Fidèle à sa manière oblique de rapporter les faits dès lors qu’il s’agit de désigner à la vindicte publique un homme, un groupe ou une idée, le quotidien Le Monde vient de nous fournir un nouvel exemple de ses bonnes manières.
Dans sa livraison du 15 octobre 2013, en page 4, il publie de son correspondant à Rome, Philippe Ridet, un article intitulé « Italie : l’encombrante dépouille du criminel de guerre nazi Erich Priebke. Rome refuse d’accueillir le corps de l’ancien SS responsable du massacre des Fosses ardéatines ». On y lit que le nom de Priebke est, pour les Italiens, « lié à jamais à celui des Fosses ardéatines et à la mort de 335 otages en représailles à un attentat contre une colonne allemande, le 23 mars 1944. » A aucun instant, ni dans ce passage ni ailleurs, il n’est spécifié que cet attentat de la Via Rasella, selon Wikipédia, a d’abord provoqué 32 morts chez les soldats allemands et, par ailleurs, la mort, notamment, d’un jeune garçon italien âgé de 11 ans, Piero Zuccheretti. Le nombre des morts finira par s’établir à 42. Le nombre des blessés sera d’environ 110. En outre, Erich Priebke ne peut être qualifié de « responsable », le capitaine ayant participé à une action de représailles ordonnée de bien plus haut.
L’attentat a été le fait de 16 francs-tireurs ou partisans du groupe à dominante communiste dit « Gruppo d’Azione Patrioticca ». Les auteurs du massacre ne pouvaient ignorer que, selon les lois et coutumes de la guerre, d’immédiates représailles s’ensuivraient, entraînant au minimum dix exécutions pour un assassinat.
Je me suis astreint à reproduire les données de la version anglo-américaine de Wikipédia, qui est relativement longue et dont je conseille la lecture intégrale. On pourrait ensuite en venir à l’étude d’ouvrages spécialisés. On y apprendrait qu’un grand nombre de blessés sont devenus aveugles, que le petit Italien a été coupé en deux par l’explosion, etc.
Les lois et coutumes de la guerre prévoient l’usage de représailles en pareil cas mais elles ne sont guère précises sur le sujet. De toute façon, les belligérants de la Seconde Guerre mondiale ainsi que des guerres coloniales ou civiles en ont tous plus ou moins fait à leur tête. Toute guerre étant une boucherie, les vainqueurs, en fin de compte, se sont montrés de bons bouchers et les vaincus de moins bons bouchers. Le caractère atroce de ces attentats et de ces représailles serait à étudier au cas par cas. Ici les Allemands ont exécuté environ dix otages pour une victime. Il serait intéressant d’aller voir qui, parmi les vainqueurs, a fait mieux ou pis par fusillade, pendaison, incendie, viols systématiques, destruction complète ou quasi complète de simples villages ou de vastes cités, et tout cela, bien entendu, par mesure de « représailles » contre les crimes commis par… la partie adverse.
Le Monde, le journal oblique de Louis Dreyfus, s’entend à insuffler la haine et l’esprit de croisade ad majorem Boni gloriam (en vue d’accroître la gloire du Bien). La pureté de ses intentions, toujours pies, justifie tous les moyens. Son journaliste Jacques Mandelbaum signe dans la même livraison du quotidien (supplément cinéma, p. II) un article consacré à un film américain réalisé en 1942 par Nick Grinde, Hitler, Dead or Alive [Hitler, mort ou vif]. De l’avis de Jacques Mandelbaum, le film est un « nanar », un « hyper-navet », une « piteuse farce guerrière » : « le film est mis en scène avec les pieds » et ses acteurs « y sont absolument catastrophiques ». Mais le film est « savoureux » (le qualificatif nous est répété), le « passage le plus savoureux » étant celui où trois gangsters, après lui avoir rasé la moustache, lui avoir coupé la mèche et l’avoir dépouillé de ses vêtements, tuent Hitler en lui faisant cracher ses boyaux. Et le journaliste de nous citer Quentin Tarantino, l’auteur du film Inglourious Basterds : « Quand les trois gangsters font cracher ses boyaux à Hitler, c’est vraiment un moment agréable. » Pour faire bonne mesure et afin que nul n’en ignore, la phrase est reproduite en médaillon de l’article et en couleur.
Y a bon le mensonge (par omission) ! Y a bon la haine (pour l’amour du Bien) ! Y a bon Le Monde (journal oblique) !