Le Conseil militaire de transition dirigé par Mahamat Idriss Déby, fils de l’ancien président récemment décédé, a nommé un nouveau gouvernement en promettant d’organiser des élections libres dans les 18 mois.
Deux semaines après la mort du président tchadien Idriss Déby Itno, le Conseil militaire de transition (CMT), dirigée par son fils Mahamat Idriss Déby entouré de 14 généraux, a nommé le 2 mai un gouvernement provisoire pour répondre aux inquiétudes internationales et intérieures.
Saleh Kebzabo, principal opposant au maréchal Déby, a reconnu le 2 mai les nouvelles autorités et deux membres de son parti, l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR), ont été nommés aux postes de ministre de l’Élevage et de secrétaire général adjoint du gouvernement. « On reconnaît l’autorité du CMT, sinon on ne va pas être au gouvernement », a-t-il déclaré, tandis que lui-même n’entre pas dans ce gouvernement composé de 40 ministres et secrétaires d’État.
Un autre opposant à Idriss Déby Itno, Mahamat Ahmat Alhabo, du Parti pour les libertés et le développement (PLD), a été nommé ministre de la Justice. Mais la plupart des ministères régaliens sont occupés par des membres du Mouvement patriotique du salut (MPS), parti du défunt président, selon la liste annoncée à la télévision d’État par le porte-parole de l’armée, le général Azem Bermandoa Agouna.
Plusieurs anciens ministres du dernier gouvernement d’Idriss Déby Itno ont été reconduits dans leur précédent portefeuille ou nommés à un autre ministère. Porte-parole du dernier gouvernement, Chérif Mahamat Zene est nommé ministre des Affaires étrangères, poste qu’il a déjà occupé de 2018 à 2020. De son côté, Daoud Yaya Brahim est en charge de la Défense, portefeuille qu’il a déjà occupé sous Idriss Déby Itno.
Par décret, le président du CMT Mahamat Idriss Déby, général de 37 ans, a également créé un nouveau ministère de la Réconciliation et du Dialogue, après avoir récemment promis d’organiser un « dialogue inclusif ». À sa tête, il a nommé une figure de la vie politico-militaire tchadienne : Acheick Ibn Oumar, ancien chef rebelle qui était devenu en 2019 conseiller diplomatique du président Déby.
Des « élections libres et démocratiques » sous 18 mois
Mahamat Idriss Déby avait nommé le 26 avril Albert Pahimi Padacké au poste de Premier ministre de transition. Dernier Premier ministre d’Idriss Déby Itno avant que ce dernier ne supprime le poste en 2018, Pahimi Padacké avait promis un « gouvernement de réconciliation nationale » et plaidé pour une « union sacrée pour sauver la nation ».
Le lendemain de sa nomination, opposition et société civile avaient appelé à des manifestations contre les militaires qui ont pris la succession d’Idriss Déby. Au moins six personnes sont décédées lors de ces marches, interdites comme il est d’usage au Tchad. Plus de 650 autres ont été interpellées, pour la plupart relâchées ensuite. D’autres marches d’ampleur moindre se sont déroulées depuis : le 28, puis le 30 avril dans le sud du pays. Toutes ont été interdites par les forces de sécurité.
Le CMT a promis des « élections libres et démocratiques » dans 18 mois. En attendant, la Charte de transition prévoyait la mise en place d’un gouvernement de transition, dont les membres sont nommés et révoqués par le président du CMT. Celui-ci est également « le chef suprême des Armées » et préside en outre « le conseil des ministres, les conseils et comités supérieurs de défense nationale », selon la charte de transition.
La nomination du gouvernement de transition intervient tandis que l’armée et un groupe rebelle, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), combattent dans l’ouest du pays dans la région du Kanem. Les combats ont débuté le 11 avril, jour de l’élection présidentielle au cours de laquelle Idriss Déby Itno avait été réélu pour la sixième fois consécutive. C’est lors de combats entre l’armée et le FACT que Déby, monté au front, a été tué.
Prenons un peu de recul et de hauteur avec un point sur la situation ethno-clanique permettant d’éclairer l’actualité tchadienne.
Quel avenir pour le Tchad après la mort d’Idriss Déby ?
Conséquence de la guerre insensée faite au colonel Kadhafi, la Libye est devenue le sanctuaire des rebelles tchadiens. Durant des années, ces derniers se vendirent aux belligérants libyens en fonction de leurs intérêts du moment.
Le 16 octobre 2018, le général Haftar effectua une visite officielle à N’Djamena. En échange de l’appui tchadien, il s’engagea à pourchasser les opposants au président Idriss Déby. D’autant plus volontiers que ces derniers s’étaient entretemps alliés à la ville de Misrata, son ennemie mortelle.
Afin de ne pas tomber entre les mains des forces du général Haftar, au mois de janvier 2019, les frères Timan et Tom Erdibi, Zaghawa et neveux du président Idriss Déby, tentèrent alors le tout pour le tout en se lançant à la conquête de N’Djamena sous la bannière de l’UFR (Union des forces de la résistance). Mais ils furent pulvérisés les 4, 5 et 6 février par l’aviation française.
À partir du mois de juillet 2020, profitant de la défaite du général Haftar devant Tripoli et de son repli à l’est de la Libye, les opposants tchadiens se réinstallèrent dans le Fezzan. Ils y furent armés par la Turquie qui avait décidé de se servir d’eux dans sa stratégie de poussée vers la région péri-tchadique, renaissance de la politique ottomane de jadis.
Au mois d’avril 2021, sous le drapeau du FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) de Mahamat Mahdi Ali, des Toubou-Gorane lancèrent alors une offensive depuis le Fezzan en longeant la frontière du Niger. Pour mémoire, Gorane est le nom arabe désignant les Toubou de l’Ennedi et d’Oum Chalouba. C’est en les combattant qu’Idriss Déby trouva la mort.
Désormais, que vont faire les Toubou ? Dans les années 1970, les deux composantes toubou s’opposèrent dans une lutte fratricide. L’une était dirigée par Goukouni Weddeye, fils du Derdéi, le chef spirituel des Tomagra du Tibesti. L’autre, par Hissène Habré, Gorane du clan Anakaza d’Oum Chalouba qui fut renversé en 1990 par Idriss Déby. Si, les Toubou s’unissaient et si la Turquie les poussait à agir, le régime de Mahamat Idriss Déby serait alors extrêmement fragilisé.
N’oublions cependant pas que Mahamat Idriss Déby, étant de mère Gorane et ayant lui-même épousé une Gorane, tous les clans gorane ne se dresseront donc pas contre lui. Certes, encore, mais certains clans Zaghawa considèrent donc qu’il n’est qu’en partie des leurs… Quant au clan arabe du Ouadaï auquel appartient Hinda, l’une des épouses d’Idriss Déby, il est détesté à la fois par les Zaghawa et par ceux des Gorane qui suivaient son mari…
L’avenir du Tchad, verrou de l’Afrique centrale, dépend donc de la manière dont vont s’exprimer ces puissants déterminismes ethno-claniques dans un contexte régional conflictuel aggravé par les solidarités ethniques transfrontalières (Libye, Soudan, Nigeria, Niger et RCA). Et par les manœuvres de la Turquie depuis la Libye, et celles de la Russie depuis la RCA…
Source : bernardlugan.blogspot.com