Suite à une mise en garde du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, un animateur de radio vient d’être mis à pied par son employeur pour avoir débattu avec ses auditeurs de l’existence d’un « lobby juif ». Sur le site du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France dont il est le président, Richard Prasquier n’a pas tardé à brandir l’accusation d’antisémitisme.
Pourtant, dans une autre rubrique du même site, il ne craint pas de présenter son association comme le « porte-parole de la communauté juive de France auprès des pouvoirs publics », précisant même qu’elle « en est sa représentativité politique ».
Comment peut-on interdire à quiconque de s’interroger sur l’existence d’une réalité sociale que l’on revendique, pour soi-même, le droit de représenter politiquement ? Plus grave encore, le président du CRIF va jusqu’à jeter la suspicion sur la notion même de liberté d’expression en suggérant, au prix d’un amalgame douteux, que le titre de l’émission de radio incriminée, « Liberté de parole » « est terriblement proche de celui du journal antisémite le plus célèbre de l’histoire française : la « Libre Parole » de Edouard Drumont. »
Une telle contradiction témoigne de l’impasse où conduit la pratique d’un communautarisme outrancier. Elle démontre qu’il n’est pas sain de lier son appartenance nationale à la reconnaissance officielle d’une singularité quelconque, tout en qualifiant sa mise en avant de « discriminatoire » dès l’instant que celle-ci n’est pas jugée conforme aux intérêts de la communauté concernée.
Alors que nous sommes déjà bien avertis des ravages de l’idéologie libérale dans le domaine économique, ce paradoxe devrait nous faire prendre conscience que le communautarisme n’est rien d’autre que la déclinaison de celle-ci dans le domaine politique. Du point de vue libéral, chaque individu est sommé de définir subjectivement son identité en fonction de ce que sont présumés être ses intérêts propres. Du libre jeu de ces derniers est censée découler l’instauration du bonheur social.
C’est ne pas voir que les syndicats d’intérêts sont d’une puissance qui varie considérablement en fonction de leur nature et de leur composition et que l’application du principe libéral débouche, en politique comme en économie, sur l’oppression déguisée du faible par le fort. Dieu sait pourtant si les Juifs européens, victimes de l’un des massacres les plus froidement planifiés de l’Histoire, eurent à subir dans leur chair les effets d’une telle barbarie !
Cependant, il ne s’agirait pas de fonder notre refus du communautarisme sur un laïcisme agressif, qui consisterait à substituer aux religions traditionnelles une religion syncrétique fondée sur la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Il conviendrait plutôt de réunir tous les enfants de la République autour d’une éthique qui ne serait pas conçue comme un compromis politique révisable à tout moment, mais comme un ensemble de pratiques se référant à des normes indiscutables. Comme le proclamait le pape Jean-Paul II en 1989, « on n’établit pas les normes morales par référendum ».
C’est à ce titre, et non pas à la manière de lobbys catégoriels, que les religions sont légitimes à intervenir dans le débat public. Benoît XVI n’ a cessé de le rappeler tout au long de son récent voyage en Allemagne : il n’est pas question de considérer les religions comme des loisirs culturels relevant uniquement de la sphère privée, mais comme un mode légitime d’appréhension du réel, susceptible de fournir les bases d’une authentique morale partagée sans laquelle aucune vie sociale n’est possible.
Nous ne devrions donc n’avoir de cesse que de redéfinir les contours d’une laïcité exigeante qui réaffirme une saine dualité du politique et du religieux. Dans Église, œcuménisme et politique, le cardinal Ratzinger décrivait de la manière suivante les implications pour l’Église et pour l’État de la fameuse formule du Christ : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt, 22,21) :
Là seulement où se conserve, sous quelque forme que ce soit, la dualité entre l’État et l’Église, entre l’instance sacrée et l’instance politique se donne la condition préalable fondamentale pour la liberté. Quand l’Église elle-même devient État, la liberté se perd. Mais il est également vrai que la liberté se perd quand l’Église est supprimée comme entité publique et jouissant d’une influence publique. Dans ce cas, en effet, c’est l’État seul qui revendique l’élaboration des fondements de la morale. (…) En d’autres termes, l’État devient un parti. Puisqu’il ne peut plus y avoir en face de lui d’instance à un niveau indépendant, il redevient une instance totalisante. L’État idéologique est totalitaire. (…) La totalité, le système totalitaire sont inévitables quand ce dualisme n’existe pas. (Cardinal Ratzinger, Église, œcuménisme et politique, Paris, Fayard, 1987, page 217 et 218.)
Le pluralisme de nos sociétés constitue un défi suffisamment difficile à relever pour que l’on s’interdise de repérer le consensus qui réunit les principales religions – et, au-delà, toute personne de bonne volonté – à propos des questions fondamentales qui touchent à l’existence humaine.
Un tel consensus n’est-il pas de nature à constituer le cadre indiscutable et rationnel à l’intérieur duquel un pacte social puisse être reconstruit ? Citons à nouveau le pape Benoît XVI, qui précisait le 8 septembre 2010 devant une délégation du Conseil de l’Europe :
Dans l’actuel contexte social, où des peuples et des cultures entrent en contact, le développement des droits universels, intangibles, inaliénables et indivisibles, est obligatoire. J’ai souvent dénoncé les dangers associé au relativisme des valeurs, des droits et des devoirs qui, s’ils n’étaient pas une base objective et rationnelle commune, dériveraient de cultures particulières, de leurs lois et jugements particuliers. Sans cela, comment les institutions internationales comme le Conseil de l’Europe pourraient-elles assurer cette base ?... Comment pourrait-il favoriser un dialogue fructueux entre des cultures aux valeurs différentes...sans valeurs universelles admises par tous ses états membres ? Ces valeurs, ces droits et devoirs, trouvent leur origine dans la dignité naturelle de l’homme, dans ce que la raison humaine peut comprendre. Loin de l’entraver, la foi chrétienne favorise cette recherche et invite à rechercher un fondement surnaturel à cette dignité.
De toute évidence, nos concitoyens d’ascendance et/ou de confession juive ont un rôle éminent à jouer dans la reconstruction d’un avenir commun respectueux des principes universels rappelés par le pape Benoît XVI. Ne sont-ils pas dépositaires d’une tradition, largement bafouée aujourd’hui, qui a légué à l’humanité la pierre angulaire de la morale universelle que constitue le Décalogue ?
Par conséquent, ils auraient tout intérêt à se désolidariser d’une institution qui prétend les représenter mais qui, à force de conduire la logique délétère du communautarisme jusqu’à ses extrémités les plus déplorables, en est venu à trahir ostensiblement ce qui constitue la part la plus précieuse de leur héritage. Le site officiel du CRIF, ne se fait-il pas, très officiellement, l’écho du « Congrès Mondial des Juifs LGBT (lesbiennes, gays, bisexuel-le-s et transgenres) » qui s’est réuni à Paris fin Juin 2011 ?
Plus il y aura de patriotes musulmans, juifs, chrétiens, athées, hommes, jeunes, femmes plus vite la France retrouvera le chemin de la sérénité et de l’unité nationale. Je préfère un israélien juste à un palestinien injuste et vice versa. Pour moi la seule vertu qui ait encore de la valeur à mes yeux, c’est la justice. »