En ce début de soirée du vendredi 22 juin, voilà ce qu’on sait – ou croit savoir – sur l’affaire de l’avion d’attaque F4 turc disparu en mer vers midi (heure locale) au large du littoral syrien.
L’avion a bien été abattu par un missile sol-air syrien. Par erreur ou en réaction à une violation objective de l’espace aérien syrien ? Apparemment par erreur, puisque le Premier ministre turc Erdogan aurait annoncé en fin d’après-midi que les autorités syriennes avaient présenté au gouvernement turc des excuses « très sérieuses » pour l’incident, et même fait part de leur « grande tristesse » pour ce qu’elles reconnaissaient comme une « erreur« .
C’est un éditorialiste du quotidien Habertürk qui a rapporté les propos d’Erdogan, sur la base d’une discussion informelle avec lui, et non d’une déclaration officielle. Mais cette version relayée par la BBC n’a finalement pas été confirmée officiellement pour l’heure par le Premier ministre turc. Ni d’ailleurs, à notre connaissance, par le gouvernement syrien.
On est toujours sûrs de rien
Le fait que des unités navales syriennes aient participé aux recherches des deux pilotes, conjointement avec des navires et des hélicoptères turcs – information confirmée par Erdogan lui-même – corrobore a priori cette thèse de la méprise reconnue. Toujours selon Erdogan, actuellement en visite au Brésil dans le cadre du sommet du G20, les deux pilotes seraient en vie. Même si en début de soirée on était toujours sans nouvelles d’eux. Selon certaines sources, ils seraient dans les mains des Syriens, mais là encore pas de confirmation, ni d’Ankara, ni de Damas.
Toujours est-il que l’incident était suffisamment grave pour que Recep Tayyep Erdogan, à peine rentré du Brésil, convoque en début de soirée une réunion gouvernementale de crise avec ses principaux ministres, le chef d’état-major de l’armée et le chef des services secrets. Connaissant l’extrême hostilité du chef du gouvernement turc à Bachar al-Assad, on a un peu de mal à penser qu’il pourrait se contenter d’excuses même officielles.
Des zones d’ombre subsistent, c’est le moins qu’on puisse dire. L’avion turc a-t-il été vraiment touché par erreur, ou abattu parce qu’il venait « tâter » les réactions syriennes ? Bref est-ce bien un accident ou une réponse syrienne à une provocation ? Ou une réponse à une provocation qui serait maquillée d’un commun accord en méprise, pour stopper net une escalade ? Question provocation, la haine que porte Erdogan à Bachar al-Assad, sa mégalomanie évidente et le soutien assuré des Américains pourrait avoir poussé le dirigeant, empêtré dans la crise syrienne depuis son début, à un geste bravache.
D’un mal accidentel, un bien géostratégique ?
Si cette thèse était la bonne, Erdogan aurait certes pris une grave responsabilité, risquant un conflit ouvert. Et s’exposant, s’il en restait là et se contentait des excuses du gouvernement syrien, à une certaine perte de prestige personnel. Mais il n’aurait là que ce qu’il mérite depuis longtemps.
En ce qui concerne la Syrie, elle n’a certes pas vraiment intérêt, dans sa situation présente, à se mettre sur le dos une guerre, ou un début de guerre avec son voisin, brèche politique par laquelle tenteraient de s’engouffrer toute une confédération de puissances hostiles, qui cherchent un prétexte en ce sens depuis longtemps. Mais on peut penser qu’Erdogan, qui a déjà des problèmes sanglants avec « ses » Kurdes, n’ira pas très loin.
Et puis, d’un mal sort un bien : même si c’est par erreur, la Syrie vient de prouver en temps réel qu’elle a les moyens de faire du mal à ses ennemis, quand bien même ils disposent de moyens aériens modernes. Ce petit succès « technique » peut faire l’effet d’un stimulus moral à une nation qui se sent depuis trop longtemps assiégée et insultée, à commencer par le gouvernement turc qui héberge le CNS, les bandes ASL et les « spécialistes » occidentaux – CIA et autres – chargés d’encadrer tout ce beau monde et de l’aider à porter la mort et la désolation en Syrie. Il peut en tous cas contrebalancer la nouvelle de la défection d’un pilote syrien. Reste qu’il ne fait à aucun prix heurter le sentiment national du peuple turc, dont au moins une moitié ne soutient pas la politique agressive de son dirigeant.
On peut aussi enfin parier sur la satisfaction des Russes, qui viennent en quelque sorte, même sans l’avoir voulu, d’adresser un avertissement à l’OTAN et en particulier aux Américains, qui ont fabriqué l’appareil abattu : le matériel qu’ils fournissent aux Syriens – au grand dam de l’axe Washington/Londres/Paris – est vraiment « performant »….