Moi qui suis habituellement un admirateur de Laurent Guyénot, et de la qualité de ses synthèses, je suis un peu surpris par la « thèse » qu’il développe dans cet article, thèse pouvant être résumée ainsi : Drumont, par son antisémitisme racial et « grossier », a porté atteinte à une critique rationnelle et légitime du pouvoir des élites juives.
Une première remarque s’impose : à supposer que l’on puisse opposer ainsi l’antisémitisme de droite (le mauvais) et celui de gauche (le bon), en quoi ce dernier fut-il « contrait de se taire », comme l’écrit Laurent Guyénot ? Un Jean-Marie Le Pen est-il « contraint » de la boucler parce que sa propre fille part dans une direction presque opposée à la sienne, alors qu’ils portent le même nom ?
Mais surtout, en dépit des quelques concessions faites par Laurent Guyénot à La France juive, le plus célèbre ouvrage de Drumont (« Drumont possède une bonne plume, et son livre n’est pas dépourvu de remarques et d’anecdotes intéressantes »), je me demande s’il a réellement lu La France juive, ou comment il l’a lu. Car pour ma part, j’ai moins vu dans ces deux gros volumes un pamphlet racialiste contre les juifs, qu’un inventaire historique (depuis le Haut Moyen-Âge) de leurs opérations financières, antichrétiennes ou antifrançaises (avec l’aide des Sarrasins, des Albigeois, des protestants, des loges maçonniques…), pour aboutir à une prise de pouvoir que Drumont considère complète dans la société française du XIXe siècle. Encore ceci n’est-il qu’un bref aperçu des méfaits ou défauts imputés aux Juifs par l’auteur, indépendamment de leur « race ».
Qu’on veuille réfuter Drumont là où il s’est trompé, très bien : mais le condamner sur un faux chef d’accusation, ce n’est pas rendre service à ceux qui ne l’ont pas lu.