De Platon au Christ : entretien avec Camille Mordelynch
24 mai 2023 22:50, par ClemensMême si chez saint Augustin, il y a une forte dépréciation du corps,
Ce n’est pas vrai, lire La Cité de Dieu :
« que les platoniciens cessent donc de montrer le corps à l’âme comme un supplice » (Cité de Dieu, livre XII, chapitre 24)
« ce n’est point la chair corruptible qui a rendu l’âme pécheresse, mais l’âme pécheresse qui a rendu l’âme corruptible » (XIV, 28)
Le mot « chair » ne signifie pas « corps » chez saint Augustin, mais narcissisme, amour de soi, préférence de la créature pour elle-même au détriment de son Créateur :
« Deux amours ont donc bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité de la terre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité de Dieu. » (XIV, 28)
Saint Augustin fait une immense rupture avec la philosophie grecque païenne en affirmant la bonté du temps : que le temps est créé par Dieu et que, en tant que créature de Dieu, il est bon. La rupture est là, elle réhabilite tout le monde corporel, existentiel, « bassement » humain que l’élitisme de la philosophie grecque condamnait et expulsait.
Il y a un devoir du professeur de philosophie d’approfondir les textes, de les affronter directement et d’en racler le fond. On ne peut pas enseigner la philosophie en répétant des manuels écrits par d’autres. Il faut souffrir, se noyer, toucher le fond.
Disons donc que le christianisme voit dans sa construction a posteriori du Nouveau Testament une exacerbation du rejet du corps, voire de l’eros
Contre la philosophie païenne grecque, le christianisme affirme à la fois la bonté inamissible du corps et le courage de l’âme prête à la mort pour défendre l’innocence de l’innocent. Le sacrifice est payé au prix fort, la mort est une vraie perte, il ne s’agit pas d’une « libération du corps » mais d’un sacrifice couteux : le corps est bon, la vie est précieuse, la mort est horrible, mais pourtant, on préférera la justice et le martyr aux trente deniers de Judas...
Vraiment il faut travailler les textes, virilement, dans l’effort et la sécheresse, jusqu’au fond de la pensée de l’auteur. Le « logos » est viril, il va jusqu’au bout, jusqu’au fond des choses, il ne fait rien à moitié, c’est un extrémiste, un « pur et dur ». On lit et relit dix fois, cent fois le texte tant qu’on n’en a pas touché le fond. Et encore, cent fois de plus pour vérifier qu’on n’a rien laissé échapper... Un « philosophe », c’est juste un type qui ne compte pas le nombre de fois qu’il relit un texte.