Sans revenir sur le processus de "construction européenne" que présente Thierry Meyssan, il y a un point sur lequel je pense qu’il se trompe. Mais il est important de l’exposer, si E&R le permet, parce qu’il éclaire autrement la question du détournement véritable dont l’idée européenne, préexistante et légitime car historiquement cohérente, a fait l’objet, par le noyautage des élites européennes acquises à cette idée.
Thierry Meyssan identifie l’origine nazie de ce projet par le biais de la paternité attribuée à Walter Hallstein. Ce fait, qui semble être le seul indice qu’il ait trouvé, mais peu détaillé, me paraît insuffisant en termes de preuve. On ne peut déduire du rapport d’un fonctionnaire d’État, quand bien même il s’agirait d’un professeur de droit affilié à une amicale de juristes nazis qui aurait eu l’honneur de participer à un voyage diplomatique en 1938, l’existence d’un projet politique qui résulte d’une décision politique. Surtout dans un régime où le Führer avait seul le pouvoir décisionnel suprême, civil et militaire (on sait, par exemple, que le plan du jeune général Manstein d’attaquer par les Ardennes en mai 40, Hitler l’a adopté et modifié seul contre l’OKW).
A-t-on des preuves que ce rapport Hallstein, dont ne connaît pas les termes, a été présenté à Hitler (quand ?) et que celui-ci ait manifesté la volonté de l’adopter pour en faire un projet du Reich ?
Hitler avait indéniablement un plan stratégique pour l’Europe, une idée plus ou moins précise et à bien des égards assez avant-gardiste (objectivement, j’entends, par rapport à notre regard actuel). Cette idée reposait sur la certitude que les conflits futurs allaient opposer des continents et non plus des nations. Le continent européen devait donc être en mesure d’établir une défense stratégique, allant de l’Atlantique à l’Oural et au Caucase. Le fait est que cette idée, qui l’obsédait, a pris un tour différent quand, à partir du printemps 41, il prit définitivement conscience que l’Angleterre ne pourrait être du projet. Or il n’avait jamais caché jusque-là une certaine sympathie pour l’Angleterre et pour ce qu’il considérait être l’utilité de l’empire britannique pour l’équilibre du monde (on le voit bien dans Mein Kampf et il l’a dit à suffisamment de gens pour qu’on ne puisse en douter). Ce nouveau constat a donc bouleversé ses plans. [1/3]