Par honnêteté intellectuelle, précisons que les Américains ne sont pas les seuls à avoir cultivé l’idée de leur "exceptionnalisme" et avoir légitimé leur domination au nom de la supériorité de leur modèle civilisationnel.
Cette idée romaine a été reprise par la plupart des peuples occidentaux qui ont atteint le statut de puissance dominante : les Anglais, les Français, qui ont développé un messianisme laïc et égalitaire sous la Révolution, Napoléon et sa fameuse "étoile", les Allemands - Hitler rêvait de fonder une nouvelle Rome -, les Américains...
... et les Russes. De ce point de vue, je dirais même que le messianisme russe, teinté de mystique chrétienne, est le plus proche historiquement du messianisme américain. Dostoïevski n’est pas moins exalté que Melville quand il évoque le génie du peuple russe et sa supériorité culturelle. Il n’hésite pas à parler de "Dieu russe" et estime que la peuple russe est le seul à pouvoir "apporter le bonheur à l’humanité".
Les élites Russes ont longtemps cru que la Russie était vouée à devenir la "troisième Rome", le phare culturel et religieux de l’Europe. La doctrine panslaviste est également un messianisme. Jusqu’à l’avènement du communisme, les théories millénaristes et messianistes nourrissent de nombreuses sectes dont certaines sont apocalyptiques (voire antichrétiennes). La Russie tsariste finissante baigne ainsi dans une atmosphère mystique et crépusculaire (Raspoutine...)
Ce messianisme se diluera naturellement dans le messianisme collectiviste et scientifique de l’ère soviétique.
"Chaque grand peuple croit et doit croire, s’il veut vivre longtemps, qu’en lui et lui seul se trouve le salut du monde, qu’il vit pour se trouver à la tête des peuples, les unir à soi et les mener dans un concert uni vers le but final qui leur est destiné."
"La mission du peuple russe est panslaviste et panhumaine."
Dostoievski