Sevriena, une nouvelle société d’assurance spécialisée dans la retraite par capitalisation, créée par Guillaume Sarkozy, entend bien profiter de la réforme des retraites. Histoire d’une opportune naissance destinée à rafler un juteux pactole compris en 40 et 110 milliards d’euros.
« Je garantirai la pérennité du régime de retraite… Je ne changerai pas le régime par répartition (…) par un régime où chacun épargnerait de son côté… Il faudra que tout soit mis sur la table : l’âge de la retraite, la durée de cotisation et la pénibilité. La seule piste que je ferme tout de suite, c’est celle de la diminution des pensions… La réforme des retraites concernera tout le monde… Les pensions sont trop basses... » Nicolas Sarkozy sur TF1 le 25 janvier 2010.
Nicolas Sarkozy veut-il vraiment de sauver le régime de retraite par répartition ? Plusieurs faits récents contredisent cette profession de foi présidentielle. Nicolas Sarkozy est arc-bouté sur le projet de loi réformant les retraites pour d’autres raisons : la future loi contient quelques articles destinés à booster la retraite par capitalisation [1] au détriment de l’actuel système par répartition. Du sur mesure pour les banques et sociétés d’assurance, en particulier Malakoff Médéric qui n’existe que depuis 2008 et est devenu dès sa création le premier groupe paritaire de protection sociale en France, avec plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Ce groupe dirigé par Guillaume Sarkozy, frère du chef de l’État, a le vent en poupe et a misé gros sur l’adoption de la réforme des retraites. Car il a récemment créé avec la Caisse nationale de prévoyance (CNP Assurances), premier assureur de personnes en France avec un chiffre d’affaires de 31,5 milliards d’euros en 2007, une société d’assurance du nom de Sevriena dont le destin programmé consiste à développer massivement la retraite par capitalisation. Cette société a déjà prévu une forte croissance de ses résultats : un document confidentiel (voir plus bas) estime le potentiel de création de valeur de cette entreprise à 634 millions d’euros dans 10 ans et à 1,2 milliards dans 20 ans.
Peu de citoyens en seront informés : les principales banques et sociétés d’assurance guettent avec impatience l’adoption définitive du projet de réforme des retraites, notamment parce qu’il contient un dispositif que Nicolas Sarkozy et le gouvernement se gardent bien d’ébruiter. En effet, si l’on examine attentivement le texte de la réforme, les préoccupations réelles de Nicolas Sarkozy sont très éloignées du sauvetage de l’actuel système de retraite. Les dernières pages du projet de réforme des retraites adoptés le 15 septembre à l’Assemblée nationale contiennent un « titre V » entièrement consacré à la retraite par capitalisation, comme nous l’écrivions dans Politis (numéro du jeudi 23 septembre 2010).
Certes, ce n’est pas le cœur de la réforme, mais cette partie du projet de loi, nommée : « Mesures relatives à l’épargne retraite », décline une série de mesures dans un article 32 de cinq pages, qui va profondément modifier la réglementation de la retraite par capitalisation, jurent les spécialistes de l’épargne retraite. Pour les assureurs et les banques, un grand pas est désormais franchi : cet article 32 permettra de dynamiter le système de retraite par répartition, un souhait depuis longtemps exprimé par le groupe mutualiste Malakoff Médéric du frère de Nicolas Sarkozy.
Pendant la procédure parlementaire accélérée, qui a débuté en juin 2010 par l’audition d’Eric Woerth à l’Assemblée nationale, dans un parfait timing, Malakoff Médéric a lancé avec la Caisse nationale de prévoyance (CNP) la nouvelle société d’assurance Sevriena. « Guillaume Sarkozy a engagé son entreprise dans une politique visant à en faire un acteur majeur de la retraite complémentaire privée. Et il a trouvé des alliés autrement plus puissants que lui, en l’occurrence la Caisse des dépôts et consignations (CDC), le bras armé financier de l’Etat, et sa filiale la Caisse nationale de prévoyance (CNP). Ensemble, tous ces partenaires vont créer, le 1er janvier prochain, une société commune qui rêve de rafler une bonne part du marché qui se profile », a rappelé récemment Médiapart (ici). En clair, la réforme est un formidable outil qui conduira à « l’asphyxie financière des grands régimes par répartition » et sera donc « propice à l’éclosion de ces grands fonds de pension qui n’étaient pas encore parvenus à s’acclimater en France, à quelques rares exceptions près ».
D’ores et déjà sur les rangs, le groupe Malakoff Médéric a pris une longueur d’avance. Réunie à Paris le lundi 21 juin 2010, écrit Emmanuel Cogos, directeur adjoint du développement de l’agence de presse AEF, qui traite quotidiennement des questions de Protection sociale, de Ressources humaines (ici), « l’association sommitale du groupe de retraite et de prévoyance Malakoff Médéric a donné son feu vert à la réalisation du « projet M », nom de code du projet d’épargne retraite que prépare ce groupe, dirigé par Guillaume Sarkozy, avec la CNP, filiale de la Caisse des dépôts » (ici).
Selon l’Agefi, agence économique et financière, le conseil d’administration de l’assureur coté « a approuvé les modalités de création de cette coentreprise, baptisée Sevriena » et le « démarrage opérationnel de Sevriena, qui héritera des portefeuilles de ses deux maisons mères, est prévu pour janvier 2011 » (ici) L’affaire est désormais bien engagée.
L’autorité de la concurrence a officiellement enregistré le 18 juin 2010 l’opération de concentration en cours entre le Groupe Malakoff Médéric et le groupe CNP. Le document fourni par les parties indique que les deux groupes envisagent la création d’une société commune dont les activités seront « la création, la gestion, la distribution de produits de retraite complémentaire par capitalisation, à titre collectif ou individuel, principalement à destination des entreprises et de leurs salariés, des associations et de leurs adhérents, des travailleurs non salariés et des retraites ; la création, la gestion et la distribution de produits d’épargne salariale à destination des entreprises et des salariés des entreprises ainsi que la tenue de compte et conservation ; et, à titre accessoire, la distribution de services liés à la retraite ».
Le document officiel du Bulletin des annonces obligatoires (Balo) daté du 23 juin 2010 a formalisé les opérations de capitalisation de Sevriena, qui se sont achevées fin juillet 2010. Et l’on apprend de source syndicale que Guillaume Sarkozy devrait en occuper le poste de président du conseil de surveillance.
Notons ici la simultanéité des événements : la mise en place de la future société d’assurance, qui proposera ses produits de retraite par capitalisation en 2011, se fait dans la période pendant laquelle le gouvernement lance son projet de réforme des retraites. En fait, dès 2008. La caisse des dépôts et consignations (CDC), l’assureur public CNP et le groupe de protection sociale mutualiste Médéric veulent créer une filiale commune spécialisée dans le financement des retraites. Leur idée est de compenser l’érosion des taux de remplacement, c’est-à-dire du niveau des pensions versées par les régimes obligatoires, en proposant des solutions de retraite complémentaires aux salariés cadres et non-cadres.
Médéric compte profiter de l’expérience de la CNP, un partenaire de premier plan d’entreprises de toutes tailles pour les retraites complémentaires. La CNP assure notamment la gestion des régimes Préfon (fonds de pension destiné aux agents de la fonction publique) et Fonpel (fonds de pension destiné aux élus locaux). Et la joint venture Sevriena promet de belles perspectives avec la réforme des retraites.
Un document confidentiel daté de mars 2009, intitulé : « Projet de regroupement des activités d’épargne retraite et d’épargne salariale de CNP assurance, de Malakoff Médéric et de Quatrem » souligne qu’à l’horizon 2020, « une baisse du taux de remplacement de l’ordre de 8 % est attendue pour une carrière complète. Cette baisse est toutefois variable selon le niveau du salaire et le profil de carrière ». Le document note ainsi que « Pour les salariés qui auront subi des « trous » de carrière et pour les générations qui prendront leur retraite après 2020, la baisse du taux de remplacement sera plus forte » et a estimé le montant potentiel de collecte d’épargne retraite « qui est nécessaire pour financer le maintien du niveau de vie des futurs retraités » en 2020.
Ainsi un juteux gâteau est convoité, « compris entre 40 milliards d’euros et 110 milliards d’euros, suivant les hypothèses de comportement des individus ». Ce document de 2009 exprime aussi « la nécessité de développer une nouvelle offre d’épargne retraite » qui a quelques similitudes avec l’actuelle réforme.
Rien n’a donc été laissé au hasard. L’émergence prochaine de Sevriena montre que Nicolas Sarkozy et son gouvernement sont loin d’avoir tourné la page de la capitalisation. Ainsi, le document confidentiel de 2009 révèle que « la structure née d’un partenariat équilibré entre la CDC, CNP Assurances et le Groupe MM [Médéric] aura une action décisive dans la prise de conscience du marché et une contribution majeure au financement des besoins de retraite des salariés, cadres et non cadres. En dix ans, elle s’imposera comme le leader des solutions d’épargne retraite collective et individuelle avec une part de marché de plus de 17% en retraite collective et 4% en retraite individuelle » .
La réforme Sarkozy vise justement à renforcer l’épargne retraite créée par la réforme Fillon de 2003. Elle répond aussi à une demande expresse du Medef qui, en mai, avait rencontré le ministre du Travail, Eric Woerth. Laurence Parisot, présidente du Medef, avait alors réclamé « un nouveau dispositif très incitatif, voire obligatoire, de système par capitalisation ». Avant sa rencontre avec le ministre, la patronne du Medef avait vanté les « vertus » de la capitalisation, qui « crée des richesses et n’en ponctionne pas », et estimé que, « sur le long terme, l’évolution des marchés est toujours gagnante ». On comprend désormais pourquoi le Medef, dont Guillaume Sarkozy a été un temps son vice-président, trouve tant de vertu à la capitalisation.
Les discussions autour du projet de loi les incitent à aller vite. Le vœu de l’administratrice de la BNP Paribas, une des banques très favorables à la retraite par capitalisation, a été exaucé haut la main par les députés UMP proches des banques et des assureurs. Les amendements déposés par Xavier Bertrand, Arnaud Robinet et surtout par le très libéral Yannick Paternotte, secrétaire général des réformateurs, ont servi de base au texte adopté par l’Assemblée nationale.
Xavier Paternotte a présenté pas moins de 15 amendements relatifs à l’épargne retraite, et en a cosigné pas moins de 90 autres avec ses collègues. Et en fervent promoteur du « second pilier de la capitalisation », le député a réussi son coup en obtenant, en juillet 2010, le feu vert de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et la bénédiction des assureurs.
La logique du texte adopté est claire : « Nous voulons inscrire l’épargne retraite comme un appui [à la retraite par répartition] et non comme un tabou », a plaidé Arnaud Robinet. Ainsi, le projet de réforme des retraites prévoit que la moitié des sommes perçues par un salarié au titre de la participation aux résultats de l’entreprise sera, sauf avis contraire dudit salarié, obligatoirement versée sur le plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco).
Les députés UMP ont étendu cette mesure à d’autres formes de capitalisation qui bénéficient d’avantages fiscaux : le plan d’épargne retraite d’entreprise (Pere) et le plan d’épargne retraite populaire (Perp). Enfin, pour renforcer l’attractivité de la retraite par capitalisation, l’homme lige de Nicolas Sarkozy, secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, est coauteur d’une mesure qui permet une sortie en capital, certes limitée à 20 %, lors du départ en retraite.
Xavier Paternotte n’hésite pas à reprendre à son compte les arguments du Medef pour expliquer ce volet de la réforme des retraites : « Relancer l’épargne retraite constitue une urgence sociale et un gage de compétitivité du tissu économique, favorable à l’emploi de demain ». C’est oublier le caractère très inégalitaire et la logique de ces fonds d’épargne retraite qui cherchent à maximiser les rendements et prennent des risques sur les marchés financiers. La crise a par ailleurs infligé un cinglant démenti à ceux qui juraient que le rendement du système par capitalisation était supérieur à celui du système par répartition.
Mais peu importe. Le recul de la retraite par répartition depuis les premières grandes réformes, qui ont commencé dans les années 1990 (voir l’encadré ci-dessous), s’est accompagné de la mise en place progressive des fonds de pension « à la française » qui sont un enjeu de taille pour les compagnies d’assurance et le capital financier. Laisser un champ de plusieurs centaines de milliards hors des marchés financiers leur est insupportable. Sevriena se chargera de récupérer cette manne.
La montée de la capitalisation
On doit au très libéral Alain Madelin l’instauration en 1994 de la première retraite par capitalisation, un an après la réforme de 1993. Elle concerne les non salariés (industriels, professions libérales, commerçants) et son encours est de 19 milliards d’euros en 2009. Il faudra attendre 1997 et l’adoption de la loi Thomas (qui sera abrogée en 2002) pour que naissent les plans d’épargne retraite, autre nom de la retraite par capitalisation. En 2003, la réforme de François Fillon favorise le développement de l’épargne retraite individuelle, avec la création du plan d’épargne retraite populaire (Perp), qui s’adresse aux 9,2 millions de salariés du privé imposables et du plan d’épargne retraite collectif (Perco) qui remplace le plan partenarial d’épargne salariale volontaire (PPESV), créé par la gauche en 2001. Le Perp a drainé 5,3 milliards d’euros en 2009 et le Perco, 3 milliards, jugés nettement insuffisant par les sociétés d’assurances qui convoitent les quelque 100 milliards d’euros de la retraite par répartition. Rappelons que le Perp et le Perco ont été institués par des amendements déposés par Hervé Novelli, chef de file des libéraux au sein de l’UMP, et par un certain… Eric Woerth. Au total, tous produits confondus, l’encours de l’épargne retraite est de 123,8 milliards d’euros en 2009.
Notes
[1] Dans un système de retraite « par répartition », on prélève des cotisations sociales qui sont immédiatement reversées aux retraités. Dans un système de retraite « par capitalisation », l’épargne individuelle est placée dans des institutions financières (fonds de pension, compagnies d’assurances…). En France, les fonds de pension ont pris le nom d’ « épargne retraite », sans doute pour ne pas effrayer les salariés trop bien informés.