Le parquet de Paris a déjà ouvert des enquêtes préliminaires contre deux parlementaires. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique n’a pas fini l’examen de tous les dossiers
Les trois parlementaires ont eu beau se démener pour essayer de justifier l’existence d’un compte en Suisse non déclaré, leurs arguments n’ont pas convaincu. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), chargée de vérifier l’exactitude des déclarations de patrimoine, a annoncé jeudi 13 novembre avoir « un doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations ».
Les trois parlementaires, Lucien Degauchy, député (UMP) de l’Oise, Bruno Sido, sénateur (UMP) de la Haute-Marne et Bernard Brochand, député (UMP) des Alpes-Maritimes (de gauche à droite sur la photo ci-dessus) comme celle des 922 autres parlementaires, ont notamment omis de déclarer l’existence d’un compte en Suisse. C’est la raison pour laquelle la HATVP a décidé d’alerter le procureur de la République de Paris.
Pour avoir menti sur leur déclaration, et ce, de manière réitérée puisqu’ils avaient oublié de signaler ce compte à la commission de la transparence financière de la vie publique, l’ancêtre de la HATVP, MM. Brochand, Degauchy et Sido encourent une peine de 45 000 euros d’amende, trois ans de prison et dix ans d’inéligibilité. Le parquet de Paris a ouvert deux enquêtes préliminaires sur les cas de Lucien Degauchy et Bruno Sido, mais ne s’est pas encore prononcé concernant le dossier de Bernard Brochand, qu’il venait juste de recevoir.
Des « héritages »
L’existence du compte en Suisse de Lucien Degauchy avait été révélée par Le Monde, en octobre dernier, après l’annonce par Le Canard enchaîné d’une soixantaine de parlementaires en délicatesse avec le fisc. En toute sincérité, le député de l’Oise pensait que cet argent ne lui appartenait pas. « C’était un héritage, je n’ai d’ailleurs jamais versé un centime dessus », avait-il expliqué. « En 1981, au moment où Mitterrand faisait peur à tous les commerçants, mon père, maraîcher, avait ouvert un compte à la Banque cantonale de Genève et l’a mis à mon nom, en me faisant promettre que cet argent ne servirait qu’à mes enfants, en cas de besoin. Il y avait 100 000 euros dessus » assurait-il.
Lucien Degauchy avait visiblement sous-estimé la valeur de sa fortune. Comme il a d’ailleurs sous-évalué ses biens immobiliers, ce qu’a également pointé la HATVP. Selon Mediapart, ce sont plutôt 200 000 euros, et non 100 000 euros qui figuraient sur ce compte non déclaré au fisc. Après avoir payé les pénalités – près de 30 % – Lucien Degauchy a récupéré quelque 140 000 euros qu’il a effectivement redistribués à ses enfants, selon « les dernières volontés de son père ». Son fils a pu ainsi réparer ses serres maraîchères détruites par un orage de grêle, et sa fille racheter les parts de l’appartement qu’elle détenait avec son compagnon.
C’est également une histoire d’héritage qu’invoque Bruno Sido pour justifier l’existence de son compte non déclaré à la banque cantonale vaudoise, dont il avait le mandat de gestion. « À mon initiative et après avoir recueilli au préalable le consentement de tous les autres membres de la famille, une procédure de régularisation a été ouverte en juillet 2013 », explique-t-il dans un communiqué.
Bruno Sido, agriculteur, se souvient d’ailleurs avoir « payé 26 000 ou 28 000 euros de pénalité » explique-t-il à Mediapart. « Il n’y a donc aucun contentieux avec l’administration fiscale et la déclaration patrimoniale du 19 janvier 2014 est considérée par la HATVP comme exhaustive et sincère » estime-t-il. Certes, mais le sénateur a menti sur sa précédente déclaration, celle de novembre 2011, et ça, dans un contexte post-Cahuzac, auprès de la HATVP née des suites de cette affaire, cela ne passe pas.
« Il n’y a aucune fraude »
Contrairement à celui de ces deux collègues, le compte suisse de Bernard Brochand était alimenté régulièrement et, selon les informations du Monde, a même pu comptabiliser jusqu’à un million d’euros. « Il n’y a aucune anormalité, aucune fraude, aucune tricherie sur des éléments que j’ai moi-même déclarés à la Haute autorité », a assuré M. Brochand sur BFMTV. « J’avais un compte à l’étranger, déclaré en France, avec des impôts payés en France. Des dépôts d’argent gagnés par mon travail (...) effectués sur ce compte, dans les années 1970, ont été soumis à l’impôt français. Ma situation est donc claire, légale, et honnête », a-t-il déclaré.
Avant d’entrer en politique, M. Brochand, l’ex-maire de Cannes qui se présente comme un « ancien chef d’entreprise » ayant travaillé « dans le monde entier » fréquentait les milieux du football, de la publicité et de la télévision. Il entre au conseil d’admnistration du PSG au début des années 1970. En 1998, c’est lui qui gère la communication de la Coupe du monde en France. Au milieu des années 1980, il participe aux débuts de l’aventure Canal tout en présidant Havas Conseil Marsteller International.
En pleine affaire Cahuzac, M. Brochand rappelait être « naturellement pour la transparence et la moralisation de la vie politique ». « En tant que parlementaire », il assurait d’ailleurs avoir « toujours déclaré depuis 2001 son patrimoine au cours de ses quatre mandats successifs » ... et n’avoir pas attendu une loi sur les conflits d’intérêts pour démissionner de ses activités professionnelles. Favorable à la transparence, assurait-il, il ne jugeait en revanche pas souhaitable la publication de ces informations (à moins que les journalistes fassent de même), au risque « d’affaiblir » et de « discréditer toute la classe politique ».
D’autres dossiers en cours d’examen
Jérôme Cahuzac, l’ex-ministre socialiste du budget, avait dû démissionner après avoir finalement reconnu l’existence de son compte en Suisse. Thomas Thévenoud, l’éphémère secrétaire d’État de François Hollande, n’a occupé son poste au commerce extérieur que neuf jours, rattrapé par ses démêlés avec le fisc.
Dans la lignée de ces affaires, le 10 octobre, Bruno Retailleau, le président du groupe UMP au Sénat, déposait une proposition de loi pour « renforcer les sanctions en cas de fraude fiscale commise par un parlementaire » et suggérait de prévoir « une procédure de démission d’office applicable dès maintenant dans un pareil cas ».
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique n’a pas terminé l’examen de toutes les déclarations des parlementaires. Elle n’exclut pas d’autre signalement d’ici la fin de l’année.