Mahmut Tanal n’en revient pas. Avec des centaines d’autres manifestants venus célébrer le 1er mai, le député de l’opposition turque vient de se faire charger sans ménagement par la police, qui a fait de la place Taksim d’Istanbul une forteresse imprenable.
"Ce gouvernement se comporte comme dans la pire dictature", fulmine l’élu du Parti républicain du peuple (CHP). "Le peuple, le droit, la justice, les tribunaux, il s’en moque éperdument", poursuit-il devant ses troupes, "mais je vais porter plainte pour qu’il soit puni pour l’agression dont je viens d’être victime".
A quelques mètres de lui, le grand boulevard qui mène vers les bureaux stambouliotes du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, dans le quartier de Besiktas, est encore noyé sous les fumées des premiers tirs de gaz lacrymogène de la journée.
Dès le début de la matinée, les forces de l’ordre ont appliqué à la lettre les ordres tombés d’Ankara. La place Taksim, le cœur de la fronde qui a fait vaciller le chef du gouvernement il y a un an, est interdite aux manifestants, et le moindre rassemblement dans ses alentours sera dispersé.
"Manifester le 1er mai est un droit constitutionnel partout dans le monde", rouspète Mahmut Tanal, "le gouvernement n’a pas le droit de faire ça".
Venus par centaines, les jeunes gens casqués et équipés de masques à oxygène ont à peine eu le temps crier leurs slogans et de déployer une banderole recouverte du portrait des huit personnes mortes lors des manifestations de 2013.
"Tous unis contre le fascisme !", "Taksim partout, résistance partout" ou encore "l’État meurtrier paiera", ont entonné les contestataires, pour l’essentiel des militants du CHP, le principal parti d’opposition, ou de l’extrême-gauche.
Mais les forces de l’ordre ne leur ont pas laissé le temps de s’installer. Après les sommations d’usage, les canons à eau ont balayé l’avenue de leurs puissants jets et éparpillé la foule comme une volée de moineaux.
Guérilla
Aux tirs de billes en plastique et de grenades lacrymogènes, les manifestants ont riposté par des jets de bouteilles ou de pierres, jouant au chat et à la souris avec les forces de l’ordre dans les petites rues qui mènent à la place Taksim.
Pas question de céder aux injonctions du Premier ministre et de laisser la rue à "sa" police, ont-ils assuré, déterminés à en découdre toute la journée.
"Le 1er mai, c’est la fête du peuple, des travailleurs et des prolétaires, on ne lui laissera jamais, ce serait se renier", a grondé Sema Kalkan, une jeune militante du Parti communiste turc casquée de jaune. "Qu’il ait peur de nous !"
L’an dernier déjà, des affrontements avaient opposé policiers et manifestants le 1er mai autour de la place Taksim, symbole alors fermée pour des travaux d’aménagement.
Et depuis la fronde qui a agité le pays pendant les trois premières semaines de juin 2013, le Premier ministre y a systématiquement interdit tout rassemblement. Dopé par l’éclatante victoire de son parti aux élections municipales du 30 mars, il a reconduit son interdiction pour ce 1er mai, malgré les critiques des syndicats et de l’opposition, qui considèrent Taksim comme un lieu emblématique des luttes sociales.
Selon les médias turcs, quelque 40 000 policiers et une cinquantaine de canons à eau ont été mobilisés jeudi pour "protéger" la place. Toutes les rues environnantes ont été hérissées de barrières métalliques, la circulation y a été bloquée et la plupart des commerces fermés, donnant au quartier des allures de ville sous couvre-feu.
"Erdogan ne veut pas qu’on prenne la place Taksim et qu’on la transforme en place Tahrir", a raillé un manifestant, Yunus Aksever, en évoquant le cœur de la "révolution" qui a provoqué la chute du président égyptien Hosni Moubarak en 2011. "Mais nous n’avons pas peur", a-t-il poursuivi, "c’est lui qui va trembler".
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