L’Irlande a dit ‘no’ aux eurocrates. Pour le coup, le prochain gueuleton des scriptoblogueurs, c’est décidé, ce sera dans un pub irlandais…
En attendant, profitons de la présence à portée d’emails de l’ami Al.
Al est un copain, Al est français et vit en Irlande, Al s’est embrigadé là-bas dans la grande armée du ‘no’, division des brigades internationales pour l’Irlande ! Petite interview du soldat Al…
Scripto : Pourquoi ce non irlandais ? L’Irlande, au départ un pays plutôt retardataire, a reçu beaucoup de subventions de l’UE. Le dumping fiscal lui a plutôt souri... Alors pourquoi ce ‘no’ ?
Al : Il faut savoir que l’économie irlandaise a eu une croissance ahurissante depuis 1996 et connaît maintenant un gros ralentissement. Ils sont dans un système typique du ’Boom and Bust’. La politique monétaire de ‘livre faible’ pratiquée en Irlande a dopé cette économie, surtout au moment où la France et d’autres pays pratiquaient plutôt une politique de monnaie forte pour s’arrimer au Deutsch Mark. L’Irlande est entrée dans l’euro sur la base d’un taux de conversion bas. Il en résulté que la main d’œuvre irlandaise était bon marché, d’où un investissement étranger massif. Exactement le contraire de la France, qui a sacrifié ses classes populaires pour que son capitalisme investisse à l’étranger.
Cela dit, le ‘miracle irlandais’ est derrière nous. Les coûts de production en Irlande ont désormais rattrapé ceux du continent, la croissance s’atténue. Surtout que la montée de l’euro face au dollar compense la sous-évaluation initiale de la monnaie locale, si tu veux.
L’économie miraculeuse est à bout de souffle. Les investissements sont faibles. Ça commence même à délocaliser en ce moment. La main d’œuvre est devenue trop cher. L’Euro est fort face au Dollar et cela ruine les exportations.
Scripto : La situation irlandaise commence à se rapprocher de celle de la France ?
Al : La grande différence, c’est l’emplacement de la dette. En Irlande, la dette de l’Etat est faible. Mais, les gens ont emprunté beaucoup pour acheter des propriétés à des prix exorbitants et maintenant que le chômage augmente, le conte de fées risque de se transformer en cauchemar. Donc, je crois que les gens ne sont pas dupes, ils savent que l’Irlande va souffrir économiquement et qu’ils vont en payer les conséquences.
D’autres facteurs plus sociétaux sont impressionnants pour un petit pays et peuvent avoir influencé le rejet. Je citerais par exemple la drogue, qui devient un problème majeur en Irlande. La croissance économique est venue percuter une société non préparée, il en est résulté des pathologies sociales spécifiques, l’addiction à la cocaïne, en particulier, qui semble devoir remplacer le whisky comme spécialité locale… En témoigne récemment la mort de Katy French.
L’Irlande est désormais ‘post-celtique’, et elle ne le vit pas bien. Il y a un gros malaise. Le taux de suicide est très élevé. Il semble que ce malaise soit particulièrement sensible chez les hommes, qui supportent mal le passage à une société du vide, très différente de ce qu’était l’Irlande traditionnelle.
Autre stigmate d’une croissance économique qui a bouleversé une société jadis connue pour sa stabilité (3 siècles de résistance victorieuse à l’acculturation anglaise !) : l’immigration. Cette immigration commence a poser de gros problèmes de criminalité, et qui ne viennent d’ailleurs pas seulement des populations d’origine extra-européenne. Signe des temps, le taux d’homicide à l’arme blanche aurait progressé de 300 % ces quatre dernières années…
Conclusion : il faut sortir du cliché de l’Irlande, une sorte de conservatoire celtique à l’ouest du continent. C’est aujourd’hui un pays moderne, même si les routes/infrastructures sont mauvaises. C’est un pays moderne, avec tout ce que ça implique de problèmes, d’instabilité, de malaise social ou identitaire. Je confirme que L’Irlande a connu un changement très, et même trop rapide depuis 1996.
Scripto : Comment s’est déroulé la campagne ?
Al : Le ‘yes’ a commis beaucoup d’erreurs. L’intervention de Mr Barroso a été très mal vue. Je pense que ca a joué beaucoup pour le Non. Son Anglais a été très approximatif pour un diplomate. Erreur classique d’un étranger qui s’exprime dans une langue autre que la sienne. Il a dit/traduit le fond de sa pensée ce qui n’est pas passé très bien sur le plan médiatique. Un Tony Blair ou un anglophone séduisant aurait embobiné les Irlandais sans les brusquer. Mais évidemment, les Anglais passent encore mal sachant le passé de l’Irlande.
Ensuite, il y a eu l’intervention de Kouchner. Cela a été très facile pour Denclan Ganley de le remettre en place en mentionnant que la France fut la première à dire Non par Referendum en 2005. La vidéo circule sur le net concernant cette remarque.
Scripto : Et maintenant ? Quelle va être la réaction de la classe politique irlandaise ? Ils ont dit : pas de deuxième référendum. Mais encore ? L’Irlande dans l’UE, mais hors Lisbonne ? Quel est le discours officiel à ce sujet, en Irlande ?
Al : Je ne sais pas - Je vais découvrir cela comme vous. Pour sûr, ça va être la farandole entre Dublin et Bruxelles dans les prochains jours. Je ne pense pas qu’un deuxième referendum puisse arriver cette année. Pour le moment, c’est un énorme désastre du côté des Eurocrates ! Ce qui me fait le plus rire, c’est que les Britanniques sont très ennuyés pas ce résultat et ils veulent continuer la ratification du Traité– Pourquoi tant d’empressement de leur côté ?!!!
Scripto : Dans le camp du "non", il y a eu une coalition assez large. Peux-tu nous expliquer quelles sont les forces en présence ? Et comment elles vont réagir maintenant ?
Al : Pour être honnête, les forces ou coalitions du ‘No’ sont à mon avis très désorganisées avec très peu de cohésion entre les groupes ! Les forces du ‘Yes’ étaient aussi dans la même situation, d’ailleurs. Concernant le groupe avec qui j’ai fait campagne, c’est ici. J’étais plus particulièrement dans le mouvement anti-war ‘The Irish Anti-War Movement US Military Out of Shannon’. Tous ces mouvements sont populaires et de gauches (socialiste & communiste).
Les mouvements paysans ont retourné leur veste pour le ‘yes’ une semaine avant le referendum - On peut se demander pourquoi ??!!
Le mouvement Libertas se situe plus à droite, ‘liberal’ disons. Il est déterminé et plus diplomate sur la scène politique comparé a Sinn Fein. Mais ces gens seront partants pour une négociation sur un traité qui donne des avantages à leurs affaires. Et ils seront certainement moins regardants concernant la souveraineté du peuple, si tu me comprends.
Scripto : Bref, c’est à peu près comme en France en 2005, le FN en moins… Par curiosité, est-ce que Sarkozy est vu comme quelqu’un de sérieux en Irlande, ou bien est-ce qu’il est perçu là-bas comme il l’est de plus en plus ici, c’est à dire comme un bouffon même pas drôle ?
Al : Un panneau de Libertas représentait Sarkozy dans une position d’imbécile. Néanmoins, il a eu peu d’importance par rapport aux bourdes de Barroso et Kouchner.
Scripto : Si tu avais un conseil à nous donner sur la meilleure manière de remercier les Irlandais pour leur vote "en notre nom à tous" ?
Al : Je ne sais pas - C’est pas évident. Je crois aussi qu’il avait une grosse pression sur ce peuple/pays concernant ce referendum. Le mieux, c’est de garder le contact avec les réseaux pour le Non et les soutenir. Pour ma part, on doit prendre le relais/combat en France pour une modification du dit traité et/ou un Referendum – En bref, ne pas lâcher prise !
Scripto : Peux-tu nous décrire la campagne électorale en Irlande, vue du terrain ?
Al : Pas beaucoup d’energie, pas beaucoup de moyens financiers et beaucoup de gens se sont abstenus. Les medias ont été très tardifs (pour les raisons techniques, à cause des procédures du scrutin en Irlande) avec des débats concernant le traité qui furent vagues concernant le ‘Yes’. Ce qui a facilité notre défense contre le traité. Rien à voir avec les débats français de 2005. Mais ils ont fait le bon choix, pour finir !
Source : http://www.scriptoblog.com
Alain G., dit Al, est membre d’Égalité & réconciliation.
En attendant, profitons de la présence à portée d’emails de l’ami Al.
Al est un copain, Al est français et vit en Irlande, Al s’est embrigadé là-bas dans la grande armée du ‘no’, division des brigades internationales pour l’Irlande ! Petite interview du soldat Al…
Scripto : Pourquoi ce non irlandais ? L’Irlande, au départ un pays plutôt retardataire, a reçu beaucoup de subventions de l’UE. Le dumping fiscal lui a plutôt souri... Alors pourquoi ce ‘no’ ?
Al : Il faut savoir que l’économie irlandaise a eu une croissance ahurissante depuis 1996 et connaît maintenant un gros ralentissement. Ils sont dans un système typique du ’Boom and Bust’. La politique monétaire de ‘livre faible’ pratiquée en Irlande a dopé cette économie, surtout au moment où la France et d’autres pays pratiquaient plutôt une politique de monnaie forte pour s’arrimer au Deutsch Mark. L’Irlande est entrée dans l’euro sur la base d’un taux de conversion bas. Il en résulté que la main d’œuvre irlandaise était bon marché, d’où un investissement étranger massif. Exactement le contraire de la France, qui a sacrifié ses classes populaires pour que son capitalisme investisse à l’étranger.
Cela dit, le ‘miracle irlandais’ est derrière nous. Les coûts de production en Irlande ont désormais rattrapé ceux du continent, la croissance s’atténue. Surtout que la montée de l’euro face au dollar compense la sous-évaluation initiale de la monnaie locale, si tu veux.
L’économie miraculeuse est à bout de souffle. Les investissements sont faibles. Ça commence même à délocaliser en ce moment. La main d’œuvre est devenue trop cher. L’Euro est fort face au Dollar et cela ruine les exportations.
Scripto : La situation irlandaise commence à se rapprocher de celle de la France ?
Al : La grande différence, c’est l’emplacement de la dette. En Irlande, la dette de l’Etat est faible. Mais, les gens ont emprunté beaucoup pour acheter des propriétés à des prix exorbitants et maintenant que le chômage augmente, le conte de fées risque de se transformer en cauchemar. Donc, je crois que les gens ne sont pas dupes, ils savent que l’Irlande va souffrir économiquement et qu’ils vont en payer les conséquences.
D’autres facteurs plus sociétaux sont impressionnants pour un petit pays et peuvent avoir influencé le rejet. Je citerais par exemple la drogue, qui devient un problème majeur en Irlande. La croissance économique est venue percuter une société non préparée, il en est résulté des pathologies sociales spécifiques, l’addiction à la cocaïne, en particulier, qui semble devoir remplacer le whisky comme spécialité locale… En témoigne récemment la mort de Katy French.
L’Irlande est désormais ‘post-celtique’, et elle ne le vit pas bien. Il y a un gros malaise. Le taux de suicide est très élevé. Il semble que ce malaise soit particulièrement sensible chez les hommes, qui supportent mal le passage à une société du vide, très différente de ce qu’était l’Irlande traditionnelle.
Autre stigmate d’une croissance économique qui a bouleversé une société jadis connue pour sa stabilité (3 siècles de résistance victorieuse à l’acculturation anglaise !) : l’immigration. Cette immigration commence a poser de gros problèmes de criminalité, et qui ne viennent d’ailleurs pas seulement des populations d’origine extra-européenne. Signe des temps, le taux d’homicide à l’arme blanche aurait progressé de 300 % ces quatre dernières années…
Conclusion : il faut sortir du cliché de l’Irlande, une sorte de conservatoire celtique à l’ouest du continent. C’est aujourd’hui un pays moderne, même si les routes/infrastructures sont mauvaises. C’est un pays moderne, avec tout ce que ça implique de problèmes, d’instabilité, de malaise social ou identitaire. Je confirme que L’Irlande a connu un changement très, et même trop rapide depuis 1996.
Scripto : Comment s’est déroulé la campagne ?
Al : Le ‘yes’ a commis beaucoup d’erreurs. L’intervention de Mr Barroso a été très mal vue. Je pense que ca a joué beaucoup pour le Non. Son Anglais a été très approximatif pour un diplomate. Erreur classique d’un étranger qui s’exprime dans une langue autre que la sienne. Il a dit/traduit le fond de sa pensée ce qui n’est pas passé très bien sur le plan médiatique. Un Tony Blair ou un anglophone séduisant aurait embobiné les Irlandais sans les brusquer. Mais évidemment, les Anglais passent encore mal sachant le passé de l’Irlande.
Ensuite, il y a eu l’intervention de Kouchner. Cela a été très facile pour Denclan Ganley de le remettre en place en mentionnant que la France fut la première à dire Non par Referendum en 2005. La vidéo circule sur le net concernant cette remarque.
Scripto : Et maintenant ? Quelle va être la réaction de la classe politique irlandaise ? Ils ont dit : pas de deuxième référendum. Mais encore ? L’Irlande dans l’UE, mais hors Lisbonne ? Quel est le discours officiel à ce sujet, en Irlande ?
Al : Je ne sais pas - Je vais découvrir cela comme vous. Pour sûr, ça va être la farandole entre Dublin et Bruxelles dans les prochains jours. Je ne pense pas qu’un deuxième referendum puisse arriver cette année. Pour le moment, c’est un énorme désastre du côté des Eurocrates ! Ce qui me fait le plus rire, c’est que les Britanniques sont très ennuyés pas ce résultat et ils veulent continuer la ratification du Traité– Pourquoi tant d’empressement de leur côté ?!!!
Scripto : Dans le camp du "non", il y a eu une coalition assez large. Peux-tu nous expliquer quelles sont les forces en présence ? Et comment elles vont réagir maintenant ?
Al : Pour être honnête, les forces ou coalitions du ‘No’ sont à mon avis très désorganisées avec très peu de cohésion entre les groupes ! Les forces du ‘Yes’ étaient aussi dans la même situation, d’ailleurs. Concernant le groupe avec qui j’ai fait campagne, c’est ici. J’étais plus particulièrement dans le mouvement anti-war ‘The Irish Anti-War Movement US Military Out of Shannon’. Tous ces mouvements sont populaires et de gauches (socialiste & communiste).
Les mouvements paysans ont retourné leur veste pour le ‘yes’ une semaine avant le referendum - On peut se demander pourquoi ??!!
Le mouvement Libertas se situe plus à droite, ‘liberal’ disons. Il est déterminé et plus diplomate sur la scène politique comparé a Sinn Fein. Mais ces gens seront partants pour une négociation sur un traité qui donne des avantages à leurs affaires. Et ils seront certainement moins regardants concernant la souveraineté du peuple, si tu me comprends.
Scripto : Bref, c’est à peu près comme en France en 2005, le FN en moins… Par curiosité, est-ce que Sarkozy est vu comme quelqu’un de sérieux en Irlande, ou bien est-ce qu’il est perçu là-bas comme il l’est de plus en plus ici, c’est à dire comme un bouffon même pas drôle ?
Al : Un panneau de Libertas représentait Sarkozy dans une position d’imbécile. Néanmoins, il a eu peu d’importance par rapport aux bourdes de Barroso et Kouchner.
Scripto : Si tu avais un conseil à nous donner sur la meilleure manière de remercier les Irlandais pour leur vote "en notre nom à tous" ?
Al : Je ne sais pas - C’est pas évident. Je crois aussi qu’il avait une grosse pression sur ce peuple/pays concernant ce referendum. Le mieux, c’est de garder le contact avec les réseaux pour le Non et les soutenir. Pour ma part, on doit prendre le relais/combat en France pour une modification du dit traité et/ou un Referendum – En bref, ne pas lâcher prise !
Scripto : Peux-tu nous décrire la campagne électorale en Irlande, vue du terrain ?
Al : Pas beaucoup d’energie, pas beaucoup de moyens financiers et beaucoup de gens se sont abstenus. Les medias ont été très tardifs (pour les raisons techniques, à cause des procédures du scrutin en Irlande) avec des débats concernant le traité qui furent vagues concernant le ‘Yes’. Ce qui a facilité notre défense contre le traité. Rien à voir avec les débats français de 2005. Mais ils ont fait le bon choix, pour finir !
Source : http://www.scriptoblog.com
Alain G., dit Al, est membre d’Égalité & réconciliation.