Espions et agents de l’ombre disposeront bientôt d’une école patentée. Une personnalité, choisie pour ses compétences en dehors du monde du renseignement, va piloter le projet. Il s’agit d’une femme responsable de la formation dans une grande école publique. Son nom sera officiellement divulgué dans quelques jours. Nommée à la tête d’une mission de préfiguration, elle aura pour tâche de mettre sur pied la future "académie du renseignement".
Ouverte aux cadres, cette école d’un nouveau genre sera réservée à six services spécialisés civils et militaires : la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) - qui dépend du ministère de l’intérieur -, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) - qui relèvent du ministère de la défense -, Tracfin - la cellule antiblanchiment de Bercy - et la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Cet ensemble, qui emploie plus de 11 200 personnes, désigne la communauté française du renseignement, une notion apparue au début des années 2000, inspirée de l’Intelligence Community, créée en 1981 par le président Ronald Reagan, et qui regroupe 16 services de renseignement aux Etats-Unis.
En France, conformément au souhait de Nicolas Sarkozy, qui en a fait un domaine réservé - au détriment de Matignon -, le renseignement poursuit sa mue. En s’appuyant d’abord sur l’univers du ministère de l’intérieur qu’il connaît bien, le président de la République a fait du renseignement l’une de ses priorités. Un domaine qu’il veut d’abord centrer sur la sécurité intérieure.
Le 24 décembre 2009, un décret paru au Journal officiel a signé l’acte de naissance du Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), et de son complément spécialisé, le Conseil national du renseignement (CNR), tous deux présidés par le chef de l’Etat. La veille, au conseil des ministres du 23 décembre, Patrick Calvar, numéro deux de la DCRI, ancien de la DST, a été nommé au poste de directeur de renseignement de la DGSE. Il sera remplacé par Frédéric Veaux, actuel directeur adjoint de la police judiciaire et patron de la sous-direction des affaires criminelles. C’est la troisième fois dans l’histoire de la DGSE, après Jean-Pierre Pochon et Michel Lacarrière, qu’un policier intègre ses rangs à ce niveau.
Ce nouveau transfert doit conforter le sentiment d’une communauté rassemblée et décloisonnée. Symboliquement, les principaux acteurs du renseignement s’étaient ainsi affichés côte à côte lors d’une table ronde programmée à l’ouverture, en octobre 2009, des sessions de formation de l’INHES et de l’IHEDN, deux instituts de formation continue de la sécurité et de la défense.
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’académie du renseignement qui pourrait s’installer dans les murs de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), sur le site de l’Ecole militaire à Paris.
L’idée figurait dans le Livre blanc de la sécurité et de la défense nationale publié le 17 juin 2008 (Odile Jacob). "Des normes communes de gestion des carrières seront définies, s’agissant du recrutement des personnels, de leur mobilité, mais aussi de la formation initiale et continue, était-il écrit dans le chapitre "Connaître et anticiper". Une académie du renseignement développera un programme de formation, véritable "tronc commun" défini entre les services, hébergé par eux et sanctionné par un brevet reconnu par tous."
Le principe a été repris dans la loi de programmation militaire adoptée le 29 juillet pour les années 2009-2014. "La gestion sera harmonisée et davantage croisée entre services et entre ministères, notamment dans les domaines du recrutement et de la formation, indiquait le texte. Les parcours de carrière offriront plus de possibilités de mobilité entre les services. Des filières de formation commune seront créées ; la future académie du renseignement y contribuera."
Plusieurs rapports ont parachevé l’édifice. Le premier, confié à Bernard Pêcheur, membre du Conseil d’Etat, était consacré aux ressources humaines dans le domaine du renseignement. Remis au mois de juillet, le document écartait la création d’un statut unique, qui aurait mêlé les agents, mais préconisait la mobilité inter-services. Il insistait, dans ses conclusions, sur la multiplication de passerelles afin de "favoriser l’esprit de communauté". Et sur la nécessité de recruter des contractuels de haut niveau. Ces derniers, tout autant concernés par l’académie, sont de plus en plus présents, qu’il s’agisse de linguistes ou d’ingénieurs en informatique. Et de plus en plus "mutualisés" entre les différentes directions du renseignement, autant par souci d’économie que par esprit de rationalité.
Un second rapport, rendu à la même date par Florian Blazy, maître des requêtes au Conseil d’Etat, s’attachait, lui, à définir les contours d’une formation commune. Dans le tronc commun, seraient ainsi créés des "modules" de culture générale sur le renseignement, le panorama des menaces, les "règles" du secret, l’encadrement juridique, l’éthique, l’organisation du renseignement et son insertion dans le fonctionnement de l’Etat. La formation s’étendrait sur quelques semaines, à l’issue desquelles les agents des services spécialisés auraient appris à mieux se connaître. L’école du renseignement pourrait devenir un point de passage nécessaire pour évoluer dans sa carrière et obtenir un grade supérieur.
Le projet se heurte cependant au problème financier, particulièrement sensible avec la révision générale des politiques publiques (RGPP). Le budget de l’académie sera d’ailleurs l’un des points essentiels que va devoir étudier la mission de préfiguration. Pour cette raison également, mais pas seulement, des choix ont été opérés.
A ce stade en effet, la communauté du renseignement exclut les 1 300 policiers de la sous-direction de l’information générale (SDIG), rattachée à la sécurité publique. Créée en septembre 2008 lors de la réforme du renseignement policier, la SDIG est composée d’une bonne partie des effectifs des anciens renseignements généraux, brutalement séparés de leurs collègues qui ont opté pour la DCRI. Les gendarmes, qui tentent de développer leurs missions de renseignement, parfois non sans frictions avec les policiers, et qui possèdent un bureau de liaison antiterroriste, sont également écartés du dispositif.
La mission de préfiguration de l’académie du renseignement ne devrait pas achever ses travaux avant six mois.