Le patronat flamand veut mettre un terme à la Sécu et aux allocations de chômage actuelles. Qui en profitera ?
Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB depuis juin 2006 nous reçoit au 5e étage du siège national de la FGTB, rue Haute à Bruxelles, dans le quartier des Marolles et à un jet de pierre du Palais de Justice. Inquiète mais aussi déterminée face à l’actuelle formation du gouvernement orange-bleu.
Interview par David Pestieau (12-09-2007)
Solidaire : En tant que secrétaire générale d’un syndicat national et bilingue, comptant plus de 1,3 million de membres, quel regard portez-vous sur la situation actuelle où partis francophones et flamands s’affrontent pour une nouvelle réforme de l’Etat ?
Anne Demelenne. Au niveau syndical, on tient le même (type de) langage au nord, au centre et au sud du pays. Dans les années 60, il y a eu toutes sortes d’évolutions, mais elles tenaient compte de certaines réalités et maintenaient une solidarité entre les personnes.
Désormais, il s’agit de tout autre chose. Et la FGTB, elle, souhaite se baser sur les attentes des travailleurs. De quoi ont-ils besoin ? Ils ont besoin de négociations salariales qui restent à un niveau fédéral, sans concurrence entre eux. Ils ont besoin, s’ils sont sans emploi ou malades, d’allocations sociales décentes.
La solidarité interpersonnelle, base de la sécurité sociale, est essentielle et elle a été construite sur une base fédérale. Et doit rester comme telle. Même chose pour le droit du travail. Ce serait aberrant pour des entreprises multisièges, présentes dans plusieurs régions du pays, de pratiquer des salaires différents, des conditions de travail différentes. Ce serait ingérable.
Solidaire : Le président de la FGTB, Rudy De Leeuw a récemment déclaré : « La plupart des propositions flamandes en matière de réforme de l’Etat viennent des patrons flamands. Elles ne sont pas orientées vers des améliorations sociales. » Qu’est-ce qui vous inquiète particulièrement dans les projets actuels ?
Anne Demelenne. Prenons par exemple le chômage. On veut régionaliser le marché du travail pour répondre de manière adaptée à l’offre d’emploi. Qu’est-ce qui se cache derrière ça ? On culpabilise encore plus les chômeurs (alors qu’ils sont des victimes), on leur met la pression maximale pour ensuite limiter les allocations de chômage dans la durée s’ils ne trouvent pas de boulot. Ou on rend tellement basses les allocations qu’elles ne leur permettent plus du tout de subsister (ce qui est déjà le cas pour pas mal d’entre eux). On crée de la pauvreté. Ça c’est le risque d’une régionalisation. Cela ne signifie pas que l’on ne peut pas travailler à tenir davantage compte des réalités et des spécificités de chaque région.
Solidaire : Précisément en Flandre, certains politiciens disent « Wallons=chômeurs= profiteurs ». Que leur répondez-vous ?
Anne Demelenne. Qu’on ferait mieux d’investir pour créer de l’emploi, par exemple dans certains secteurs comme celui de l’environnement. Qu’on pourrait investir beaucoup plus dans la formation des travailleurs !
Souvent on critique les chômeurs, mais on devrait d’abord rappeler qu’en Wallonie il y a 32 demandeurs d’emploi pour une offre d’emploi. Dans ces conditions, on peut être formé, être motivé, on n’a pas d’emploi car il n’existe pas !
Après, si on crée des emplois, il faut faire en sorte que ce ne soit pas des emplois à 1 000 euros par mois, car alors on crée une nouvelle catégorie de travailleurs, les travailleurs pauvres, ce qui est en train de se passer.
Ce qu’il faut, ce sont des approches positives. Au lieu de cela, ce qu’on subit, ce sont des idées purement libérales avec régression sociale à la clé.
Solidaire : Vous avez mentionné dernièrement que moins d’un pourcent des chômeurs avaient été poursuivis par l’Onem pour non-recherche active d’emploi
Anne Demelenne. Comme nous le disons souvent c’est au chômage qu’il faut s’attaquer, pas aux chômeurs. Les chômeurs cherchent du boulot, ce n’est pas de leur faute s’il n’y a pas assez d’offres d’emplois !
Les employeurs dans ces conditions font leur marché. Ainsi, dans les entreprises, on constate qu’on engage beaucoup de gens avec un niveau de formation bien supérieur à l’emploi proposé. On se rend compte de plus en plus que les entreprises n’assurent plus la formation comme auparavant, où la période d’essai était le moment où les jeunes pouvaient se former.
Maintenant avec un système de flux tendu où les employeurs veulent un personnel formé et employable directement, ils cherchent « la perle rare ». Et ils la trouvent car les demandeurs d’emplois sont très nombreux. Les patrons peuvent faire leur choix, leur marché…
Et la régionalisation ne va certes pas répondre à ce problème, au contraire.
Solidaire : Mais en Flandre, les patrons parlent de pénurie d’emplois…
Anne Demelenne. Cela dépend où on met la barre. Il y a une réserve de main d’œuvre importante en Flandre. L’emploi féminin pourrait se développer à condition qu’on mette en place les mesures adaptées, notamment en matière d’accueil de l’enfance. Ce n’est pas tout de trouver un emploi. Il s’agit, par exemple aussi - a fortiori pour les femmes qui, le plus souvent, prennent cela en charge - de trouver une crèche pour la garde des enfants. Plus largement, il faut pouvoir être dans les conditions d’accepter un emploi (mobilité, présence ou non d’un parent âgé à la maison, etc.) Quand il n’y a plus de place dans les crèches ou que le coût est trop élevé, que fait-on ? Par ailleurs, beaucoup plus de personnes issues de l’immigration pourraient être embauchées mais les employeurs doivent vouloir le faire. L’ABVV (la FGTB en Flandre) mène d’ailleurs campagne sur le terrain là-dessus.
Solidaire : Vous avez dit le 1er mai que « vouloir plus de régionalisation veut dire affaiblir la sécurité sociale avec l’idée d’en privatiser les bons morceaux (la santé représentant 10% du PIB) ». Privatiser, c’est vraiment un des agendas cachés ?
Anne Demelenne. C’est clair. La régionalisation cache une tentative de faire reculer socialement des pans entiers de la sécurité sociale. A partir du moment où on ne base plus les soins de santé, par exemple, sur une solidarité entre les personnes, on entre dans une logique budgétaire, financière. Et si les moyens ne sont pas suffisants on va vers un recul en termes de services pour les usagers. Sauf… pour ceux qui voudront garder un niveau de soins tel qu’on le connaît à l’heure actuelle et qui en ont les moyens. Ceux-là se tourneront vers l’assurance privée. Cela va coûter très cher. Pour garder le même niveau, ils vont devoir payer et en cas de risques, ils vont devenir indésirables. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe avec l’assurance auto. Vous recevez une lettre de votre assureur qui vous écrit : « vous avez eu autant d’accidents, vous êtes prié de trouver une autre compagnie car on ne vous assure plus. » Si ce n’est pas profitable, on vous élimine du circuit.
Solidaire : Vous avez aussi été très critique sur l’orientation pour le moins libérale de la note Leterme qui a servi de base à la première tentative de mettre sur pied une coalition orange-bleue. Pourquoi ?
Anne Demelenne. Vous savez, jusqu’à maintenant, côté syndical, on est évité, voire ignoré en termes de propositions. Mais ce n’est pas un hasard, c’est une réaction ultra-libérale. Ces formations politiques veulent à l’avenir résoudre les choses entre gouvernement et employeurs. Les textes sont édifiants sur la politique qu’ils veulent mener dans les années à venir, une politique ultra-libérale au service des employeurs. Et je dis au service des employeurs, pas au service des entreprises : c’est-à-dire pas au service des travailleurs et du travail.
Est-ce dans l’intérêt des entreprises que les travailleurs pratiquent les heures supplémentaires à tire larigot ? Quand on sait qu’il y a un burn-out (épuisement) au niveau du travail notamment dû aux nombres d’heures prestées. Or avec moins de flexibilité, on pourrait créer de l’emploi. Mais la proposition de Leterme est de rendre les heures supplémentaires moins chères que les heures normales ! Ce gouvernement ne se forme pas dans l’intérêt des travailleurs.
Il y a bien d’autres exemples. En réalité, la régionalisation c’est un écran de fumée pour faire passer les idées néo-libérales et des reculs sociaux considérables.
Solidaire : Visiblement votre syndicat arrive à faire coexister au quotidien néerlandophones et francophones. Qu’est-ce qui fait la différence avec les partis politiques séparés par les barrières linguistiques… ?
Anne Demelenne. Nous avons une démocratie au sein de la FGTB particulièrement vivante. Il n’y a pas de sujet tabou. Mais dans notre analyse et dans la recherche de solutions, on essaie de voir quel est l’intérêt des travailleurs. Quand on part de ça, les problèmes institutionnels se posent nettement moins. Un allocataire social flamand, wallon ou bruxellois vit les mêmes difficultés. Nos solutions partent des problèmes du terrain et pas d’enjeux politico-institutionnels, électoralistes, ou autres.
On a une communication interne qui fait qu’on connaît ce qui se passe en Flandre et en Wallonie. Au-delà des cultures différentes, on se parle, on se respecte et on a les mêmes objectifs de défense des travailleurs, les mêmes valeurs de solidarité. On n’est pas dans le repli sur soi et dans cette pensée unique.
Solidaire : Il y a quand même eu l’épisode de la scission de la Centrale des Métallos...
Anne Demelenne. Ces deux centrales ont une coupole fédérale et dans les réunions fédérales ils trouvent une unité. On ne tolère pas, au niveau des instances de la FGTB, deux avis : on exige un avis commun pour le métal national, peu importe comment ils arrivent à une position commune.
Solidaire : Passons à d’autres points de l’actualité sociale à venir. Vous avez attiré l’attention sur un dossier, celui de la flexicurité, que vous appelez la flexiprécarité. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Anne Demelenne. C’est le dossier de tous les dangers dans les mois qui viennent. On sait qu’au niveau de la Commission européenne, ils ont travaillé à un livre vert. Ce qu’ils proposent ? Ils disent que le droit du travail est un frein par rapport à la création d’emplois. Puisqu’il y a beaucoup de flexibilité à l’heure actuelle, il faut qu’elle s’accentue et qu’elle se généralise.
En contrepartie, on offrirait un peu plus de sécurité au niveau de la sécurité sociale. Mais pour nous, c’est un jeu de dupes. La flexibilité risque d’augmenter et les systèmes de protection sociale ne vont pas s’améliorer, vu qu’on les compare à la moyenne européenne. Ce qu’ils veulent en clair c’est raboter les préavis et diminuer la protection des travailleurs.
On fera tout pour s’y opposer. On le fait en amont car on sait que si ça passe au niveau européen,il y a une directive qui sera traduite après dans la législation belge.
Solidaire : Y aura-t-il des élections sociales en mai 2008 ?
Anne Demelenne. Il sort quand votre journal ? (Rires.) La décision tombera probablement dans les prochaines semaines. Il y a de fortes chances qu’elles aient bien lieu à la date prévue. Les élections sociales c’est un moment de démocratie sociale, et on n’a pas envie que ce soit un rendez-vous manqué.
Solidaire : Vous avez fait vos « armes » syndicales dans le secteur de la grande distribution où le syndicat était inexistant fin des années 70. Quel message avez-vous à transmettre à ces syndicalistes qui essaient de construire le syndicat dans de nouvelles entreprises ?
Anne Demelenne. Ce qui était très intéressant dans les grands magasins, c’est que les gens se rendaient compte spontanément qu’en tant qu’individu isolé ils avaient peu de chances de se faire entendre et respecter par leur employeur. Et qu’ensemble, ils étaient plus forts. Cette solidarité était spontanée et a permis l’émergence du syndicat tout naturellement.
La grosse difficulté aujourd’hui est que les gens sont plus individualistes et se disent qu’ils peuvent s’en sortir tout seuls. Ces personnes ne se rendent compte de leurs limites que quand ils sont en difficulté, lors de restructurations. Ce n’est, malheureusement qu’à ce moment-là qu’il y a une prise de conscience.
Je n’ai pas de leçons à donner, mais si on parvient à faire comprendre aux gens que c’est la réaction collective qu’on parvient à mettre en marche qui peut leur assurer un maintien d’emploi, un salaire correct… on a fait un grand pas pour construire l’organisation syndicale…
Nom : Anne Demelenne
Née à Marche-en-Famenne, le 17 octobre 1957
Mère d’un fils de 17 ans
Le parcours d’Anne Demelenne à la FGTB débute au sein du Setca du Luxembourg en 1981. En 1995, elle devient permanente au Setca de Namur, pour le commerce et le non-marchand. En 2001, Anne Demelenne devient Secrétaire régionale de Namur, tout en continuant à assumer la permanence du secteur commerce. Elle s’occupe en outre des secteurs « finances » et « presse écrite ». En mars 2005, elle accède à la vice-présidence de la section régionale de la FGTB de Namur. Elle assume également le mandat de présidente du Bureau wallon des femmes FGTB. Elle est secrétaire générale de la FGTB et présidente de l’Interrégionale wallonne depuis juin 2006.
Source : http://www.michelcollon.info
Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB depuis juin 2006 nous reçoit au 5e étage du siège national de la FGTB, rue Haute à Bruxelles, dans le quartier des Marolles et à un jet de pierre du Palais de Justice. Inquiète mais aussi déterminée face à l’actuelle formation du gouvernement orange-bleu.
Interview par David Pestieau (12-09-2007)
Solidaire : En tant que secrétaire générale d’un syndicat national et bilingue, comptant plus de 1,3 million de membres, quel regard portez-vous sur la situation actuelle où partis francophones et flamands s’affrontent pour une nouvelle réforme de l’Etat ?
Anne Demelenne. Au niveau syndical, on tient le même (type de) langage au nord, au centre et au sud du pays. Dans les années 60, il y a eu toutes sortes d’évolutions, mais elles tenaient compte de certaines réalités et maintenaient une solidarité entre les personnes.
Désormais, il s’agit de tout autre chose. Et la FGTB, elle, souhaite se baser sur les attentes des travailleurs. De quoi ont-ils besoin ? Ils ont besoin de négociations salariales qui restent à un niveau fédéral, sans concurrence entre eux. Ils ont besoin, s’ils sont sans emploi ou malades, d’allocations sociales décentes.
La solidarité interpersonnelle, base de la sécurité sociale, est essentielle et elle a été construite sur une base fédérale. Et doit rester comme telle. Même chose pour le droit du travail. Ce serait aberrant pour des entreprises multisièges, présentes dans plusieurs régions du pays, de pratiquer des salaires différents, des conditions de travail différentes. Ce serait ingérable.
Solidaire : Le président de la FGTB, Rudy De Leeuw a récemment déclaré : « La plupart des propositions flamandes en matière de réforme de l’Etat viennent des patrons flamands. Elles ne sont pas orientées vers des améliorations sociales. » Qu’est-ce qui vous inquiète particulièrement dans les projets actuels ?
Anne Demelenne. Prenons par exemple le chômage. On veut régionaliser le marché du travail pour répondre de manière adaptée à l’offre d’emploi. Qu’est-ce qui se cache derrière ça ? On culpabilise encore plus les chômeurs (alors qu’ils sont des victimes), on leur met la pression maximale pour ensuite limiter les allocations de chômage dans la durée s’ils ne trouvent pas de boulot. Ou on rend tellement basses les allocations qu’elles ne leur permettent plus du tout de subsister (ce qui est déjà le cas pour pas mal d’entre eux). On crée de la pauvreté. Ça c’est le risque d’une régionalisation. Cela ne signifie pas que l’on ne peut pas travailler à tenir davantage compte des réalités et des spécificités de chaque région.
Solidaire : Précisément en Flandre, certains politiciens disent « Wallons=chômeurs= profiteurs ». Que leur répondez-vous ?
Anne Demelenne. Qu’on ferait mieux d’investir pour créer de l’emploi, par exemple dans certains secteurs comme celui de l’environnement. Qu’on pourrait investir beaucoup plus dans la formation des travailleurs !
Souvent on critique les chômeurs, mais on devrait d’abord rappeler qu’en Wallonie il y a 32 demandeurs d’emploi pour une offre d’emploi. Dans ces conditions, on peut être formé, être motivé, on n’a pas d’emploi car il n’existe pas !
Après, si on crée des emplois, il faut faire en sorte que ce ne soit pas des emplois à 1 000 euros par mois, car alors on crée une nouvelle catégorie de travailleurs, les travailleurs pauvres, ce qui est en train de se passer.
Ce qu’il faut, ce sont des approches positives. Au lieu de cela, ce qu’on subit, ce sont des idées purement libérales avec régression sociale à la clé.
Solidaire : Vous avez mentionné dernièrement que moins d’un pourcent des chômeurs avaient été poursuivis par l’Onem pour non-recherche active d’emploi
Anne Demelenne. Comme nous le disons souvent c’est au chômage qu’il faut s’attaquer, pas aux chômeurs. Les chômeurs cherchent du boulot, ce n’est pas de leur faute s’il n’y a pas assez d’offres d’emplois !
Les employeurs dans ces conditions font leur marché. Ainsi, dans les entreprises, on constate qu’on engage beaucoup de gens avec un niveau de formation bien supérieur à l’emploi proposé. On se rend compte de plus en plus que les entreprises n’assurent plus la formation comme auparavant, où la période d’essai était le moment où les jeunes pouvaient se former.
Maintenant avec un système de flux tendu où les employeurs veulent un personnel formé et employable directement, ils cherchent « la perle rare ». Et ils la trouvent car les demandeurs d’emplois sont très nombreux. Les patrons peuvent faire leur choix, leur marché…
Et la régionalisation ne va certes pas répondre à ce problème, au contraire.
Solidaire : Mais en Flandre, les patrons parlent de pénurie d’emplois…
Anne Demelenne. Cela dépend où on met la barre. Il y a une réserve de main d’œuvre importante en Flandre. L’emploi féminin pourrait se développer à condition qu’on mette en place les mesures adaptées, notamment en matière d’accueil de l’enfance. Ce n’est pas tout de trouver un emploi. Il s’agit, par exemple aussi - a fortiori pour les femmes qui, le plus souvent, prennent cela en charge - de trouver une crèche pour la garde des enfants. Plus largement, il faut pouvoir être dans les conditions d’accepter un emploi (mobilité, présence ou non d’un parent âgé à la maison, etc.) Quand il n’y a plus de place dans les crèches ou que le coût est trop élevé, que fait-on ? Par ailleurs, beaucoup plus de personnes issues de l’immigration pourraient être embauchées mais les employeurs doivent vouloir le faire. L’ABVV (la FGTB en Flandre) mène d’ailleurs campagne sur le terrain là-dessus.
Solidaire : Vous avez dit le 1er mai que « vouloir plus de régionalisation veut dire affaiblir la sécurité sociale avec l’idée d’en privatiser les bons morceaux (la santé représentant 10% du PIB) ». Privatiser, c’est vraiment un des agendas cachés ?
Anne Demelenne. C’est clair. La régionalisation cache une tentative de faire reculer socialement des pans entiers de la sécurité sociale. A partir du moment où on ne base plus les soins de santé, par exemple, sur une solidarité entre les personnes, on entre dans une logique budgétaire, financière. Et si les moyens ne sont pas suffisants on va vers un recul en termes de services pour les usagers. Sauf… pour ceux qui voudront garder un niveau de soins tel qu’on le connaît à l’heure actuelle et qui en ont les moyens. Ceux-là se tourneront vers l’assurance privée. Cela va coûter très cher. Pour garder le même niveau, ils vont devoir payer et en cas de risques, ils vont devenir indésirables. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe avec l’assurance auto. Vous recevez une lettre de votre assureur qui vous écrit : « vous avez eu autant d’accidents, vous êtes prié de trouver une autre compagnie car on ne vous assure plus. » Si ce n’est pas profitable, on vous élimine du circuit.
Solidaire : Vous avez aussi été très critique sur l’orientation pour le moins libérale de la note Leterme qui a servi de base à la première tentative de mettre sur pied une coalition orange-bleue. Pourquoi ?
Anne Demelenne. Vous savez, jusqu’à maintenant, côté syndical, on est évité, voire ignoré en termes de propositions. Mais ce n’est pas un hasard, c’est une réaction ultra-libérale. Ces formations politiques veulent à l’avenir résoudre les choses entre gouvernement et employeurs. Les textes sont édifiants sur la politique qu’ils veulent mener dans les années à venir, une politique ultra-libérale au service des employeurs. Et je dis au service des employeurs, pas au service des entreprises : c’est-à-dire pas au service des travailleurs et du travail.
Est-ce dans l’intérêt des entreprises que les travailleurs pratiquent les heures supplémentaires à tire larigot ? Quand on sait qu’il y a un burn-out (épuisement) au niveau du travail notamment dû aux nombres d’heures prestées. Or avec moins de flexibilité, on pourrait créer de l’emploi. Mais la proposition de Leterme est de rendre les heures supplémentaires moins chères que les heures normales ! Ce gouvernement ne se forme pas dans l’intérêt des travailleurs.
Il y a bien d’autres exemples. En réalité, la régionalisation c’est un écran de fumée pour faire passer les idées néo-libérales et des reculs sociaux considérables.
Solidaire : Visiblement votre syndicat arrive à faire coexister au quotidien néerlandophones et francophones. Qu’est-ce qui fait la différence avec les partis politiques séparés par les barrières linguistiques… ?
Anne Demelenne. Nous avons une démocratie au sein de la FGTB particulièrement vivante. Il n’y a pas de sujet tabou. Mais dans notre analyse et dans la recherche de solutions, on essaie de voir quel est l’intérêt des travailleurs. Quand on part de ça, les problèmes institutionnels se posent nettement moins. Un allocataire social flamand, wallon ou bruxellois vit les mêmes difficultés. Nos solutions partent des problèmes du terrain et pas d’enjeux politico-institutionnels, électoralistes, ou autres.
On a une communication interne qui fait qu’on connaît ce qui se passe en Flandre et en Wallonie. Au-delà des cultures différentes, on se parle, on se respecte et on a les mêmes objectifs de défense des travailleurs, les mêmes valeurs de solidarité. On n’est pas dans le repli sur soi et dans cette pensée unique.
Solidaire : Il y a quand même eu l’épisode de la scission de la Centrale des Métallos...
Anne Demelenne. Ces deux centrales ont une coupole fédérale et dans les réunions fédérales ils trouvent une unité. On ne tolère pas, au niveau des instances de la FGTB, deux avis : on exige un avis commun pour le métal national, peu importe comment ils arrivent à une position commune.
Solidaire : Passons à d’autres points de l’actualité sociale à venir. Vous avez attiré l’attention sur un dossier, celui de la flexicurité, que vous appelez la flexiprécarité. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Anne Demelenne. C’est le dossier de tous les dangers dans les mois qui viennent. On sait qu’au niveau de la Commission européenne, ils ont travaillé à un livre vert. Ce qu’ils proposent ? Ils disent que le droit du travail est un frein par rapport à la création d’emplois. Puisqu’il y a beaucoup de flexibilité à l’heure actuelle, il faut qu’elle s’accentue et qu’elle se généralise.
En contrepartie, on offrirait un peu plus de sécurité au niveau de la sécurité sociale. Mais pour nous, c’est un jeu de dupes. La flexibilité risque d’augmenter et les systèmes de protection sociale ne vont pas s’améliorer, vu qu’on les compare à la moyenne européenne. Ce qu’ils veulent en clair c’est raboter les préavis et diminuer la protection des travailleurs.
On fera tout pour s’y opposer. On le fait en amont car on sait que si ça passe au niveau européen,il y a une directive qui sera traduite après dans la législation belge.
Solidaire : Y aura-t-il des élections sociales en mai 2008 ?
Anne Demelenne. Il sort quand votre journal ? (Rires.) La décision tombera probablement dans les prochaines semaines. Il y a de fortes chances qu’elles aient bien lieu à la date prévue. Les élections sociales c’est un moment de démocratie sociale, et on n’a pas envie que ce soit un rendez-vous manqué.
Solidaire : Vous avez fait vos « armes » syndicales dans le secteur de la grande distribution où le syndicat était inexistant fin des années 70. Quel message avez-vous à transmettre à ces syndicalistes qui essaient de construire le syndicat dans de nouvelles entreprises ?
Anne Demelenne. Ce qui était très intéressant dans les grands magasins, c’est que les gens se rendaient compte spontanément qu’en tant qu’individu isolé ils avaient peu de chances de se faire entendre et respecter par leur employeur. Et qu’ensemble, ils étaient plus forts. Cette solidarité était spontanée et a permis l’émergence du syndicat tout naturellement.
La grosse difficulté aujourd’hui est que les gens sont plus individualistes et se disent qu’ils peuvent s’en sortir tout seuls. Ces personnes ne se rendent compte de leurs limites que quand ils sont en difficulté, lors de restructurations. Ce n’est, malheureusement qu’à ce moment-là qu’il y a une prise de conscience.
Je n’ai pas de leçons à donner, mais si on parvient à faire comprendre aux gens que c’est la réaction collective qu’on parvient à mettre en marche qui peut leur assurer un maintien d’emploi, un salaire correct… on a fait un grand pas pour construire l’organisation syndicale…
Nom : Anne Demelenne
Née à Marche-en-Famenne, le 17 octobre 1957
Mère d’un fils de 17 ans
Le parcours d’Anne Demelenne à la FGTB débute au sein du Setca du Luxembourg en 1981. En 1995, elle devient permanente au Setca de Namur, pour le commerce et le non-marchand. En 2001, Anne Demelenne devient Secrétaire régionale de Namur, tout en continuant à assumer la permanence du secteur commerce. Elle s’occupe en outre des secteurs « finances » et « presse écrite ». En mars 2005, elle accède à la vice-présidence de la section régionale de la FGTB de Namur. Elle assume également le mandat de présidente du Bureau wallon des femmes FGTB. Elle est secrétaire générale de la FGTB et présidente de l’Interrégionale wallonne depuis juin 2006.
Source : http://www.michelcollon.info