(suite)
Le stoïcisme romain aboutit déjà chez Epictète - un ancien esclave - à une réflexion radicale sur la liberté individuelle et le bonheur, dont s’inspireront tous les auteurs de la Renaissance, mais aussi les Protestants comme Calvin... Épictète évoque la "Providence" sous la forme d’une divinité unique, aspect qui frappera énormément ses premiers lecteurs chrétiens. Et rappelons enfin que le culte païen tardif évolue parallèlement vers une sorte de monothéisme étatique (culte du "sol invictus").
Donc de Benoist se trompe dans sa généalogie de l’individualisme moderne. Au sens où on l’entend aujourd’hui, la modernité naît de la confrontation entre le christianisme et la philosophie antique émancipée du "culte des ancêtres". La religion chrétienne a permis de réaliser un "saut qualitatif", de changement d’époque que la religion ancienne, affaiblie et démoralisée (turpitudes des augures, etc.), ne pouvait pas supporter : elle s’est donc écroulée partout où le christianisme est apparu, et sans grande résistance des populations (en dépit de tout ce que peuvent soutenir les païens modernes).
Pour finir, De Benoist commet une erreur en reliant cet individualisme chrétien, incontestable mais moral, à l’individualisme "industriel" de l’époque contemporaine, en ignorant toutes les médiations historiques complexes qui empêchent d’identifier l’un à l’autre. De Jésus au nominalisme, pour aboutir à l’égoïsme contemporain par l’intermédiaire de Descartes... c’est vite torché !
Il faut aussi se mettre à la place de tous ces esclaves traités ni plus ni moins comme des animaux à l’époque romaine, que le christianisme a élevé à la dignité d’homme, en affirmant l’égalité du pauvre et du riche, du maître et du serviteur à l’intérieur de la communauté religieuse et devant Dieu. Cet "individualisme" là, comment le rejeter ?