Des informations parues dans les journaux français dès le 3 septembre nous apprennent que les programmes d’histoire et géographie des classes de troisième et terminale (série économique et sociale, littéraire et dans la voie professionnelle) vont être « réaménagés, allégés » parce que « unanimement décriés par les enseignants pour leur lourdeur [1]... »
Ainsi, Le Figaro nous apprend, tout en soulignant que le timing choisi par le gouvernement « laisse perplexe », que le ministre de l’Éducation nationale, M. Vincent Peillon, « ne fait toutefois que répondre à une revendication unanime des enseignants et des familles, qui dénoncent des « programmes trop chargés » pour les uns et « mal faits » pour les autres [2].
Selon Le Monde, « l’éducation nationale a considéré ne pas pourvoir (sic) attendre. L’unanimité est si rare dans la profession qu’elle a attiré l’attention du ministère. En avril, cinq syndicats – aux tendances très diverses – avaient lancé une pétition pour dénoncer un “survol indigeste de thèmes qui s’enchaînent à un rythme effréné”. Un groupe d’experts a étudié la question cet été. » Voila pourquoi le Conseil supérieur de l’éducation devra se réunir le 19 septembre, pour s’assurer que le changement sera appliquée cette année. Mais en quoi consiste exactement ce changement ?
Trente à trente-six heures vont pouvoir être « économisées » en troisième, pour vingt heures en terminale. Cependant, pour mieux illustrer la gravité de ces « allègements », penchons-nous sur le cas de la terminale, et notamment sur la première leçon d’histoire qui consistait, avant ce « réaménagement », en une étude au choix parmi les trois thèmes suivants : le centre historique de Rome, la vieille ville de Jérusalem et le centre historique de Paris [3]. Nous aimerions signaler que le CNED (Centre national d’enseignement à distance) choisissait d’aborder « La vieille ville de Jérusalem », et qu’il suffit de feuilleter ladite leçon pour se rendre compte qu’elle est bien plus qu’une simple leçon sur « Le Patrimoine » (Le Monde, Le Figaro) ou sur le « Rapport des sociétés à leur passé » (L’Express) [4], mais un guide complet de l’histoire de la Terre sainte ainsi que du conflit israélo-palestinien. Dorénavant, le lycéen français n’aura plus accès à des clés de lecture essentielles, qui lui permettraient de décrypter la situation actuelle [5].
En effet, la leçon apprend au jeune lycéen que :
Jérusalem n’est pas seulement une ville sainte du judaïsme, mais également du christianisme et de l’islam ;
Israël suit une politique de colonisation qui ne respecte pas les résolutions de l’ONU, qui par plusieurs résolutions prises en 1967 et 1980 a ordonné le retrait des territoires occupés par Israël ;
des fouilles sont constamment initiées par les israéliens dans les lieux de culte palestiniens, quitte à saper la base de mosquées et privilégiant ainsi la conservation du patrimoine « sioniste » de la ville de Jérusalem ;
un enjeu économique existe, seuls les israéliens bénéficiant des recettes apportées par le million de touristes qui visitent Jérusalem chaque année ;
il existe une volonté de densification de la population juive pour compenser la croissance démographique des Palestiniens, beaucoup plus élevée que celle des Israéliens, et notamment en facilitant l’accord de permis de construire aux juifs et en rendant son obtention plus difficile aux Arabes, tout en multipliant les colonies juives pour rendre la situation irréversible ;
ces tensions ont un retentissement international qui divise la Palestine, les pays arabes et musulmans d’un côté et Israël et l’Occident de l’autre, tout en soulignant que les forces en présence sont incontestablement en faveur d’Israël.
Bien sûr, cette leçon n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Nous sommes aussi en mesure de nous poser des questions sur les conséquences de la suppression de leçons qui traitent de la Russie de Poutine ou des processus et acteurs de la mondialisation, avec tout un chapitre visant à en débattre et à la contester.
Dans son article dans Le Point, Pierre Beylau se pose légitimement les questions suivantes : « Comment comprendre la crise actuelle en Syrie si l’on fait l’impasse sur le démembrement de l’empire ottoman après la guerre de 14-18 ? Si l’on ne sait pas que les accords franco-britanniques Sykes-Picot ont, en 1916, divisé le Proche-Orient en deux zones d’influence ? Si l’on fait l’impasse sur l’entrée des troupes françaises à Damas et la proclamation par la France du Grand Liban en 1920 [6] ? »
En dernier lieu, ajoutons que Le Figaro nous explique que « cette mesure n’est toutefois qu’une étape pour le ministre de l’Éducation nationale, qui prône une refonte en profondeur des programmes d’ici à 2017. Il doit installer un nouveau Conseil supérieur des programmes « d’ici à quelques semaines. » Il y aura “trois ans de travail pour redéfinir les programmes de l’école française, une des clés de la réussite” des élèves, estime Vincent Peillon. »
Amine Saadouni et Carole Bourgeois