de Berlin, par le gouvernement allemand, « pour services rendus », rappellent les injonctions de Condoleeza RICE qui demandait, en décembre 2008, l’arrestation immédiate de l’ancien directeur de l’Inter Service Intelligence (ISI).
« Le vainqueur de l’armée Rouge », fort en gueule, qui connaît très bien les méthodes de la CIA – il a travaillé pour eux pendant vingt ans – avait eu l’outrecuidance de dénoncer les auteurs des attaques de Mumbay, le 26, 28 novembre 2008, comme de probables mercenaires à la solde de Langley, soutenus par l’Intelligence Bureau, le M16 et le MOSSAD.
Le but des attaques de Mumbay, attribuées officiellement au groupe Cachemiri, le Laskar-e-Toyba, étant de créer un casus belli et de forcer le gouvernement indien à entrer en guerre comme ce fut le cas, après l’attaque du parlement indien, le 13 décembre 2001…
Peu de nos concitoyens savent qu’il y a un lien intime entre l’évolution de la situation politique, militaire, en Afghanistan et la question disputée du Cachemire, occupé par l’armée indienne.
Chose que Wikileaks et « nos balances du Pentagone » laissent volontairement dans l’ombre…
LES MACHOIRES INDIENNES DU PIEGE AFGHAN
Lors de l’invasion de l’Afghanistan par les soviétiques, en décembre 1979, Indira GANDHI fut l’une des rares dirigeantes des pays non-alignés à saluer l’arrivée des Soviets à Kaboul ; et le gouvernement de son successeur, le premier à déplorer leur retrait lorsque l’URSS décida de retirer leurs troupes en 1989.
Car la chute du régime pro-soviétique de Najibullah et le triomphe des talibans, à Kaboul, provoquèrent et aidèrent une insurrection pro-pakistanaise, à Srinagar, dans la partie est du Cachemire, occupé, depuis 1947, par l’armée indienne.
Une insurrection qui dure et retient l’attention de 400 000 militaires et para-militaires indiens.
Dans la seconde guerre d’Afghanistan, une configuration, plus dramatique, se met en place et inquiète le commandement de l’ISAF.
Le plan de « sortie honorable » qui mise sur la capacité de l’armée afghane à assurer seule la sécurité du pays ne tient pas.
La nature profondément féodale et « anti-nation » des montagnards pachtouns interdit toute forme d’espérance aux occupants.
Les structures étatiques et le voile de modernité qu’avaient laissé les soviétiques à leur départ, en février 1989, avaient tenu à peine deux ans…
Mais ce qui rend plus périlleux la transition, c’est le grand jeu auquel se livrent la puissance indienne qui a repris, semble-t-il, les ambitions du Raj britannique, et le Pakistan au bord d’une révolution islamique.
Le risque permanent de clash entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances à couteaux tirés, qui possèdent l’arme nucléaire, obère toute sortie maîtrisée du corps expéditionnaire, le forçant à dépendre de l’une ou l’autre des nations rivales.
La Russie, la Chine, la république iranienne, les républiques d’Asie centrale, pour différentes raisons, quant à elles, malgré leurs rivalités avec les États-Unis, ne souhaitent pas le départ du corps expéditionnaire et regardent perplexes le drame se jouer.
Cette impossibilité des coalisés à fixer clairement les conditions de leur retrait et d’empêcher les conséquences ( l’entrée victorieuse de talibans à Kaboul, une guerre entre le Pakistan et l’Inde, suivie d’une révolution islamique en Afpak) pourrait conduire l’OTAN à l’implosion.
Un soldat du contingent hollandais qui désertait récemment le piège afghan résumait ainsi le désastre : « Ce fut une erreur d’y mettre le pied et une plus grande encore de le lever. »
UN « CAPITALISME DU DÉSASTRE » QUI NE RÉUSSIT PAS A L’OTAN
Le Pakistan, ex-membre de l’OTASE, est le plus grand dommage collatéral de l’aventure.
Au lieu de stabiliser la région, la présence américaine, « dans la montagne rebelle », a provoqué une guerre civile, au Pakistan, qui a fait des millions de réfugiés et coûté la vie, selon Zaïd Hamid Zaman (journaliste pakistanais, consultant à Brasstrack) « au moins à vingt milles personnes ».
Les bombardements des populations par les drones de la CIA, les attaques kamikazes dont beaucoup se demandent, eu égard aux cibles choisies (cinémas, marchés, mosquées), s’ils ne sont pas l’œuvre de groupes terroristes payés par l’étranger, ont créé les conditions propices à une révolution islamique anti-impérialiste, au sein même de l’armée.
Si les documents militaires, divulgués par WikiLeaks, montrent bien le trou béant dans lequel s’abîme chaque jour davantage l’aventure coloniale, les sources militaires se refusent à montrer l’ampleur des dégâts que la CIA et leurs compagnies privées comme Black Water, ont commis au Pakistan.
Pire, elles trahissent l’intérêt de leurs propre pays en épousant les vues de la puissance régionale dont le général MacChrystal, lui-même, dénonçait, avant d’être remercié, « la présence de plus en plus néfaste en Af-Pak ».
Cependant cette analyse considérant l’influence indienne comme néfaste n’est pas partagée par la majorité des officiers composant le commandement des forces d’occupation.
Notamment des Français qui ont fait défiler, le 14 juillet 2009, un contingent de la marine indienne sur leur propres Champs-Elysées…
Leurs analyses correspondent, en effet, à celles des diplomates de New Dehli, qui envisagent, dans la revue « Indian Foreign Affairs Journal », de janvier-février 2010, la périlleuse période de transition.
A savoir : l’envoi d’un corps expéditionnaire indien, sous mandat onusien, d’abord dans la vallée du Panshir, puis déployé sur l’ensemble des zones pachtounes tenues par les coalisés.
Une telle hypothèse déboucherait inévitablement sur une guerre avec le Pakistan et une intervention, peut-être, de la Chine qui a signé des accords de défense avec Islamabad.
Pour les Pakistanais, « le pire reste toujours possible » car l’Inde, ex-pays non aligné, a signé, en 2005, un formidable accord stratégique avec les États-Unis.
Pour appuyer ce dispositif, l’Indian Air Force (IAF) occupe déjà une base militaire louée précédemment aux Français, à Douchambé, au Tadjikistan.
De plus, le Border Road Organization (BRO), protégé par quelques dix milles paramilitaires de l’Indian Tibetan Border Police Force (ITBPF), présents en Afghanistan, a construit une route stratégique de la frontière iranienne à Kandahar.
Après négociation avec un Iran, soumis à un embargo sévère et dépendant pour son raffinage de la compagnie indienne, ONGC, l’Indian Navy qui disposera bientôt d’un nouveau porte-aéronefs, escortés de sous-marins de type Scorpène, pourrait débarquer un corps expéditionnaire de plusieurs centaines de milliers d’hommes à l’horizon 2014.
Les marqueurs présageant un tel exercice, dans l’Océan indien, sont nombreux.
De 2001 à 2009, les manœuvres avec les forces de l’OTAN se sont multipliées, les commandes de matériels militaires, notamment en navires de guerre, à l’étranger, ont quadruplé de volume.
Signe que l’intention américaine n’est pas nouvelle : en décembre 2001, l’US Navy confiait à la flotte indienne l’escorte des pétroliers qui ravitaillent le corps expéditionnaire du détroit d’Ormuz aux eaux sombres du littoral (opération Sagittarius).
Or depuis 1947, le Pakistan, ex-membre de l’OTASE, est historiquement le porte-avions de l’impérialisme US, dans la région.
Encore, aujourd’hui, l’armée pakistanaise, sur ordre de Washington, se bat, avec acharnement et beaucoup de brutalité contre ses propres populations insurgées du FATA et du Waziristan, lesquelles sont bombardées régulièrement, depuis 2006, par les drones de la CIA.
Cette guerre civile, provoquée, en grande partie, par l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan, a fait, depuis le début de l’opération Enduring Freedom, en deçà de la ligne Mortimer-Durand, plus de morts que les quatre conflits avec l’Union indienne.
Une majorité de pakistanais pensent sérieusement que les États-Unis, malgré leurs aides financières, avec la complicité active de l’Inde et d’Israël, sont à l’origine de leurs malheurs.
Des intellectuels américains comme Michel Chossudovski confirment leur point de vue, dans un article où le dissident explique la déstabilisation planifiée de la république islamique.
Pas une note des 105 000 documents secrets, publiés par WikiLeaks, n’évoque cette dimension !
L’armée pakistanaise fait pourtant partie du CENTCOM et nombre de bases importantes comme Jacobadad d’où partent les drones qui massacrent les Pachtouns, au Wasziristan, sont consacrées au déploiement de l’US Air Force.
On estime à 25 000 hommes la présence américaine sur le sol pakistanais : soldats, pilotes, diplomates, agents de différents départements (FBI, DEA, etc.), mercenaires de compagnies privée comme Xe ou Vinel.
L’ambassade US à Islamabad dirige quasiment le gouvernement ZARDARI-GILANI dont le soutien, dans la guerre contre le terrorisme, est crucial.
Mais ce soutien à l’impérialisme est à double tranchant, s’il satisfait les étrangers, il éloigne de plus en plus les populations locales de leur propre gouvernement.
A bien des égards, « le double jeu » évoqué par WikiLeaks serait plus le fait des américains que des officiers pakistanais.
Le chef d’état-major, le général KAYANI comme le général MUSHARRAF, actuellement en exil à Londres, ont fait leurs classes dans les académies US et sont des amis intimes de l’amiral Mike MULLEN qui commande la flotte de la zone Asie-Pacifique.
Pourquoi ces simples informations dont on pourrait vérifier l’exactitude, dans n’importe quelle encyclopédie en ligne, ne figurent-elles pas dans les papiers de WikiLeaks ?
La guerre racontée par le site « pacifiste » témoigne, semble-t-il, de l’âpre combat que se livrent, par informations divulguées, des éléments proches de l’ancien gouvernement BUSH, pro-indiens, et une administration OBAMA, en plein désarroi, qui tient l’armée pakistanaise comme la clef de voûte pour sortir, dans l’honneur, du bourbier afghan.
CONCLUSION PROVISOIRE
La guerre en Afghanistan n’est pareille à nulle autre : une fois commencée, elle ne s’achève jamais avant la disparition complète de l’envahisseur et ceux et celles qui les ont aidés.
Dans les massifs himalayens de l’Hindou Kouch, les âmes des hommes, tués par les armes, poursuivent les vivants d’une haine sans fin.
Le complexe militaro-industriel va connaître, pour la première fois de son histoire, un échec retentissant face à une société archaïque, profondément religieuse, dont le moteur n’est pas l’argent mais la Vengeance.