Des centaines de milliers de Burkinabè sont descendus dans la rue mardi pour dénoncer un projet de révision constitutionnelle permettant le maintien au pouvoir du président Blaise Compaoré, une manifestation d’une ampleur historique sur le continent.
Une marche organisée dans la capitale Ouagadougou a rassemblé « un million » de personnes, selon l’opposition. Elle a été marquée par des affrontements en fin de matinée entre manifestants et forces de l’ordre, a constaté le correspondant de l’AFP.
Le cortège, massif, s’était ébranlé vers 9h30 (5h30, heure de Montréal), alors que la place de la Nation, point central de la capitale, débordait de monde.
Selon le correspondant de l’AFP, la fréquentation est bien supérieure à celle de la marche du 23 août, qui s’étendait sur plusieurs kilomètres, et pour laquelle l’opposition avait revendiqué plus de 100 000 participants.
Sifflets et vuvuzelas constamment à l’œuvre, les protestataires arboraient des milliers de pancartes hostiles au régime, parmi lesquelles : « Judas, libérez les lieux », « Blaise dégage » ou encore « Article 37 intouchable ».
Une telle mobilisation populaire pour une manifestation politique est rare en Afrique sub-saharienne.
Des affrontements ont éclaté vers 11h30, avec plusieurs centaines de manifestants qui lançaient des pierres sur les forces de l’ordre, celles-ci ripostant avec des gaz lacrymogènes.
De premiers heurts avaient opposé dans la nuit protestataires et gendarmes sur la principale route du pays, la Nationale 1, sur laquelle des barricades avaient été dressées.
Un scénario classique
L’opposition avait appelé à manifester dans tout le pays contre ce qu’elle appelle un « coup d’État constitutionnel » du président Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans.
L’Assemblée nationale doit examiner jeudi un projet de loi gouvernemental très controversé, visant à réviser l’article 37 de la loi fondamentale pour faire passer de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels.
Ce changement permettrait à M. Compaoré, qui devait achever en 2015 son dernier mandat, de concourir à nouveau à l’élection présidentielle.
Arrivé au pouvoir en 1987 par un putsch, il terminera l’an prochain son deuxième quinquennat (2005-2015) après avoir effectué deux septennats (1992-2005).
L’opposition craint que ce changement constitutionnel, qui ne devrait pas être rétroactif, conduise le chef de l’État, déjà élu quatre fois avec des scores soviétiques, à accomplir non pas un, mais trois mandats supplémentaires, lui garantissant 15 années de plus au pouvoir et 43 ans de règne au total.
Le scénario est classique en Afrique. Ces dernières années, il a été employé dans au moins huit pays (où certains présidents sont aux affaires depuis plus d’une trentaine d’années) : Algérie, Tchad, Cameroun, Togo, Gabon, Guinée équatoriale, Angola, Ouganda, Djibouti.
Alors que l’agenda politique africain s’annonce très chargé en 2015/2016, avec une vingtaine de scrutins présidentiels, au moins quatre pays - en plus du Burkina - préparent ou envisagent des révisions constitutionnelles : le Congo Brazzaville, le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC) et le Bénin.
« Pouvoir à vie »
Au Burkina, ce projet suscite l’hostilité de l’opposition, d’une grande partie de la société civile et de nombreux jeunes - plus de 60 % des 17 millions d’habitants ont moins de 25 ans et n’ont jamais connu d’autre dirigeant.
Si la modification de l’article 37 est évoquée depuis des mois, l’annonce le 21 octobre du projet de loi a fait franchir un cap aux contestataires, avec une surenchère verbale des deux camps et des risques manifestes de dérapages.
Le chef de file de la majorité parlementaire, Assimi Kouanda, a dénoncé des agressions de députés par des militants de l’opposition, demandant au chef de l’État de prendre « toutes les mesures » pour préserver leur « sécurité ».
Quant à l’opposition et à la société civile, qui appelaient à la « désobéissance civile », elles lancent désormais « ultimatums » et « mises en garde » au pouvoir, appelant à la « démission » du chef de l’État, accusé de velléités de « pouvoir à vie ».
Signe que le gouvernement prend au sérieux ces menaces, écoles et universités ont été fermées toute la semaine par crainte de débordements.
M. Compaoré est un partenaire majeur de la communauté internationale en Afrique, avec un rôle-clé de médiateur dans plusieurs crises, notamment dans la bande sahélienne.
Malgré des trafics d’armes et de diamants avec les insurrections angolaise et sierra-léonaise épinglés par l’ONU, sa proximité avec les ex-dictateurs libyen Mouammar Kadhafi et libérien Charles Taylor, son soutien aux rebelles ivoiriens désormais au pouvoir, le président burkinabè jouit d’une solide image à l’étranger, notamment en France.
Son putsch en 1987 avait été marqué par l’assassinat - jamais élucidé - du président Thomas Sankara, icône du panafricanisme.
Après une politique marquée par l’élimination d’opposants, Blaise Compaoré a rétabli le multipartisme en 1991. Il a déjà modifié à deux reprises l’article 37 de la Constitution, en 1997 puis en 2000, pour pouvoir participer aux élections.
Peu après sa réélection en 1998, « l’affaire Zongo », du nom d’un journaliste retrouvé mort avec trois autres personnes alors qu’il enquêtait sur un meurtre impliquant le frère du président, avait provoqué une grave crise politique.