Le travail de Corben est un véritable miracle graphique et il n’est pas étonnant que ce prix lui soit discerné par ses pairs. Pour quiconque pratique soi-même le dessin il est évident que produire de telles images exige déjà et avant tout une maîtrise technique époustouflante. Corben fait partie d’une génération qui a vu fleurir les auteurs les plus talentueux, que ce soit en Europe (Jean Giraud-Moebius, Philippe Druillet, Hugo Pratt, Liberatore etc.) ou aux Etats-Unis avec Bernie Wrightson, Will Eisner ou Richard Corben, précisément.
Certains commentaires « heurtés » postés ici rappellent que les outrances graphiques de Corben continuent encore et toujours à remplir leur fonction première : bousculer les conventions les mieux établies sur ce qui peut ou ne peut pas être « montré » - « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir ! ». Messieurs les « puritains » et autres « tartuffes » modernes, sachez donc que c’est fait pour et que ce spectacle n’est absolument pas à prendre au premier degré : c’est-à-dire le vôtre de premier degré. Comme pour tous les grands artistes, les images de Corben nous forcent à sortir de ce confort moral et esthétique dans lequel nous avons naturellement tendance à nous confiner, que ce soit par habitude, par intérêt ou pire : par hypocrisie.
Et si les femmes de Corben sont trop ourageusement « potelées » et ses mâles trop radicalement « membrés », que dire de celles peintes par Rubens à son époque ou de certaines de celles sculptées par Rodin (Iris, Messagère des dieux), sans parler de « l’Origine du monde » de Courbet ?
Même le traitement de l’image – couleurs sursaturées etc. – est là pour provoquer le regard jusqu’aux limites de la tolérance, frôlant sciemment l’ « écoeurement », flirtant ironiquement avec les limites du « mauvais goût »… Ce mauvais goût américain dont il a parfaitement conscience.
Corben se joue des clichés, qu’il transcende par un talent graphique dont on a hélas plus aucun équivalent dans la bande dessinée actuelle.