Bruno Tertrais, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, vient de publier un "Que sais-je ?" sur la guerre. Une remarquable synthèse dont nous publions un court extrait sur le thème "la supériorité militaire occidentale est-elle durable ?
"Les pays occidentaux sont aujourd’hui dans une situation de supériorité incontestable sur le reste du monde dans le domaine militaire.
Les Etats-Unis, en particulier, ont une capacité inégalée dans l’Histoire de contrôle des quatre espaces communs : les mers, les airs, et désormais l’espace extra-atmosphérique ainsi que le cyberespace. Les pays occidentaux sont les seuls aujourd’hui à dispose d’une capacité de projeter très rapidement plusieurs dizaines de milliers d’hommes pour se battre loin de leurs frontières (ce qui n’était pas le cas à l’époque de la Guerre froide : Cuba avait envoyé 50.000 soldats se battre en Angola, par exemple). Les causes de cette supériorité se trouvent d’abord dans l’investissement considérable réalisé depuis plusieurs dizaines d’années dans les technologies militaires. Les Etats-Unis, dont le budget militaire représente la moitié de la dépense de défense de la planète, ont assis leur puissance militaire sur un réseau d’alliances et de bases sans équivalent dans le monde, couvrant les cinq continents. (...)
Pourtant, comme on le sait depuis la guerre du Vietnam, les armées de culture occidentale ne sont pas aptes à défaire militairement, sur leur terrain, des acteurs employant des techniques élaborées de guérilla ou de terrorisme. (...) Cette vulnérabilité est encore accrue par la forte dimension médiatique des interventions occidentales, et par l’impatience des opinions qui, dans les pays démocratiques, finit toujours par produire des effets politiques. (...)
De leur côté, la Chine et la Russie tentent de rattraper leur retard sur les Etats-Unis, et par ailleurs investissent massivement dans les moyens de lutte informatique. De manière plus générale, la Chine pourrait s’affirmer comme un acteur militaire de premier plan dès lors qu’elle aura développé significativement – ce que l’Inde fait également – ses moyens de projection loin de son territoire, d’ici une ou deux décennies. (...)
Or, en l’absence de menace majeure avérée, il n’est pas certain que les pays occidentaux seront enclins à maintenir un niveau élevé de dépense de défense et d’investissement sur l’avenir – d’autant que les matériels, de plus en plus perfectionnés, sont aussi de plus en plus coûteux (...). Le modèle d’armée réduite et technologique, destinée à des opérations ponctuelles, valorisé par les pays occidentaux depuis la fin de la Guerre froide, a donc peut-être trouvé ses limites. (...) Il n’assurera plus à coup sûr la supériorité sur les grandes puissances émergentes – dont l’enrichissement permet un investissement en capital important dans la défense et qui sont en voie d’apprendre elles aussi à intégrer l’innovation technologique dans leurs systèmes militaires."