Les organisations religieuses, mystérieuses et autoritaires dans leurs principes, ambitieuses et toutes humaines dans leurs œuvres, vieillissent vite ; les jeunes dieux font seuls des miracles. Le progrès des sciences, dont elles ont toujours la faiblesse de se réclamer, ronge leurs soubassements ; la puissance religieuse tombe ; la foi en la science même faiblit devant les modifications continuelles des théories et l’apparition de faits nouveaux. En même temps qu’il abandonne les erreurs anciennes, l’homme envisage et attend la possession de connaissance illimitées, de forces insoupçonnées que les découvertes quotidiennes rendent sans cesse plus probable ; le bien-être matériel et la richesse deviennent en s’accroissant l’apanage d’un petit nombre, tandis que les besoins, les désirs et les souffrances grandissent aussi, mais pour la masse. C’est que, comme tout corps vivant, une société porte dans sa division organique même le germe de sa destruction futur ; dès que son complet développement est atteint, la spécialisation des fonctions s’accentue, l’opposition des intérêts augmente, la lutte des classes s’exacerbe ; une maladie mortelle mine l’organisme social. Les philosophes, les légistes, les hommes d’état sentent le danger et leur impuissance ; ils se laisse aller au scepticisme, à l’inaction. Ces heures où la religion d’un peuple est morte, où le doute philosophique a pénétré tous les esprits, où les hommes ne cherchent plus dans la vie que l’augmentation des jouissances immédiates et dans la science que le moyen d’y parvenir, où l’inégal répartition des joies et des douleurs s’est accentuée par le long exercice d’un ordre social toujours insuffisant, ces heures sont celles qui précèdent une révolution, et celles aussi qui voient s’élever un de ces êtres assez puissants pour émouvoir encore des âmes trop douloureuses ou blasées à l’excès. MARC HAVEN 1868-1926