Le Monde a publié hier un intéressant récit des événements du 13 novembre. Il est le produit d’une lecture des 6.000 procès-verbaux de l’enquête. Les détails donnés sont vraiment curieux, et posent quand même quelques questions de vraisemblance.
6.000 documents pour le 13 novembre
On posera une question méthodologique de base : comment résumer, même en deux pleines pages, 6.000 documents établis en six semaines d’enquête ? La question tient à la fois de la méthode journalistique et de la méthode historique. L’article est signé par trois journalistes, mais comportent peu de renseignements sur la façon dont il a été écrit. Au bas mot, chaque journaliste a eu vraisemblablement peu de temps pour digérer 2.000 documents et en apporter la synthèse à ses collègues avant publication.
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Le 13 novembre et les frères Abdeslam
Autre problème dans la version du Monde : les frères Abdeslam sont réputés s’être trouvés à Paris le 12 novembre au soir. Mais un témoignage recueilli quelques heures après les attentats les situe à Molenbeek ce soir-là. Ils s’y seraient disputés dans la rue, autour d’une histoire d’argent.
Il est vrai que ce témoignage « belge » n’est pas très facile à manier pour la version officielle. Il laisse à penser que Brahim Abdeslam attendait une somme d’argent en échange de sa participation aux attentats. Cette vénalité correspond d’ailleurs assez bien au portrait de ces hommes décrits comme des petits voyous, jouisseurs et désargentés, mais elle percute la version officielle d’un kamikaze épris d’Islam.
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Ce qui est gênant dans la version du Monde tient évidemment à la précipitation dans laquelle elle nous est servie, et qui laisse entières des zones d’ombre dont l’importance paraît cruciale.
Premièrement, le rôle exact d’Abrini reste toujours compliqué à comprendre, nous l’avons dit.
Deuxièmement, le Monde explique clairement que deux voitures quittent Bruxelles avec trois passagers en tout : Abrini et les deux frères Abdeslam, dont l’un sort d’une nuit blanche au volant. Quatre autres terroristes les rejoignent à Charleroi dans la Polo, dont Bilal Hadfi, qui vit à Bruxelles (les deux autres sont Français). D’où viennent-ils ? Pourquoi Hadfi ne quitte-t-il pas Bruxelles avec les frères Abdeslam ?
Troisièmement, dans ce décompte, manquent encore Abaaoud et les deux terroristes non identifiés qui explosent à Saint-Denis. La police ne semble avoir aucune information sur l’arrivée de ces trois compères, dont les rôles sont très différents durant les attentats.
Quatrièmement, la police ne sert rien à ce stade sur le cerveau des opérations. Si elle ne conteste plus que ni Salah Abdeslam ni Abaaoud n’étaient pas les commanditaires, elle sèche cruellement sur l’identité de ceux qui étaient au bout du fil, en Belgique, quand les exécuteurs arrivés à Paris passaient leurs coups de téléphone. Ni l’identité de ce « cerveau » ni l’identité du « Juif » dont il est question dans un SMS reçu par un complice belge, Lazez, durant sa garde à vue, ne sont élucidées.
Cinquièmement, le déroulement lui-même des opérations à Paris, à partir de 21h20, comporte encore de nombreuses interrogations. En réalité, la police n’est pas sûre de ce qui s’est passé, et écarte aujourd’hui de nombreux témoignages contredisant sa version pour tenter de conserver des certitudes. Mais, à l’usage, on voit bien qu’on ne sait même pas combien de personnes sont effectivement impliquées dans l’attentat.