Bernard Lugan est l’un des meilleurs experts contemporains de l’Afrique. Cela dit, étant Français conservateur et patriote, et donc prisonnier de la vision héritée du maréchal Lyautey, il se heurte indéfiniment au même rempart mental infranchissable : l’idée que la relation franco-africaine, née dans le sang, le fouet et la poudre, pourrait magiquement devenir une relation apaisée, une sorte de parrainage désiré des Africains, pour peu qu’on y mette la bonne dose d’ethnographie...
Or, et malgré l’œuvre "civilisatrice" et modernisatrice indéniable de l’imperium français sur les espaces africains, qui a fait émerger des régions entières d’un âge d’ignorance primitif ou de décadence séculaire, Lugan ne sent pas que cette œuvre s’est toujours inscrite dans un rapport de domination/sujétion impliquant un fort et un faible, un colon et un colonisé, un civilisé et un sous-civilisé, et que de ce fait, il est impossible qu’elle se perpétue dès lors que ces espaces auront acquis l’autonomie nécessaire à leur développement.
Quelques soient les bonnes intentions, les Africains sentiront toujours le paternalisme français comme une main écrasante, car nous savons bien nous, ancienne grande puissance, qu’il n’est de grand destin pour une nation que si elle est souveraine et n’a de compte à rendre à personne.
En un mot : Lyautey pilotant avec adresse et grandeur d’âme le sultan du Maroc autour d’un thé à la menthe, si pour Lugan c’est le temps béni des sages politiques africaines, pour le colonisé, c’est le temps de l’humiliation, et nul doute qu’un jour, s’il le peut, il déboulonnera la statue du Maréchal comme l’Egypte l’a fait pour celle de Lesseps.