La tournée d’Emmanuel Macron auprès des pays du groupe de Visegrad pour obtenir une réforme de la directive sur le travail détaché n’est pas aussi triomphale qu’il ne voudrait le faire croire. Elle donne lieu à une très belle invocation de l’esprit européen, le fantasme des élites françaises...
C’est l’histoire d’un pays qui participe à la fondation de la Communauté européenne en 1957 et qui, 70 ans plus tard, a laissé filer tous ses comptes publics et ses comptes sociaux. Pour y travailler, il faut verser un euro de cotisation sociale chaque fois qu’on y verse un euro de salaire. Ce même pays vit dans la croyance extravagante selon laquelle il pourrait former un marché unique avec tous les pays européens, y compris les plus pauvres, leur ouvrir ses frontières, sans souffrir du coût de sa protection sociale.
Et le jour où il découvrirait qu’un travailleur roumain ou bulgare coûte moins cher qu’un travailleur français, il jouerait une comédie de boulevard où l’esprit européen de 1957 serait brutalement rendu cocu par les volages bulgares, roumains, polonais, hongrois et autres membres du groupe de Visegrad.
On n’est pas bien sûr que la pièce soit très drôle, mais les acteurs (en l’espèce Emmanuel Macron) donnent tout ce qu’ils peuvent pour la rendre crédible.
Quand les élites françaises vivent dans le fantasme de « l’esprit européen »
Il faudrait un bon divan de psychanalyste pour faire accoucher Emmanuel Macron de toutes les croyances naïves sur l’Europe qu’il porte encore, comme si, derrière son masque d’adulte, demeuraient des impressions d’enfance jamais digérées.
Par exemple, Emmanuel Macron croit que l’élargissement de l’Europe aux pays de l’ancien bloc communiste n’altère pas le sens originel du Traité de Rome. Appartenir à l’Europe, c’est toujours plus de protection pour les salariés. Et plus de protection pour les salariés, c’est forcément une augmentation constante du coût du travail et la mise en place d’un système public d’assurance sociale appelé sécurité sociale. Tous ceux qui ne tendent pas vers cet objectif n’ont pas l’esprit européen.
Voilà ce qu’on pourrait appeler une belle croyance naïve : imaginer qu’un Polonais ou un Bulgare entre dans l’Europe pour bénéficier, enfin, des lumières françaises et pour espérer, enfin, disposer d’une sécurité sociale comme la nôtre. Pas un instant, Emmanuel Macron n’a la lucidité suffisante pour comprendre que la France, la grande malade de l’Europe, et son modèle social qui crève sous ses charges et ses dépenses publiques, constituent de véritables repoussoirs pour les autres.
En réalité, la Pologne et la Roumanie rêvent peut-être d’Europe, mais ils ne rêvent plus de ressembler à la France.