Pour John Laughland, de RT, « l’Ukraine joue un jeu dangereux ». Pour C dans l’air, de France 5, c’est la Russie qui « joue un jeu dangereux ». Et enfin pour Sputnik, le Biden sénile qui appelle Poutine « Cloutine » détaille les nouvelles sanctions antirusses, qui sont, on le sait, la conséquence de la crise ukrainienne (la Crimée étant revenue à la Russie). Nous allons commencer par Sputnik.
Le discours de Joe Biden faisant suite aux annonces de nouvelles sanctions américaines visant la Russie a été semé de lapsus verbaux. Le Président, qui s’était déjà qualifié de « machine à gaffes », s’est trompé en prononçant le nom de famille de son homologue russe… et pas que.
« Les États-Unis ne cherchent pas à lancer un cycle de vaccina… d’escalade et de conflit avec la Russie. Nous souhaitons une relation stable et prévisible », a lancé le chef de l’État américain tout en rappelant que si la Russie continuait à s’ingérer dans les affaires intérieures de son pays il était « prêt à prendre de nouvelles mesures pour y répondre ». [...]
« J’ai également indiqué clairement au Président Сloutine [sic] que les États-Unis… Poutine… sont inébranlables dans leur soutien à nos alliés et partenaires en Europe. »
Place maintenant au « jeu dangereux de l’OTAN », selon Laughland sur RT. Mais avant cela, jetons un œil sur les vidéos proposées par Les Observateurs, la cellule d’investigation de France 24. Le titre ne fait pas dans le sobre :
Ukraine : des vidéos de convois militaires russes près de la frontière sèment la panique
« Des canons d’artillerie, des camions et des véhicules blindés traversent le pont de Crimée, péninsule annexée par Moscou en 2014. Une vidéo, publiée le 29 mars dans un groupe de discussion d’habitants de la région de Krasnodar (voisine de la Crimée) sur l’application de messagerie Telegram, a été reprise par plusieurs médias, certains mettant en garde contre une “agression” russe. »
Аксай, Ростовская обл, 02.04.2021
... номера заклеены pic.twitter.com/vhk7LQyUPs
— IgorGirkin (@GirkinGirkin) April 3, 2021
Il est loin le temps où les Russes manquaient de camions ! Enfin, nous arrvons à l’analyse géopolitique de RT, avec un paragraphe hautement intéressant sur les rapports entre les trois grands, Chine, Russie et États-Unis. Car, et c’est là la surprise, toute opération américaine ou sous couverture de l’OTAN en Ukraine contre la Russie pourrait profiter très concrètement aux Chinois !
La géopolitique est comme une toile d’araignée géante autour du monde : toucher un fil ici peut faire vibrer la toile à l’autre bout du monde...
En plein pic de tensions dans l’est de l’Ukraine, l’universitaire John Laughland décrypte les appels du pied de Kiev à l’OTAN. Un jeu dangereux qui se traduit par une escalade ne bénéficiant à personne, selon ce spécialiste en géopolitique.
L’humoriste devenu président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, est-il en train d’imiter le parcours du président devenu humoriste (involontairement), Mikheil Saakachvili, ex-président de la Géorgie ?
Durant l’été 2008, Mikheil Saakachvili a initié une guerre avec l’objectif de reconquérir par la force deux territoires qui avaient fait sécession de la Géorgie au début des années 1990, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. L’opération a mal tourné pour la Géorgie. La Russie a volé au secours de ces deux provinces et elles sont désormais reconnues par elle et protégées par ses troupes. Un conflit gelé que la Géorgie voulait régler par la force a abouti à une défaite cuisante pour cette dernière et surtout pour ses projets d’intégrer l’OTAN : l’Alliance atlantique ne prend pas comme membres des États qui ont des guerres larvées sur leur territoire.
[...]
Récemment nommé par Zelensky à la tête d’un important organe gouvernemental, Saakachvili se retrouve une fois de plus proche du pouvoir à Kiev. Il semble vouloir pousser celui-ci à suivre son exemple catastrophique en essayant de récupérer les territoires sécessionnistes du Donbass. Saakachvili a notamment félicité Zelensky pour avoir fermé pas moins de trois chaînes de télévision « pro-russes » en février 2021 – au nom des fausses informations, bien sûr – et plusieurs sociétés et médias russes en mars. La visite du président ukrainien la semaine dernière à ses troupes sur le front dans l’est de l’Ukraine semble confirmer les craintes que le président Zelensky, élu en 2019 pour faire la paix avec la Russie, se prépare à lui faire la guerre.
Le pire des signaux est l’opération de séduction récemment lancée par Kiev envers l’OTAN. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères vient de se rendre au secrétariat général de l’Alliance à Bruxelles, tandis que le président Zelensky a déclaré que l’OTAN était « la seule façon de mettre fin à la guerre au Donbass ». Kiev veut convaincre l’OTAN d’accepter l’Ukraine comme futur membre. Au lieu de lui expliquer discrètement que la politique n’est pas un feuilleton, Jens Stoltenberg, le patron politique de l’OTAN, a joué la même farce en donnant une série d’ordres publics totalement déplacés à Moscou... sur la façon dont les troupes russes doivent faire leurs manœuvres ! (Il y en a actuellement un grand nombre non loin de la frontière ukrainienne.)
« Les Américains doivent comprendre que les intérêts ukrainiens et les intérêts américains sont opposés »
Ceci est extrêmement grave. Encourager les Ukrainiens à croire qu’ils auront le soutien de l’OTAN dans une éventuelle opération militaire contre les séparatistes du Donbass relève d’une insouciance terrifiante. La Russie est sûre de gagner si elle venait au secours du Donbass car l’OTAN est parfaitement incapable de s’opposer à une éventuelle opération militaire russe en Ukraine. Avec quelles troupes l’OTAN ferait-elle la guerre à l’armée russe ? Les pays membres européens de l’OTAN ne sont pas prêts à mourir pour Donetsk tandis qu’un affrontement terrestre entre soldats américains et russes aurait des conséquences incalculables.
Dans ces conditions, une escalade en Ukraine nuirait plus encore aux Américains qu’aux Ukrainiens. Le seul pays qui en tirerait profit est la Chine, qui est pour les Américains un rival géopolitique et économique, à moyen et à long terme, bien plus redoutable que la Russie. Ou bien les États-Unis cautionnent une tentative ukrainienne de récupérer le Donbass par la force, ou bien il refusent de soutenir les Ukrainiens qui y vont tout de même. Dans la première hypothèse, la Chine serait en droit de faire la même chose à Taiwan, son territoire perdu, remportant ainsi une victoire géopolitique et symbolique énorme qui changerait considérablement les rapports de force dans le monde. Dans la seconde hypothèse, la Chine en tirerait la conclusion que les Américains ne se battront pas et le résultat serait identique. Les États-Unis essaient actuellement d’imposer leur loi dans la mer de Chine méridionale comme dans la mer Noire. S’ils échouent dans l’une ils échoueront aussi dans l’autre.
Par conséquent, soutenir les Ukrainiens dans un affrontement avec la Russie est tout aussi catastrophique pour Washington que de ne pas les soutenir. L’impératif absolu pour Washington est donc de faire le contraire de ce que veulent les comédiens à Kiev. Il faut empêcher toute escalade de la situation en Ukraine, coûte que coûte, et mater les folies ubuesques encouragées par Saakachvili. Les Américains doivent comprendre que les intérêts ukrainiens et les intérêts américains sont opposés.
Le discours belliciste habituel des Américains à l’égard de la Russie est redevenu à la mode depuis l’élection de Joe Biden à la Maison Blanche et la nomination d’Antony Blinken comme secrétaire d’État. Pourtant, Biden semble avoir compris les enjeux potentiellement fatals pour son pays en appelant à un sommet russo-américain, peut-être à Vienne, pour résoudre la crise ukrainienne, initiative à laquelle le président Poutine répondra sans doute par l’affirmative. Dans un contexte de guerre froide renaissante, il est impératif de remettre le conflit gelé en Ukraine dans le congélateur politique, et d’en refermer la porte, pour aussi longtemps que possible.
Pour ceux qui veulent aller plus loi, reseauinternational.net a sorti un dossier fouillé, dans le style du Réseau Voltaire, sur la situation ukrainienne avec un angle évidemment très anti-impérialiste mais surtout très énergétique. Il s’agit d’une traduction d’un article du site asiatimes.com. L’idée est résumée ainsi : « le combo État profond/OTAN utilise Kiev pour déclencher une guerre afin d’enterrer Nord Stream 2 et les relations germano-russes ».
L’Ukraine est aujourd’hui à la croisée des chemins entre les trois grands, ligne de faille où les trois plaques tectoniques se tendent, se mesurent, se fissurent. On n’a pas compté l’Europe, ce qui aurait fait quatre Grands, puisque l’UE n’existe pas politiquement ni militairement, hors OTAN et commandement américain, bien sûr. D’ailleurs, Biden vient d’envoyer 500 militaires de plus en Allemagne... Le frisson de la guerre froide parcourrait-il le dos d’un président si mal élu, fragilisé dès le premier jour de son braquage ?
Mais ne soyons pas des anti-européens primaires : Poutine a demandé, ce vendredi 16 avril 2021, à Merkel et Macron (par ordre d’importance) de le soutenir face aux « provocations » ukrainiennes dans l’est du pays. Zelensky a réclamé la même chose, mais de l’autre côté ! 20 Minutes écrit :
Volodymyr Zelensky, accueilli à la mi-journée par son homologue français à l’Élysée avant une trilatérale en visioconférence avec la chancelière allemande, réclame de son côté un soutien accru des Européens face à la concentration de troupes russes aux frontières de l’Ukraine. « Il serait très important pour nous qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel utilisent leur influence lors de cette visioconférence (…) pour lui expliquer la possibilité d’une cessation définitive de toutes provocations » sur le front, a affirmé le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov.
Si l’Europe n’est plus capable de se défendre militairement (face à une éventuelle pénétration russe) et économiquement (face aux pénétrations chinoise et américaine), il lui reste à jouer un rôle de faiseur de paix entre les grands. Le seul risque est de s’y faire écraser.