C’est décembre, et contre tous les pronostics majoritairement défavorables, nous sommes toujours debout. Beaucoup, chez nos amis comme chez nos ennemis, prédisaient que nous ne passerions pas le premier semestre de l’année.
En janvier 2016, les couloirs et les réunions bruissaient de la rumeur suivante : on nous donnait 6 mois, au-delà ce serait le néant. Juin 2016 se profilait comme l’horizon indépassable de l’aventure révolutionnaire ; on ne se projetait même pas en 2017. Or nous sommes toujours là, avec des projets pour l’année à venir qui sera, comme chaque année la plus difficile du processus révolutionnaire. [...]
J’aime l’univers de la boxe ; j’y fais référence car la dynamique politique vénézuélienne me fait penser à une série d’assauts : certains servent à user et affaiblir, d’autres visent le KO. Mais beaucoup ont été donnés dans le vide, d’autres étaient aussi usant pour un combattant que pour l’autre et ne servaient in fine qu’à ennuyer le public, à l’éloigner du duel, comme s’il n’avait face à lui que deux boxeurs usant de trucs de catcheurs plutôt que cherchant à se battre à la loyale. C’est ce qui s’est passé cette année ; et s’il y a bien quelque chose de pire que d’être acculé dans les cordes, c’est de se battre face à des tribunes qui se vident. [...]
Faire le bilan à ce jour c’est le faire à un an de la défaite électorale la plus significative du chavisme, celle des élections législatives. C’est arrivé le 6 décembre 2015 avec un résultat qui, même s’il était pressenti, a déjoué les pronostics avec des chiffres inespérés. Les jours précédents on parlait de légères différences mais surtout pas de majorité qualifiée en faveur de la droite. L’annonce des résultats fut une véritable douche froide : ils montraient que le chavisme, jusqu’ici gagnant de toutes les joutes électorales, pouvait perdre. Et perdre sérieusement. Cela a eu des conséquences sur les diagnostics postérieurs, sur le pessimisme des générations grandies dans cet univers de victoires permanentes, différentes en cela de celles des autres pays souvent confrontées à la déroute et à la résistance.
Une question surgit obligatoirement à un an des élections : avons-nous changé ? En réalité, je pense que non : ni chez les dirigeants, ni à la base du chavisme – constitué des communes, du mouvement social, des intellectuels, bref tout ce qui n’est pas organiquement ou idéologiquement dépendant du PSUV , même s’il y a des liens. Toute défaite implique un changement : Hugo Chavez parlait des 3 R. , révision, rectification et redémarrage. Cependant les 2 univers, constitutifs de l’indispensable unité, ont poursuivi en terrain connu, ce qui s’est révélé finalement insuffisant. La sphère dirigeante a pu conserver le pouvoir malgré les assauts putschistes, et le mouvement communal/populaire a suivi son processus sectoriel et local. L’ordre révolutionnaire tendait à sa reproduction et non à son dépassement. La révolution dans la révolution n’a pas pu émerger.
Un approfondissement pouvait uniquement venir de la base du chavisme. Le problème à ce jour est qu’elle ne s’est pas assigné cet objectif et n’a donc pas construit les outils pour ce faire. Sans pression il n’y a pas de changement, sans commandement il n’y a pas d’obéissance, sans envie de débattre – et d’organisation pour le faire – il n’y a pas de conquête. Le mouvement populaire vénézuélien, qui n’est pas la même chose que l’organisation populaire, a une dette historique au sein de ce processus. Car les lignes de front, la prise de pouvoir populaire sur l’ennemi ne seront pas impulsées par la sphère dirigeante ; et ce pour une simple raison : ce n’est pas son projet ; en tout cas pas celui d’une majorité. Chavez l’a vu, l’a dit et a laissé un plan minutieux et précis pour aider à avancer. Qui conduira le processus vers cet objectif ? Très peu, comme on peut le voir ; et sans rapport de force interne.
Ce schéma a permis malgré tout de rester dans les cordes, de supporter les crochets et de rendre quelques uppercuts. La tentative de coup d’État fin octobre en a été la preuve la plus flagrante : la droite en est restée désarticulée et sans force suite à sa course vers l’abîme. Après s’être rengorgée, elle est tombée dans le ridicule (cf la scène finale où Lilian Tintori s’enchaîne au Vatican !). Il faut le redire encore et encore, un des grands avantages du chavisme a été historiquement d’avoir face à lui la médiocrité de la droite, son incapacité à construire une hégémonie, des leaderships solides, une unité pragmatique, etc.
Le problème fondamental a été et est toujours l’économie, cible de toutes les attaques, maillon faible du chavisme, autant dans les faits que dans les perspectives. Dans les faits parce qu’effectivement le processus révolutionnaire a retardé la transformation de l’appareil productif. C’est cette étape que devait mener à bien Hugo Chavez lui-même. Je ne juge pas à la légère : transformer des dispositifs construits durant un siècle au service exclusif de la rente pétrolière n’est pas chose aisée ; il s’agit de quelque chose de plus profond qui relève même du culturel. Des choses ont été faites, insuffisantes certes mais bien réelles : des expropriations, des nationalisations-clés – l’industrie pétrolière par exemple –, des créations de nouvelles entreprises d’État ou communales, etc. Ce processus doit être étudié minutieusement tant il est vrai que par manque d’expérience, de suivi, à cause de la corruption, ou d’une organisation verticale aux mains des militaires les résultats attendus n’étaient pas au rendez-vous.
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