Débat entre Piero San Giorgio et Franck Abed
22 juin 2012 14:09, par TremahIl faut quand même nuancer les propos.
L’individualisme du producteur-consommateur autonome et organisé au sens où l’entend Piero San Giorgio n’a rien à voir avec celui du consommateur fébrile et dépendant de nos sociétés post-industrielles, qui est beaucoup plus proche en réalité du nihilisme. Soit une fuite en avant dans le microcosme solitaire par renoncement à tout ce qui transcende traditionnellement le caractère transitoire et limitée de l’expérience individuelle : la famille, la transmission, la patrie, etc.
Beaucoup font l’erreur de confondre l’individualisme (qui est un mode de production et de la relation aux autres) et l’égoïsme. A cette confusion de gauche correspond d’ailleurs une hypocrisie de droite qui consiste à identifier symétriquement altruisme et collectivisme.
Or, un système collectiviste "égalitaire" peut n’être constitué que par la somme des égoïsmes multiples - un peu comme on le constate aujourd’hui en France, où certains, au prétexte de la solidarité, cherchent en réalité à "tirer l’égalité à soi" ou comme on dit prosaïquement à "tirer profit du système" (mentalité libérale). Paradoxe d’ailleurs bien identifié par De Gaulle lorsqu’il constate que le Français est au moins autant préoccupé d’égalité formelle que de privilège particulier.
L’individualisme, c’est tenir compte du fait qu’aucun être conscient ne peut aller durablement à l’encontre de ses propres intérêts, ni privilégier ceux d’autrui à son détriment, sans pour autant remettre en question la nécessaire solidarité entre les hommes.
Le survivalisme constitue donc un prolongement extrême mais logique de la mentalité pionnière américaine, soit un idéal de vie ascétique et laïque exprimant les valeurs du calvinisme originel (autonomie, accumulation sévère, organisation de la vie locale autour de la famille, défiance à l’égard de l’Etat et de l’autorité religieuse) qui, effectivement, ne correspond ni au paradigme français (culte de l’Etat fort) ni au paradigme catholique (l’Eglise régit la vie de l’individu, pas la Bible) : les préventions exprimées par Franck Abed, que je partage en grande partie, ne sont donc pas surprenantes. Piero San Giorgio est par ailleurs Suisse, pays culturellement protestant, même s’il évacue à mon avis un peu trop rapidement ce point de la conversation lorsqu’il est question du malthusianisme.