Ces dernières semaines, une situation somme toute banale s’est transformée au Nevada, États-Unis, en une crise sans précédent opposant We, the people [1], au pouvoir central états-unien, c’est à dire le gouvernement fédéral. Cette crise s’est soldée par la défaite du gouvernement fédéral états-unien, qui n’a pas voulu risquer un affrontement qui aurait probablement, littéralement, mis le feu aux poudres.
Mise en contexte
- Cliven Bundy
Cliven Bundy (#Bundyranch sur Twitter) est un rancher (éleveur) du Nevada dont la famille habite ce ranch depuis 1870.
Depuis leur établissement sur place en 1870, les Bundy comme bien d’autres familles du Nevada, ont utilisé des terres pour faire paître leurs troupeaux, devenues finalement terres publiques et propriété du gouvernement fédéral états-unien.
Plus de 80 % du territoire du Nevada est de nos jours public land. Ces public land sont des parcs nationaux, des parcs publics, des aires protégées et des pâturages pour les éleveurs.
Il existe une très longue tradition d’élevage dans l’Ouest US et de nombreux films ont représenté cette tradition, bien que de manière très folklorique la plupart du temps.
Ces terres publiques sont gérées par le Bureau of Land Management (BLM).
En 1993, le BLM a décidé « de protéger une espèce de tortue », la tortue du désert, en modifiant les règles d’accès aux terres publiques pour les troupeaux. C’était la raison invoquée. Ce n’est probablement pas la vraie raison et nous verrons pourquoi.
Depuis lors, les Bundy ont cessé de payer la redevance au BLM pour leur utilisation des terres publiques par leurs troupeaux. Les motifs : ce sont leurs ancêtres mormons qui ont développé ces terres et non le gouvernement fédéral, et la seule redevance qu’ils accepteraient de payer, ce serait au Clark County (une juridiction régionale) et non au BLM.
Bundy ajoute :
« Il y a bien des années, j’avais 52 voisins ranchers comme moi. Je suis le dernier homme debout. Pourquoi ? Parce que le BLM a conduit ces gens à la faillite et hors de leurs terres. »
Les raisons pour refuser de payer la redevance au BLM sont donc politiques. Bundy comme bien d’autres se méfie du Big Government qui règne au loin et qu’il considère comme étranger. Ce courant de pensée est très répandu dans les États de l’Ouest. Ces gens sont profondément attachés à leur terre mais aussi aux valeurs inscrites dans la Constitution et celles liées à leur histoire. Ce sont des conservateurs, souvent très religieux, qui sont peu sensibles aux arguties juridiques et qui veulent protéger leur mode de vie. Ce sont des red necks, surnom employé ici de manière descriptive et non péjorative.
Cette redevance, après 20 ans d’arrérages et d’intérêts, se chiffre autour du million de dollars.
Après des années de débats juridiques et quelques décisions judiciaires rendues contre Cliven Bundy, le BLM a décidé il y a quelque semaines de passer à l’action. Il a fermé l’accès à des zones de terres utilisées par les troupeaux de Bundy et il a saisi 300 têtes, majoritairement les siennes, afin de les revendre pour payer les redevances dues.
Et c’est là que les choses ont commencées à dégénérer.
Mobilisation contre les « feds »
Pour faire court, un convoi du BLM a été bloqué par le fils de Bundy qui, refusant de laisser passer les camions, a été agressé par un chien policier lâché sur l’homme par un agent. Bundy fils s’est défendu de l’agression en frappant le chien et a été conséquemment tasé deux fois.
- Le fils Bundy attaqué par un chien lâché par les agents
La population locale a commencé à manifester son hostilité à ces « étrangers » et le BLM a évidemment fait venir des renforts, des agents armés jusqu’aux dents et même des blindés et des hélicoptères.
Les fédéraux ont commencé littéralement un siège de la ferme et ont établi un cordon de sécurité autour des lieux.
Dès que la nouvelle a été connue, un mouvement populaire s’est organisé pour venir en aide à la famille Bundy.
La population sympathisante s’est mobilisée pour venir l’appuyer et pas seulement que la population.
Des milices de partout aux États-Unis ont décidé aussi de sortir en tant que milice et d’aller appuyer Bundy sur place, avec armes et bagages.
Aux États-Unis, il est légal pour les citoyens de s’organiser en milices de volontaires, de s’entraîner et de disposer d’armes modernes. Ces milices sont généralement très conservatrices et extrêmement méfiantes envers le gouvernement fédéral.
Ces miliciens se sont déployés autour des forces du BLM.
Quand il a été su que des snipers du BLM avaient été déployés pour intimider des protestataires, les miliciens ont aussi déployés les leurs.
- En haut : sniper et spotter du BLM tenant en joue les protestataires
En bas : sniper et spotter miliciens en position de tir vers les forces paramilitaires du BLM
Les protestataires ont été regroupés par les agent du BLM dans des « First Amendment Areas », des zones de liberté d’expression. Le 1er amendement de la Constitution US garantit la liberté d’expression mais ne fait aucune mention de territorialité.
Or, en délimitant une zone dans laquelle les gens pouvaient exercer leurs droits et pas ailleurs, on consacre du même coup l’idée que les droits constitutionnels ne sont pas valides partout et en tout temps sur le territoire US mais seulement aux endroits que les autorités désignent. Cette mesure a été validée par la Cour suprême des États-Unis...
Hier, 13 avril 2014, devant l’escalade en cours, le BLM a littéralement fait une reddition sans conditions. Il a levé le siège et accepté de rendre tout le bétail.
Le sheriff du comté de Clark, Douglas C. Gillespie, a en effet annoncé que le BLM se retirait, remettait tout le bétail saisi à son propriétaire et acceptait même que les bêtes puissent retourner paître comme avant sur les terres en question ! Statu quo ante.
Les supporteurs de Bundy se sont alors dirigés vers les agents du BLM afin de libérer les troupeaux captifs ; le BLM a alors fait savoir qu’il allait tirer à vue sur ceux qui tenteraient de libérer les bêtes.
Le sheriff a calmé le jeu et la tension a baissé.
La crise est terminée. We, The People 1 - Gouvernement fédéral US 0.
Questions en suspens
Pourquoi ce retrait humiliant pour les agents du gouvernement ? Officiellement, c’était pour rétablir la paix et éviter les pertes civiles. Ce n’est pas du tout dans la ligne de pensée normale de ce gouvernement.
Il court toutes sortes de rumeurs, dont celle de l’évincement des fermiers locaux pour faire de la fracturation en vue d’extraire du pétrole du sol (aux USA, les gens sont propriétaires du sous-sol comme de la surface). C’est plus que plausible puisque le BLM vient de récolter 1,27 millions de dollars en redevances de baux de concessions de fracturation hydraulique !
En 2012, la Chine, à travers des prête-noms locaux, voulait installer un réseau de panneaux solaires afin de produire de l’électricité sur ces mêmes terres.
Il semble donc possible et plausible que le BLM ait agi pour le bénéfice d’intérêts privés et au détriment des locaux.
Observations
À propos des USA, on parle beaucoup des milices (toujours qualifiées d’extrême-droite) et du conservatisme des États-uniens du centre du pays. Néanmoins on ne les a jamais vus à l’œuvre dans un affrontement direct et à découvert face aux troupes fédérales, avec un risque élevé de violence.
C’est maintenant chose faite. De très nombreuses milices et de très nombreux miliciens ont répondu à l’appel. Les milices patriotiques ont prouvé qu’elles avaient la volonté et la capacité de mobiliser leurs troupes et de répondre à l’appel.
Bien sûr, elles se sont déjà opposées aux forces de l’État, comme à Phoenix pendant les événements d’Occupy.
Mais elles faisaient plutôt de la dissuasion que de l’intervention.
Cette fois-ci, c’est différent : on sentait la résolution des citoyens-miliciens, de même que celle des citoyens armés et à cheval, venus prêter main forte aux Bundy.
Il n’est pas étonnant que les feds aient reculé et cédé le terrain, malgré la loi qui leur donnait raison et deux jugements de cour qui leur donnaient droit et légitimité, juridiquement parlant, d’agir comme ils ont agi.
Il est plus que probable que des ordres venus d’en haut, de très haut, soient arrivés pour les sommer de se retirer. Cet incident est en effet venu tester la résolution des patriotes états-uniens, c’est-à-dire les fidèles de la Constitution. Force est de constater que les patriotes et les milices ont tenu le coup en étant prêts à tirer les premiers coups de feu de la 2ème Révolution américaine.
Le retrait fédéral, sage dans les circonstances, démontre que le gouvernement des États-Unis n’est pas prêt à livrer une guerre civile qui commencerait par un mouvement sécessionniste rapide et brutal après des affrontements armés et sanglants. Il n’y est pas prêt car il n’est pas certain du tout de la gagner et plus encore, une guerre civile viendrait ruiner totalement et le dollar, et les approvisionnements des États-Unis, et son statut de superpuissance capable de dicter ses volontés sur toute la planète.
N’oublions pas que les États ont des Gardes nationales, des armées d’État équipées souvent des surplus désuets des forces armées, navales et aériennes US mais composées de patriotes ayant servis dans l’armée US. Ces Gardes nationales pourraient très bien être mobilisées contre des agents fédéraux qui viendraient régenter d’un peu trop près les affaires intérieures des États.
Une chose est certaine, le 13 avril 2014 est une date importante dans l’histoire US et elle fera tache d’huile, sans l’ombre d’un doute.
Mise à jour du 14 avril 2014 : il semble qu’au Texas on vive aussi le même genre d’agissements du BLM qu’au Nevada.
Quelques images des affrontements (en anglais non-sous-titré) :
Voir aussi, sur E&R :