L’histoire ne repasse pas les plats, c’est un fait acquis, mais elle nous renvoie parfois des échos qu’il vaut mieux écouter. Histoire de retenir la leçon, par exemple.
Ainsi revient sur le devant de la scène le “Nanard” des années 80. Ce fameux Tapie, reconverti un temps dans le théâtre après avoir assumé tous les rôles possibles et imaginables du rocker à l’escroc international en passant par celui de ministre.
Tapie, l’homme qui incarne mieux que personne ce qui restera dans l’histoire sous le nom « d’Années fric », emblématiques de l’ère Mitterrand comme les Années folles le furent de l’après-guerre de Quatorze.
Nombre d’entre vous n’étaient sans doute pas nés, ou alors vous étiez encore au biberon quand le fracassant Tapie s’est imposé dans le paysage. Gouaille de voyou, costards du milieu plus que du Centre (son appartenance politique), bagouzes et chaines en or, l’homme “d’affaires” ravagea le cœur d’une gauche fraîchement arrivée au pouvoir et totalement hypnotisée par l’argent qui coulait à flots – c’est du moins ce qu’elle croyait.
Qu’importèrent alors les faillites organisées par le monsieur, les ouvriers abandonnés sur le trottoir et les petits patrons spoliés, Nanard fit tomber en amour le sphinx qui dormait alors à l’Élysée. C’est ainsi que Bernard Tapie devint en 1992 le premier ministre de la Ville. Sans rigoler, c’est lui, le roi de la magouille, qu’on chargea de restaurer la morale et d’instiller l’espoir dans les banlieues. Et si, vingt ans après, la figure du caïd et la loi du milieu s’y sont imposées, c’est sûrement parce qu’elles collent au modèle.
Vint un jour ce qui devait quand même arriver : Tapie finit en taule. C’est le scandale du foot et des matchs truqués qui le fit plonger. Il fallut payer. On vendit les entreprises, on fit semblant de démonter les montages. On le dit ruiné. Assassiné par le Crédit lyonnais qui, c’est pas de chance, avait vu son siège social brûler, enfumant les grands boulevards parisiens dans l’incendie de ses encombrantes archives.
Sorti de taule, Nanard est devenu homme de théâtre. Il faut dire que pour jouer la comédie, il ne craignait personne. Pas besoin de conservatoire ni de Cours Simon. Et qui incarna-t-il à l’écran ? Un flic, bien sûr.
En 2009, sous l’ère Sarkozy cette fois, les contribuables français ont versé à Tapie la coquette somme de 309 millions d’euros. Somme royalement attribuée par un obscur « tribunal arbitral » dont la décision ahurissante a valu la mise en accusation de son instigatrice, le ministre des Finances d’alors, madame Christine Lagarde. Le pauvre Nanard avait été “spolié” par le Crédit Lyonnais.
Paraît-il. Les Français – vous et moi – n’avaient plus qu’à payer. On lui a même filé 45 millions d’euros pour « préjudice moral » et rendu son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères. À noter qu’il ne l’avait d’ailleurs jamais quitté.
Et voilà que trois ans plus tard, comme le révèle le Canard Enchaîné du 26 septembre, Tapie, contribuable insolvable sur notre sol, fait fortune chez les voisins. Par le biais de ses sociétés « logées dans des paradis fiscaux », il vient de s’offrir un yacht à 40 millions, un avion à 25 millions et une villa à Saint-Tropez pour 47 millions. Total : 100 millions d’euros de fantaisies.
Parce qu’il ne recule devant rien, Tapie expliquait l’autre jour à l’Express (19/09) : « Pour que les gens ne descendent pas dans la rue avec des piques, il faut que l’État soit juste. » Plus prosaïquement, questionné sur Europe 1 à propos de ses récentes acquisitions, il a répondu au journaliste un tonitruant « Je vous emmerde ! »
Copieusement arrosé aux frais des contribuables, cajolé par l’État français depuis les années 80 du siècle dernier, cela tous régimes confondus, Tapie est manifestement intouchable. A croire qu’il garde dans ses placards les batteries de casseroles de tous les véreux qu’il a côtoyés en politique.
Alors, méfiance ! Méfiance envers tous ceux qu’on pourrait nous ramener – lui comme ses semblables – pour en faire le nouveau Messie de la Ville, des Banlieues ou du Redressement. Prenons garde aux faux espoirs, aux “potes” mirifiques, à tous ces escrocs qui nous tapent sur l’épaule en assurant : « on est du même monde ! ».
En 1789, le peuple affamé a pendu les aristos à la lanterne et traîné leurs têtes au bout des piques. Tapie devrait se méfier. Les nouveaux riches de son espèce sont bien pires que les aristos de l’Ancien Régime.