JO 2014 : la flamme à la ligne de partage des eaux de deux océans. La Russie renforce ses positions en Arctique. D’où aussi le parcours inédit de la flamme olympique. Elle vient de traverser donc la ligne de partage des océans Pacifique et Glacial arctique, après être passée par Norilsk, l’une des villes les plus septentrionales du monde, située à 300 km au nord du cercle polaire Arctique.
Cette première pour la flamme (à savoir d’aller au-delà du cercle polaire) s’accompagnait d’ailleurs, au même moment, d’une déclaration sans ambiguïté du ministre de la Défense. Qui expliquait, suite à la décision de se doter de navires de patrouille à coque renforcée pour l’Arctique, que la Russie « œuvre pour le renforcement de ses forces militaires en Arctique pour défendre ses intérêts nationaux dans cette région ».
Il s’agit d’un programme d’une grande envergure, y compris la reconstruction/rénovation des infrastructures militaires du Grand Nord (comme la base aérienne du Temp à proximité de la Route maritime du Nord, de plus en plus navigable), ou encore le projet de construire d’ici 2030 une immense flotte de 2000 navires, dont 80 % seront mise à contribution dans le transport d’hydrocarbures en Arctique.
Hôte du forum international « Arctique, territoire de dialogue » (tenu à Salekhard en septembre dernier, en présence des responsables russes, dont le président Poutine lui-même), Moscou ne s’est pas privé de l’opportunité d’envoyer, au même moment, un groupe de navires de guerre de la flotte du Nord pour parcourir plus de 3000 km jusqu’aux îles de la Nouvelle-Sibérie (le plus loin jusqu’ici pour des navires de guerre).
Une démonstration de force qui est tout sauf gratuite. En effet, comme l’écrit Voice of Russia à propos des appels à la coopération et au dialogue entre les pays autour de l’Arctique, « pour participer à ce “dialogue” sur un pied d’égalité, chaque pays doit renforcer ses positions sur ce territoire », y compris en termes de capacités militaires.
Derrière sa belle rhétorique sur la coopération, l’Amérique a exactement la même approche. Dans sa nouvelle Stratégie pour l’Arctique, le Pentagone détaille « les intérêts US de sécurité nationale en Arctique » qui comprennent « des sujets comme la défense antimissile et l’alerte avancée, le déploiement de systèmes maritimes et aériens pour le transport stratégique maritime, la dissuasion nucléaire » etc. Vu la liste, difficile d’imaginer que les USA seraient prêts à tout miser sur le « dialogue » international.
Évidemment, c’est dans un pur esprit de coopération, et dans le but de « construire un monde meilleur pour l’humanité toute entière » que les États-Unis prennent toute leur part dans la course au contrôle sur l’Arctique. Eux, qui ne daignent même pas consulter leurs plus proches alliés pour les affaires qui concernent pourtant ces derniers directement, ils se seraient brusquement convertis au multilatéralisme, et se jetteraient avec joie dans les délices de la concertation internationale.
En réalité, quand il présente la toute nouvelle « Stratégie pour l’Arctique », le secrétaire à la Défense [Chuck Hagel] veut faire d’une pierre deux coups. Séduire l’audience internationale, certes, mais aussi faire du lobbying auprès du Congrès, en vue d’une compression moins importante du budget militaire US.
Il répète les appels habituels à la coopération internationale, au recours aux enceintes multilatérales (comme le Conseil de l’Arctique, la Table ronde des Forces de sécurité Arctiques, les réunions des Chefs d’état-major nordiques), à l’effort diplomatique en général. Mais, cette fois-ci, derrière la rhétorique habituelle, il y a autre chose que juste l’hypocrisie obligatoire.
Ce n’est pas un hasard s’il tient, au milieu de tout ce baratin, à mentionner « les réductions excessives, profondes et abruptes dans le budget de la défense » américain. De même que le constat selon lequel, dans l’histoire, la découverte d’une « nouvelle frontière » (aujourd’hui l’Arctique de plus en plus navigable) a toujours été suivie de conflits. Ce qu’il vaudra mieux d’éviter, dit-il, dans ce cas.
L’association de ces deux éléments (réductions drastiques du budget militaire et le défi d’une « nouvelle frontière ») ne laisse aucun doute sur les intentions de M. Hagel. Si les beaux esprits (européens pour la plupart) pourront se féliciter une énième fois de la conversion « inévitable », sous le poids de son déficit budgétaire, de l’Amérique au multilatéralisme salutaire, aux États-Unis, en revanche, personne ne l’entendra de cette oreille. On n’y comprendra que contrainte. Et une contrainte d’autant plus inacceptable qu’il s’agit là d’une « nouvelle frontière ».
Car le choix du terme est tout sauf anodin. Traditionnellement, la seule évocation d’une « nouvelle frontière » avait suffi pour mobiliser l’ensemble des ressources (financières, industrielles, militaires, académiques, cinématographiques etc.) de l’Amérique. En vue de la conquérir (et d’y installer leur primauté/contrôle). Les propos du chef du Pentagone suggèrent que les coupes budgétaires pourraient rendre cet exercice maintenant beaucoup plus problématique.
Or, comme dit Hagel, « alors que des changements se produisent dans le paysage stratégique, les États-Unis et leurs alliés doivent être prêts à adapter leurs institutions et capacités de défense pour répondre à ces nouveaux défis ». Dans cet esprit, le Pentagone va « continuellement réévaluer ses besoins à mesure que les activités s’intensifient dans la région de l’Arctique ». Tout en essayant de trouver l’équilibre, selon Hagel, « entre les investissements potentiels dans l’Arctique d’un côté, et d’autres priorités en matière de sécurité nationale de l’autre ». Et ce, avec un budget en chute libre. Pauvre Pentagone.
Hajnalka Vincze