Le présent texte est une synthèse de mes prises de parole lors des conférences données dans le cadre de la tournée que nous avons effectuée en Syrie (Damas, Alep, Lattaquié, Tartous, Soueïda) du 28 février au 6 mars 2019. Nous nous sommes exprimés devant les officiels syriens, les dignitaires religieux, des étudiants et des ambassadeurs.
Faille dans le système impérial
L’agressivité grandissante des États-Unis depuis les années 1990 a pour origine un déclin progressif sur les plans économique, militaire et moral. Une diminution de puissance dans un monde de plus en plus difficile à dominer, notamment depuis la réémergence de la Russie et de ses alliés.
Arrivée à un stade régressif avancé et alarmant, l’Amérique avait, durant l’élection de 2016, deux voies qui s’offraient à elle : poursuivre sa course de destruction du monde et d’autodestruction, en choisissant la représentante de l’impérialisme néoconservateur, Hillary Clinton ; ou, avec le vote Trump, se recentrer sur elle-même, dans une logique isolationniste afin de se régénérer, notamment économiquement, et renoncer à l’empire global.
Quoi qu’on dise de la politique de Donald Trump, sa victoire électorale, sur les thèmes du protectionnisme économique et de l’isolationnisme géopolitique fut en soit un tournant historique significatif.
En somme, il symbolisait le rejet du globalisme au profit de la nation, et il a par conséquent ouvert une brèche dans le système impérial, car la remise en question de son idéologie devait entrainer l’accélération de l’affaiblissement de ses structures.
Impérialisme guerrier et globalisme ou isolationnisme géopolitique et protectionnisme ? Tel était, au fond, le clivage idéologique au cœur du débat aux États-Unis durant l’élection présidentielle de 2016.
En pleine période de campagne présidentielle, le chef d’état-major de l’Armée américaine, le Général Mark Milley, avait menacé directement la Russie, la Chine et leurs alliés lors d’un discours public donné durant la réunion annuelle de l’Association of the United States Army à Washington D.C., le 4 octobre 2016.
Ce discours belliciste hystérique – qui masque mal la faiblesse et l’anxiété des impérialistes américains – est la traduction verbale de la politique qu’avait l’intention de mener Hillary Clinton.
Quant à l’impérialiste intelligent et subtil qu’était Zbigniew Brzezinski (1928-2017), il avait compris (trop tard) qu’il fallait renoncer à l’Empire global. Il avait publié le 17 avril 2016 dans la revue The American Interest un texte au titre explicite « Toward a Global Realignment » (« Vers un réalignement global »). Son objectif était d’éviter une conflagration mondiale, tout en maintenant l’influence américaine dans le monde ainsi que ses positions stratégiques, par une négociation et un partage du monde avec la Russie et la Chine. Une sorte de Yalta II sans troisième guerre mondiale.
Si le poids de l’histoire, des contraintes matérielles, et de l’affaiblissement de l’idéologie globaliste pèsent en faveur de l’isolationniste Donald Trump, l’État profond, impérialiste et belliqueux, n’a aucunement l’intention de reculer.
C’est ce qui explique la dichotomie de la politique étrangère américaine depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche.
L’Empire américain ayant perdu son soft power, il n’a plus que sa machine de guerre pour se « légitimer » en tant que puissance dominante au regard des nations.
Mais cette machine de guerre impressionne de moins en moins depuis la réémergence des grandes puissances capables de rivaliser avec les États-Unis (la Russie et la Chine), et des puissances moyennes (à l’instar de l’Iran) qui tiennent tête au camp atlanto-israélien. Ces nations qui ont rétablis un équilibre des forces géopolitiques à l’échelle mondiale.
Et il ne se faudra pas bien longtemps avant que les Européens, vassaux et alliés de la structure impériale anglo-américaine et judéo-protestante, acceptent finalement cette nouvelle donne géopolitique mondiale.
Ceci étant dit, une question demeure : les peuples d’Europe se débarrasseront-ils de leurs élites politiques inféodées aux États-Unis et à Israël avant qu’il ne soit trop tard ? Avant le déclenchement d’une guerre contre la Russie, sur le sol européen ?
Et certain dirigeants européens commencent à percevoir le danger mortel qui se profil. D’ailleurs, le pays le plus influent du continent européen, l’Allemagne, a, en décembre 2018, répondu à Washington qu’elle ne souhaitait pas lui permettre de déployer de nouvelles armes sur son territoire.
Israël et l’Europe
Le réseaux pro-israéliens, qui poussent toujours vers la guerre, s’accrochent à la faction impérialiste américaine, l’accompagnent, et orientent ainsi sa puissance guerrière dans la direction des intérêts israéliens.
D’ailleurs, Zbigniew Brzezinski avait parfaitement compris le jeu israélien. Ainsi, concernant la volonté de l’Entité sioniste d’attaquer l’Iran, il avait déclaré en 2012 : « Je ne pense pas qu’il y ait la moindre obligation implicite pour les États-Unis de suivre comme des ânes stupides tout ce que font les Israéliens ! »
Et cet avis est de plus en plus répandu parmi les élites dirigeantes occidentales.
L’on a vu récemment les dirigeants européens placer les intérêts économiques de leurs grandes entreprises (sans aucun doute sous la pression du grand patronat) avant ceux d’Israël.
Benjamin Netanyahou s’était heurté aux Européens en juin 2018, durant sa tournée sur le Vieux Continent lorsqu’il a tenté de les convaincre de la dangerosité de l’Iran, et de la nécessité de déchirer l’accord sur le nucléaire. L’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne ont alors rejeté sa demande.
Dans la même séquence, le 2 juin 2018, Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a déclaré que l’OTAN n’apporterait aucun appui défensif à Israël au cas où celui-ci serait l’objet d’une attaque de la part de l’Iran.
Ces distances prises avec Israël par une partie des dirigeants américains et européens s’expliquent par l’existence de la faille traversant l’appareil d’État américain – qui oppose les nationalistes isolationnistes et les impérialistes globalistes – et le monde judéo-sioniste. Une faille dans le système impérial qui a été aggravée par la victoire de l’Axe de la Résistance sur les brigades internationales terroristes, qui ont œuvré au service du projet biblique du Grand Israël.
Israël, de plus en plus isolé diplomatiquement et au pied du mur militairement, a donc appliqué une nouvelle stratégie : un nationalisme israélo-compatible consistant à tenter d’accompagner et de récupérer la vague souverainiste en Occident.
La faille dans le monde juif
L’on ne peut pas comprendre ce refroidissement des Occidentaux envers Israël, sans prendre en compte, dans l’analyse, les dissensions qui existent au sein du monde juif.
Une partie de la diaspora juive, pourvoyeuse de fonds de l’État hébreu, commence à percevoir Israël comme un danger. La politique d’épuration ethnique et les atrocités commise par l’État juif, contribue à faire augmenter l’antisémitisme à travers le monde, et met par conséquent en péril la Diaspora. Car si la montée de l’antisémitisme est dans l’intérêt d’Israël, il n’est pas dans celui de la diaspora, en particulier de la bourgeoisie juive, qui n’est pas disposée à abandonner son confort en Occident pour s’installer dans une colonie géante en guerre permanente.
Raison pour laquelle le président du Congrès juif mondial, Ronald Lauder, qui a financé la carrière politique de Benjamin Netanyahou, s’en est pris à ce dernier à deux reprises dans le New York Times, en 2018.
Outre le danger que présente Israël pour les juifs du monde entier, on a là l’illustration d’une opposition entre les juifs libéraux, qui défendent un judaïsme réformé, et les juifs orthodoxes, qui ont pris le pouvoir en Israël.
Ce qui permet à Donald Trump et aux dirigeants européens de refuser certaines injonctions israéliennes, c’est aussi la diminution du soutien de la diaspora juive à l’État hébreu.
Il est par conséquent important, du point de vue stratégique, de saisir la nature et l’évolution des dissensions interne au système impérial et au monde juif, pour les exploiter à l’avenir.
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