Quand un conflit se profile, la manipulation de l’opinion est à l’œuvre. De Syrie, nous recevons des témoignages mettant en doute la version que les médias imposent depuis plusieurs semaines. Voici des extraits de celui de Agnès-Mariam de la Croix. Elle travaille en Syrie à la réhabilitation d’un lieu de culte chrétien. Avec les membres du monastère, elle participe au réseau local et régional de la communauté.
Un nouveau-né très médiatisé
Les manifestations qui ont commencé en Egypte pour atteindre le Yémen, le Bahreïn, la Jordanie, la Libye et la Syrie sont acclamées et favorisées dans les médias mondiaux comme des mouvements légitimes et spontanés. Quoi de plus louable et digne de sympathie que des foules qui réclament la liberté, la démocratie et le changement constructif au sein de leurs pays respectifs dont les monarchies vétustes sont toutes tyranniques et corrompus ?
On nous annonce avec fracas qu’un enfant vient de naître des cendres de l’arabisme moribond : il s’appelle Révolution. Le nouveau-né a été déclaré enfant légitime de la communauté internationale alignée. Pour asseoir sa légitimité, il a eu pour témoins les cousins princiers du Golfe, Qatari en tête. Attendrie par sa naissance, la communauté internationale s’engage à le protéger contre tout mal, même au prix d’une ingérence qui sera, toujours dans son cas, strictement humanitaire. (...) Autour de son berceau une nouvelle arabophonie voit le jour en un phénomène médiatique nouveau.
Ce qui nous pose problème n’est pas le phénomène des manifestations contre les régimes de notre région mais le timing, et l’accompagnement tendancieux qui est réservé à ces dernières de la part des chaînes satellitaires, en coordination parfaite avec certains gouvernements.
Al Jazzirah, huée par les forces de la coalition en Iraq mais transformée aujourd’hui en porte-parole international des valeurs du nouveau Moyen-Orient ; Al Arabiyah, qui s’exprime au nom de la liberté à partir du fief de la plus grande théocratie arabe en Arabie Saoudite ; Al Hurra, née des cendres du régime de Saddam Hussein par insufflation de Washington ; CNN, le vétéran de la guerre du Golfe, la très royale BBC News, France 24, à peine adoubée, dans leurs versions internationale et arabe. (...)
Notre expérience en Syrie
Tant que l’information ne nous concernait pas, nous ingurgitions passivement les nouvelles savamment orchestrées des autres pays en souffrance. Mais, lorsque il s’est agi des évènements en Syrie, nous avons commencé à nous rendre compte que ces chaînes n’informent pas. Elles cherchent à infléchir le cours des évènements par des moyens virtuels perfectionnés. Ce faisant, elles représentent un totalitarisme d’un type nouveau qui manipule l’opinion publique.
Il nous a été aisé de découvrir que les données médiatiques sont soumises à un subtil filtrage qui fausse leur sens. On les traite d’une manière sélective pour aboutir à une image donnée de la situation et, ce qui est pire, l’orienter insidieusement dans un sens voulu.
Par exemple : une nouvelle « source » de renseignements pour ces chaines est qu’elles quémandent les messages MMS. Ces messages téléphoniques sont souvent l’unique source d’information visuelle ou sonore pour retransmettre ce qui se passe. Nos jeunes ont été sollicités, par des SMS ou par des mails, à envoyer ces documents aux chaînes avec, en contrepartie, une rémunération financière promise.
Ainsi, tout et n’importe quoi est offert sur ce marché dérisoire de l’information. Un de nos contre-maîtres m’a montré un vidéo-clip local réalisé par des jeunes syriens pour illustrer une chanson arabe. On y voit une bande de jeunes habillés de noir circulant armés dans des voitures décapotables. A notre grande stupéfaction, cette même vidéo a été montrée sur la chaîne Al Jazeera comme étant la preuve de l’arrogance des services secrets syriens !
Comme cela a été attesté sur l’excellent Blog Syria Comment de Joshuah Landis, on arrive à transmettre le contraire de ce qu’attestent les personnes interviewées. Le Colonel Uday Ahmad témoigne qu’il roulait avec son beau-frère le colonel Yasir Qash’ur sur l’autoroute près de Banyas, le 10 avril dernier, lorsque des tirs les ont pris en chassé-croisé et ont tué sur le coup Qash’ur et huit autres soldats. A qui voulait l’entendre, le Colonel Uday a affirmé qu’ils n’avaient pas été tués par l’armée, mais dans un guet-apens d’inconnus. On lui a fait dire le contraire.
De même, sur ce blog, on fait état du journal anglais The Guardian qui assure que des soldats syriens avaient été fusillés parce qu’ils refusaient de tirer sur la foule et se réfère à une vidéo sur YouTube où, en réalité, l’intervieweur harcèle un soldat blessé pour lui arracher l’aveu qu’il avait refusé de tirer sur les gens. Question : quand vous n’avez pas tiré que s’est-il passé ? Le soldat ne comprend pas la question parce qu’il venait de dire qu’il n’avait pas reçu des ordres pour tirer sur les gens, aussi répond-t-il : « Rien, les tirs ont commencé de toutes les directions ». L’intervieweur répète sa question d’une autre manière en demandant : « Pourquoi tiriez-vous sur nous, des musulmans ? ». Le soldat lui répond : « Je suis aussi un musulman ». Alors l’intervieweur lui demande : « Pourquoi alors alliez-vous tirer sur nous ? », et le soldat de répondre : « Nous n’avons pas tiré sur les gens, on nous a tiré dessus depuis le pont ».
Non seulement ces soldats sont les cibles de mercenaires, mais les médias s’évertuent à en faire des bourreaux !
Des ingérences étrangères dans les évènements
Quel zèle haineux a soudainement envahi les rédactions des médias pour qu’ils puissent à ce point mentir dans l’agencement de l’image et du son ? En campagne au nom de la liberté, les voici qui commencent par nous imposer un totalitarisme de l’opinion qui surpasse en efficacité celle des pires régimes d’antan. Il est décrété que les peuples arabes doivent se révolter et changer de régime à l’aveuglette et à n’importe quel prix. Il est clair qu’on cherche à créer un vide sécuritaire et à affoler l’habitant. Parallèlement les médias soufflent sur le feu pour l’amener au paroxysme. Ces agissements sont loin de la déontologie journalistique, ils sont manipulateurs, ils devraient être stigmatisés.
Alix Van Burren, reporter vétéran de La Repubblica, est à Damas et il a envoyé un rapport sur le rôle possible d’agitateurs à la solde de Khaddam à Banyas. Dimanche, deux personnes de l’entourage de l’ex-vice président ont été arrêtées. Des membres d’associations des droits de l’homme ont confirmé qu’ils étaient en train de semer le trouble en distribuant de l’argent et des armes. Haytham al Maleh, de l’opposition, a été le plus explicite à montrer du doigt l’interférence des gens de Khaddam qui « joue avec le sang des innocents » dans et autour de Banyas. Il a aussi mentionné les chiens galeux, loyaux de Rifa’t al Assad, oncle mafieux et déchu de Bashar El Assad. Ces gens, d’après la Repubblica, sont actifs sur la côte entre Tartous et Lattaquieh.
Depuis l’assassinat de Rafic Hariri au Liban, son fils Saad qui accuse la Syrie d’avoir commandité le meurtre cherche à affaiblir le régime, voire à l’éradiquer par tous les moyens. La semaine passée nous avons lu dans Wikileaks que ce même Saad Hariri avait demandé aux USA de mettre fin au régime de Assad stipulant que Khaddam et les Frères Musulmans, aidés de Hikmat Al Shebahi, pourraient remplir le vide occasionné. Depuis quelques années, nous savons que des armes passent par les montagnes qui nous entourent, limitrophes avec le Liban, difficilement contrôlables. Pas plus tard qu’hier un tracteur a été intercepté contenant des armes, il est passé par devant notre monastère.
Depuis les années 60 le fondamentalisme sunnite cherche à émerger au sein des régimes arabes. Réprimés par ces régimes, les Frères musulmans et les djihadistes salafistes ont constitué des réseaux occultes qui ces dernières années ont infiltré des jeunes désœuvrés. Certains, dans notre village, ont été enrôlés pour se battre à côté de Al Qaeda en Iraq. Ils ne sont jamais revenus.
Ce qu’on croyait être de simples ouvriers égyptiens, des résidents jordaniens ou libanais ou des réfugiés irakiens faisaient partie, en réalité, de cellules dormantes qui s’équipaient pour un scénario de renversement du régime savamment élaboré entre diverses capitales et patronné par certaines grandes puissances et quelques pays arabes.
Cependant, et c’est le comble, ces médias et leurs invités tournent en dérision toute nouvelle concernant l’implication de tiers personnes dans les évènements en Syrie et se hâtent de démentir les preuves apportées de l’implication active de régimes et de factions à l’arrière-fond des évènements en Syrie, avec la présence de mercenaires professionnels armés et équipés.
Des informations assurent le contraire. Des mercenaires circulent un peu partout. Le cousin de notre tailleur de pierre allait au restaurant depuis une semaine. Une voiture sans immatriculation passe près de lui et l’abat à bout portant. Hier à Deir Atiyeh, village cossu à quatre kilomètres du nôtre, un groupe armé a tiré sur le restaurant le plus sélect et a endommagé plusieurs magasins. La présence de ces mercenaires a fait que nos jeunes des quartiers chrétiens de Homs, Rableh, Qusayr, Dmaineh, Jousseh, ont formé des comités populaires pour fermer l’entrée des ruelles et villages et s’assurer de l’identité de tout arrivant. Ils témoignent que les forces de sécurité elles-mêmes acceptent d’être fouillées. Nos jeunes de Homs ont poursuivi et attrapé des fauteurs de troubles, qui étaient des étrangers de nationalités irakienne, libanaise ou égyptienne, armés et arborant des téléphones portables type Thuraya (connectés par satellites).
Mais ce qui donne le frisson est le récit que m’a fait ce matin un témoin oculaire. G. qui est institutrice, membre de notre paroisse et très proche de notre monastère depuis des années :
« Les manifestants que nous avons vu déferler le jour des Rameaux ne sont pas de Homs. Ils nous demandaient comment se diriger dans les rues. Beaucoup sont des gamins qui portent des sortes de pantoufles. Ces adolescents se sont targués devant nous de « gagner de l’argent », de sommes d’argent qui leur ont été distribuées pour participer à la manifestation. Pour quelques-uns c’était 500 livres syriennes la journée, pour d’autres c’était 1000 livres syriennes.
Nous avons entendu nos voisins se répéter les uns les autres : « D’où viennent ceux-là et pourquoi doivent-ils s’exprimer chez nous à notre place ? ». Les gens de Homs avaient peur et se barricadaient chez eux. Les manifestants étaient mal élevés, des Hardabasht. A 18h30 ils se sont arrêtés à l’église Saint Antoine des grecs-orthodoxes à Bab El Sbah et ont parlé insolemment avec les Pères Wahib Bitar et Tohmeh Tohmeh qui faisaient les prières des Rameaux. Ils les ont interrompu et leur ont intimé l’ordre de se dépêcher pour terminer. Du jamais vu en Syrie où la coexistence islamo-chrétienne est idéale.
Nos jeunes étaient à leur poste à l’entrée des quartiers sous le contrôle des comités populaires. Ils ont réussi à empêcher l’accès de nos quartiers aux manifestants.
Les manifestants ont continué leur chemin, cassant des magasins, brûlant des pneus et molestant les passants. Ils proféraient des paroles vulgaires et insultantes. On a tiré sur des gens à bout portant puis on les a coupé en morceaux pour causer la plus grande frayeur au public. Durant leurs obsèques tout Homs était bouleversé et acclamait le Président. Mais les médias étrangers n’ont donné aucune importance à cet incident. Ils attribuent tout à des « coups montés » du régime.
Le lendemain après-midi, les manifestants sont revenus. Les services d’ordre ont remarqué qu’un immeuble en réfection était infiltré par des snipers. Ils ont entouré l’immeuble pour se saisir des snipers et ont demandé aux forains d’éteindre toute lumière. Quelques-uns des snipers qui cherchaient à fuir ont été touchés par les balles de nos soldats. Ils ont été transportés à l’hôpital militaire. Le médecin en chef de cet hôpital, Dr. Kasser Finar était bouleversé en nous racontant que ces snipers étaient des syriens venus des villages reculés aux confins du désert. Ils étaient drogués au point de ricaner tout le temps et de n’avoir aucune sensation de souffrance.
Hier l’armée a mis la main sur une cache d’arme importante à Homs, dans la mosquée de Mreij à Bab El Sbah.
Ce soir les manifestants se sont rassemblés autour de la place de l’horloge qu’ils ont nommée « place de la libération ». Nous les avons entendus vociférer sans arrêt durant la nuit des slogans effrayants : « Le front de Homs proclame le Jihad, habitants de Homs, au Jihad ! ». Mais personne de la ville n’a bougé. Vers 4 heures du matin nous avons entendu des salves d’armes à feu et le matin quel fut notre soulagement de voir que toute cette foule hirsute avait été dispersée. Aujourd’hui Homs est comme en état de siège. Personne ne peut rentrer à Homs mais on peut en sortir. Nous avons tous vu que ces manifestants étaient des occupants à la solde d’une entité extérieure à la Syrie. On nous dit que ce sont des salafistes. Nous n’avons aucune hésitation à le croire, nous avons vu de nos yeux leurs agissements. Ils ne sont pas des nôtres (...) »
Témoignage de M.S. étudiant de Qâra, résidant à Homs,
« Le mercredi 19 avril, j’étais à Homs. J’habite près de l’université Baath, à côté du rond-point du président. En marge des manifestants j’ai vu des voitures 4x4 équipées avec de grosses mitraillettes bien fixées sur l’arrière. Un milicien se tenait derrière la mitraillette et tenait la gâchette appuyée pour cribler de balle tous les magasins de la rue commerçante qui va du rond-point au centre-ville. Les gens qui circulaient s’aplatirent sur le sol, il y eu quelques blessés. Les jeunes du comité populaire avec les forces de l’ordre finirent par tirer sur le véhicule qui dérapa. Nous accourûmes pour maîtriser ses occupants. Ils étaient trois. Quel ne fut notre étonnement de voir qu’ils étaient dans un état inexplicable, comme drogués. Celui qui actionnait la mitraillette avait été blessé par une balle qui avait laminé son bras en profondeur, mais il riait aux éclats, insensible à la souffrance. Ces gens ont été arrêtés et transportés ailleurs par les forces de l’ordre. »
En recueillant les témoignages de nos amis à Damas, nous relevons plus ou moins le même scénario. Les gens, jeunes et adultes confondus se rassemblent au sortir des mosquées, ou à une autre occasion. Ils s’avancent dans une manifestation pacifique. A l’intérieur de la foule il y a des groupuscules qui commencent à faire monter la tension. Les slogans deviennent plus violents et fanatiques. A un moment donné ces intrus commencent à commettre des actes violents : casser des magasins, brûler des voitures, s’en prendre aux passants ou aux forces de l’ordre. L’ensemble des manifestants n’est pas forcément au courant de ces agressions qui se déroulent à un bout de la file de la manifestation. A un moment donné des snipers ou des gens armés de l’intérieur de la foule, tirent tant sur les forces de l’ordre que sur les manifestants. C’est la débandade. Les séquences de vidéo sont prises à ce moment-là pour prouver que les forces de l’ordre ont tiré gratuitement sur une foule pacifique.
(...)
Aussi, pour notre part, nous sommes loin de reconnaître dans les manifestations qui envahissent le monde arabe en général, et la Syrie en particulier, un quelconque printemps, au contraire nous préconisons le maximum de retenue et de prudence. Nous n’y voyons qu’un acte hivernal impitoyable pour nous enrôler dans un nouveau façonnement qui plaise aux maîtres du monde. Et la preuve est à bout portant, nous lisons dans le Figaro du 18 avril que les USA ont financé l’opposition en Syrie : « Selon le Washington Post, la chaîne Barada TV est proche du Mouvement pour la justice et le développement, un réseau d’opposants syriens exilés. Le Département d’Etat américain a financé ce mouvement à hauteur de 6 millions de dollars depuis 2006. L’administration américaine a commencé à financer des figures de l’opposition sous la présidence de George W. Bush quand ce dernier a rompu ses relations avec Damas en 2005. Les financements ont perduré avec le président Barack Obama…. »
Nous lisons aussi à propos des évènements en Egypte, jugés si spontanés que la plupart des commentateurs disent que les USA et leurs alliés ont été pris de vitesse et qu’ils cherchaient à se rattraper en Libye.
(...)
Un dialogue serein entre les diverses composantes de la Syrie
Jamais une ingérence étrangère ne pourra remplacer le dialogue dans une famille, une région ou une nation.
Un changement réalisé par la force coûtera cher laissant présager le pire des scénarios à l’avenir. C’est l’inconnu et l’horreur du vide, même si les médias et leurs distingués invités semblent confiants dans l’avenir et pressent vers la déstabilisation du régime. Sous cette angle les protestations violentes nuisent à la cause de la vraie réforme.
Notre désir est que l’on cesse de mettre de l’huile sur le feu et nous opposer aux formes dévoyées de toute ingérence tendancieuse qui ne peut qu’être intéressée, et ce faisant aveugle et insensible au bien de la patrie.