Abel Bonnard, Éloge de l’ignorance (1/2)
13 septembre 2024 17:25, par Marpa DupontCéline ne s’est pas commis dans le pétainisme comme Abel Bonnard. Pour Bonnard, l’apogée est philosophie de l’histoire et développement général de l’humanité. Pascal avait dit la chose plus simplement, parlant de têtes bien pleines et de têtes bien faites, d’esprit de géométrie et d’esprit de finesse. Dostoïevsky, proche du Villiers de l’Isle Adam des Contes et Nouveaux Contes Cruels, opposait, dans ses Notes du Souterrain, l’homme à la sensibilité supérieure à l’homme d’action. Il lui est peut être apparu, à Abel Bonnard, dans ses fonctions ministérielles d’éducation des masses naturellement rebelles, à toujours remettre au pas, qu’il s’agissait bien de les forcer d’entrer dans un moule préconçu. Le parallèle horticole est judicieux, de même que celui de la fontaine... N’est-ce le propre de l’idéologie, de l’utopie, que de désirer tendre vers ce qui n’est pas, en s’efforçant de donner une réalité à l’épure de l’avenir, de tailler les arbres avant de les planter, une fiction de jardin à la française... Abel Bonnard ne se demandait-t-il pas, lui qui donne à penser ici, qu’il est d’un plain pied ésotérique admis au temple de la connaissance, qui avait bien pu former ce dessein historique singulier, cette boursouflure de la société capitaliste qu’est la classe moyenne, plante de serre bourgeoise, cultivée sur le terreau du peuple, pour servir de fléau d’armes qu’on tournoie au-dessus et au sein du corps social afin d’en abattre les élites et d’alourdir toujours plus la servitude populaire au bénéfice de nouveaux maîtres.
Il y a des questions que ne posent pas les bénéficiaires de l’ascenseur social républicain, qu’ils ne se posent pas. N’est-il pas venu à l’esprit d’Abel Bonnard, comme chez Raffaelle Pettazzoni, historien de l’émergence du monothéisme, que ce rôle de la classe moyenne pourrait un jour prendre fin ? Que cette baudruche pourrait être dégonflée aussi savamment qu’elle fut gonflée ?
Cette illusion n’eut pas de prise chez Céline qui longtemps avait palpé l’étendue, si ce n’est toute l’horreur de la souffrance humaine. Son sarcasme rieur, son esprit de finesse, son oeil de collectionneur de dentelles, son goût des Historiettes de Tallemand des Réaux, perspicace observateur, cohabitaient chez lui avec la compassion du guérisseur, qui soigna aussi à Singmaringen, où il était bien trop tard de se demander quelles étaient les erreurs qui avaient éloigné de la vérité, tellement l’urgence d’en déboucher les chiottes était pressante.