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Quand on découvre qu’une théorie juridique est à la source de la crise financière de 2008

Docteur en droit et avocat d’un dissident médiatique qu’il n’est point besoin de présenter, Me Damien Viguier a publié il y a peu aux éditions Kontre Kulture un court ouvrage de droit intitulé La Réification de la parole, qui n’a pas manqué de retenir notre attention.

 

Dans une belle langue concise, cet auteur prolixe et profond y rappelle qu’en droit romain, les jurisconsultes et magistrats avaient pris l’usage, en distinguant les choses des personnes, de classer les actions en justice selon qu’elles réclamaient la reconnaissance d’un droit direct sur une chose, dénommé droit réel (au sens de res, rem, rei : chose), tel le droit de propriété ou l’usufruit, ou la reconnaissance d’un droit personnel, dit encore droit de créance, contre une personne.

Ajoutons, pour être complet, que cette division des actions procédurales est extrêmement ancienne, puisqu’elle est antérieure à la loi des XII Tables (-450 av. NSJC), et remonte sans doute aux premiers temps de la fondation de Rome par Remus et Romulus.

Le sacramentum, qui constituait selon le jurisconsulte Gaïus l’action de droit commun – et la plus ancienne au reste – des actions de la loi (legis actiones), ces actions procédurales teintés de rite paganiste primitif et de formalisme vétilleux, se subdivisait elle-même en deux sous-actions, le sacramentum in rem (dont l’objet est la revendication ou la restitution d’une chose) et le sacramentum in personam (dont l’objet est le paiement d’une somme d’argent par une personne présentée comme débitrice du demandeur).

À y regarder de près, cette classification rigoureuse puise son origine dans une vision éminemment réaliste, conservatrice et non idéalisée du monde et de l’homme. Obtenir le paiement d’une somme de la part de son débiteur implique sa participation à cette action, et plus fondamentalement sa bonne volonté, sa solvabilité, son honnêteté, son honorabilité en dernier lieu. Être créancier de cette somme n’équivaut donc nullement à en être déjà propriétaire. Le devenir de la créance repose essentiellement sur la « capacité du débiteur à honorer sa parole ».

On comprend dès lors que les juristes médiévaux, témoins du féodalisme et des liens de vassalité au centre desquels se loge l’honneur et l’hommage, aient pu admettre sans coup férir, lorsqu’ils redécouvrirent le droit romain au XIIe siècle, cette distinction des jurisconsultes romains. Ils parvinrent même, avec l’école de la glose de Bartole, à un degré d’abstraction plus élevé et divisèrent les droits eux-mêmes entre droits réels, dont l’objet est la chose elle-même (jus in rem), et les droits personnels, dont l’objet est l’action d’une personne, telle la livraison d’un bien (jus in personam ou jus ad rem). Dans une telle optique, il serait absurde de prétendre qu’une créance est un bien et que l’on peut en être propriétaire. Une créance ne vaut que ce que vaut celui qui la doit. Ainsi est-on soit propriétaire de son bien corporel (res corporales) ou titulaire d’un droit réel sur le bien corporel d’autrui (usufruit, emphytéose), soit l’on est titulaire d’une créance contre une personne, aux fins de se faire remettre une somme d’argent, un ouvrage ou un bien corporel.

Cette classification conforme à une conception très personnelle – des qualités et des défauts – de l’homme s’est progressivement diffusée au bas Moyen Âge dans les pays de droit écrit (langue d’oc) du Royaume de France et a fini par être considérée comme une évidence sous l’Ancien Régime avant d’être entérinée par le Code Napoléon en 1804. Tout au long du XIXe siècle, la « doctrine », c’est-à-dire l’ensemble des universitaires qui publiaient des ouvrages ou des articles de presse sur l’interprétation de ce Code, n’eut de cesse de répéter que les droits étaient soit réels, soit personnels.

Et, pourtant, un mouvement doctrinal s’est esquissé au milieu du XXe siècle, après la Seconde Guerre mondiale, qui a défendu une théorie radicalement différente, dite de la propriété des créances. Selon ses promoteurs, les biens se rangeraient entre biens corporels et biens incorporels et la puissance d’emprise qui s’exerce sur eux n’est autre que la propriété. Présentée à ce stade, la théorie serait indolore si l’on considérait que les biens incorporels ne comportent que les œuvres de l’esprit (droits d’auteur) et non les créances. Mais, précisément, il s’agit pour ces auteurs d’y intégrer les droits de créance, dont l’on pourrait désormais être propriétaire. Le lecteur profane pourrait se dire qu’il n’en a cure pour son quotidien. Il commettrait ce faisant une grave erreur, car cette théorie s’est tellement propagée dans l’université française qu’elle en vient, dans l’enseignement à nos étudiants en droit, à se substituer à la traditionnelle. Pire, elle a justifié la titrisation des créances, qui aurait été impossible si l’on n’y voit pas un bien, à l’origine de la terrible crise financière de 2008.

L’illustre mérite de Me Viguier est de signaler ce lien inavoué de cause à effet :

« Nous sommes frappés de la coïncidence d’une théorie qui veut regarder les créances comme des biens et des pratiques financières du capitalisme moderne ».

Si l’on fait en effet totalement abstraction de l’honorabilité, de l’honnêteté et de la solvabilité du débiteur, ne compte plus que l’étendue de ses seuls actifs, qu’il est tentant d’évaluer à leur seule valeur vénale. Une spéculation peut alors se prêter à la circulation des créances et des produits financiers dynamiques se créer sur cette illusion. L’auteur s’exclame à juste titre avec désarroi :

« On a érigé en règle de droit une fraude qu’impuissance ou perversité, l’on ne pouvait, ou l’on ne voulait plus combattre ».

Le second mérite de Me Viguier, après en avoir découvert la filiation, est de révéler la double paternité de cette théorie de la propriété des créances dans la comptabilité en partie double inventée par les marchands italiens à la fin du Moyen Âge, d’une part, et la théorie du patrimoine émanation de la personne des professeurs Aubry et Rau au XIXe siècle.

Werner Sombart avait déjà expliqué en quoi le capitalisme n’avait pu éclore que par le jeu de la comptabilité en partie double qui, à l’opposé de l’ancienne comptabilité en partie simple, incluait les créances et les dettes (et non seulement les encaissements et décaissements) comme si elles étaient des actifs positifs ou négatifs. Cette fiction a été prise à la lettre – comme à la lettre ? – par les promoteurs de la propriété des créances pour en déduire qu’elles sont des biens. Les professeurs Aubry et Rau avaient par ailleurs ouvert la voie en écrivant, en 1850, que le patrimoine, qu’ils n’entendaient pas au sens profane (celui de l’ensemble des actifs mobiliers et immobiliers d’une personne) mais en tant que contenant virtuel de l’intégralité de l’actif et du passif d’une personne, est la projection de la personne dans le domaine des biens : réduisant le débiteur à son seul patrimoine. L’auteur achève sa démonstration par cette interrogation mystérieuse :

« Il est encore difficile de dire si la transposition d’une science dans l’autre s’est faite consciemment et par qui elle a été faite ».

Les lecteurs sensibles à certaines antiennes pourront même glaner dans cet excellent ouvrage de Me Viguier la trace – volontaire ? –, en tout cas quasi indélébile, de la piste qui permet de saisir la paternité ethnique de cette vision exclusivement patrimoniale de l’homme, indifférente à sa capacité à honorer sa parole. Dans toutes les master 2, on connaît les illustres promoteurs de la propriété des créances : les professeurs Samuel Ginossar (et depuis son décès), Frédéric Zénati et Rémi Libchaber. Les lecteurs assidus de l’Ancien Testament ou du Talmud viennent sans doute de tiquer en lisant ces noms, dont la racine hébraïque (Shemu Ginossar), séfarade (Zénatti) ou ashkénaze (Lieb Chaber), transparaît assez nettement derrière leur orthographe francisée. Mais ce n’est pas tout. Un juriste bien informé sait que les professeurs Aubry et Rau ont emprunté leur théorie du patrimoine au professeur allemand Zachariae, ce dont ils ne taisent pas au reste leur inspiration dans l’intitulé de la première édition de leurs Cours de droit civil. Il a sans doute échappé, y compris à Me Viguier lui-même, que le Professeur Zachariae s’appelle en réalité Karl Salomo Zakariä et que la version hébraïque du prénom Salomon (Schlomo) se traduit en allemand par Solomon et non Salomo. On ne sait s’il s’agit d’une simple coïncidence, mais force est de constater que les indices ethniques de cette théorie, pour reprendre un vocabulaire juridique éprouvé, sont « sérieux, précis et concordants » !

 

À revoir : Alain Soral présente La Réification de la parole et autres fictions

 

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29 Commentaires

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  • Article interressant mais la théorie juridique Française du patrimoine n’est pas responsable de la crise de 2008, loin s’en faut :
    La crise ( comprendre l’arnaque ) est d’abord américaine et a deux causes principales :
    1- Les banques US ont accordés des prêts immobiliers à des particuliers en sachant qu’ils iraient au défaut de paiement et donc à la saisie immobiliere.
    2 - Les banques US ont titrisés et vendus les créances de ces prêts hypothécaires en Europe, aux particuliers et aux fonds de pensions, qui s’y sont donc ruiné.

     

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  • Je ne crois pas que la crise de 2008 résulte de la pratique de cessions de créances, qui est très ancienne, qui se pratiquait déjà au 19 ème siècle sous un régime d’étalon or mais plutôt de l’entrée en crise du système de l’argent dette. Ce système requiert d’une part la fixation du taux d’intérêt par un mécanisme de marché, ce n’a pas toujours été le cas, les banques centrales choisissant souvent une politique de taux trop bas, pour prétendument soutenir le croissance et surtout, une croissance supérieure à celle du stock de dettes, cette dernière condition n’étant plus remplie, pour des raisons de vieillissement de la population, dans les pays occidentaux. La crise de ce système a d’ailleurs commencé dès les années 90 au Japon.

     

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  • #2392402

    Comme le disait un commentateur précédent, le parallèle avec les travaux de Mme. Valérie BUGAULT est édifiant.

    Du droit civil au droit commercial.

    Du droit commun au droit privé.

    Monsieur VIGUIER, je vous dis ici toute mon admiration encore une fois.

    J’ai écouté toutes vos interventions audios et audiovisuelles, et lu toutes vos interventions écrites. Je n’y ai jamais décelé que de l’intégrité, de la cohérence et une saine intuition.
    Je possède vos ouvrages, et m’attellerai à leur compréhension suite à la lecture de "Demain dès l’aube" par Mme. Valérie BUGAULT.

    Courage à vous E&R en ces temps difficiles.

    Puissiez-vous faire les bons choix.

    Cordialement,

    Félix GARCIA

     

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  • Soral et Viguier êtes des monstres.
    Vous donnez de la nourriture cérébrale.
    Dieu vous préserve et vous bénisse

     

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  • Cela me fait comprendre...

    Les valeurs humaines sont devenus des choses. L’honneur devient un objet, que l’on peut vendre en partie ou en totalité par exemple. Un objet neutre de valeure pécuniaire comme une baguette de pain... je comprends attali lorsqu’il disait que tout ne sera que commerce :/ terrible vision... cela a l’extrême fait entrevoir un monde sans amour ni amitié ni valeurs ni morale, je comprend pourquoi.

    Mais quelle erreure, font ceux qui pensent ainsi... ceux qui se sont le plus enfoncé dans cette erreure sont ceux qui ont accumulé le plus et qui dirigent le monde... qui le dirigent vers cette erreur contre nature.

    Le troupeau que nous sommes fera-t-il aussi cette erreur ?

     

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  • #2392490

    Marx en a déjà donné la raison. La valeur d’échange en mouvement crée le capital, l’aliénation et la reification... Donc la loi suit l’évolution des rapports de production puisque c’est l’infrastructure économique qui est determinante.
    D’où à bas l’argent, à bas l’état, à bas le travail...

     

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  • #2392717
    Le 20 février 2020 à 13:25 par alderic-dit-le-microbe
    Quand on découvre qu’une théorie juridique est à la source de la crise (...)

    " cette classification rigoureuse puise son origine dans une vision éminemment réaliste, conservatrice et non idéalisée du monde et de l’homme "

    C’est tout le contraire. Cette classification matérialiste puise son origine dans une vision éminemment inique, conservatrice et complètement idéalisée du monde et de l’homme.

    Ce sont les fondements du capitalisme, les bases de la putréfaction. Tout comme le mariage pour tous est le préalable à la PMA et la GPA, ces lois sont les préalables, et ce sont les causes des conséquences dont l’auteur se plaint. Sans elles, point d’abstraction du droit de créance.

    Le droit romain est fondé pour légitimer les pillages, les vols et autres crimes et délits commis par les fondés de pouvoir, autrement dit, par la mafia légale tels les publicains qui recevaient l’autorisation de racketter sur un territoire donné, pour le compte des oligarchies mafieuses qui avait pour parrain un taré renommé "César" pour l’occasion.

    Si dès le début, ça part en vrille en racontant n’importe quoi, à quoi bon lire le reste ?

    Le droit se prend par la force, puis se capitalise dans l’écrit. Le but du jeu est de rester plus fort que tous pour imposer son droit. Il n’y a pas de bien ou de mal en dehors du projet.

    Vous avez planté l’arbre pour vous faire pendre, et vous refusez d’assumer vos fautes. C’est puéril.

    Tout le droit écrit qui découle des écritures malsaines ( Deutéronome, etc ...) et du droit romain, ne vise qu’à une seule chose : dominer et piller. C’est l’iniquité déguisée en bienfaiteur de l’humanité.

    Assumez . . .

     

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  • #2392723

    Entre la valeur d’usage, la valeur de rendement, la valeur nette comptable ( prix d’achat moins amortissements ) et la valeur de marché...Sans compter les provisions pour risques et dépréciation de l’immobilier...Sans oublier enfin la grosse envie de banquier de s’en mettre plein les poches et de vendre sa daube au max en transférant les risques au plus vite...
    Si quelqu’un a l’équation parfaite, je prends !!

     

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  • #2393072

    Quel article sublime !!! comme je le dis souvent dans mes com indépendamment du fond le niveau de neurones affichés ici ne laisse a l’ennemi que la calomnie et la bassesse pour répondre bref :
    je me permettrai juste de répondre a plusieurs commentaires sur les subprimes :

    - les problème n’est pas de faire des crédits a des pauvres et même si au final ils ne peuvent pas honorer ces crédits les banques savent gérer : je suis dans un pays ou le SMIC est de 100 Euros et nos banques affichent des taux de rentabilité a 2 chiffres.
    90% des crédits (en nombre pas en montant)dans le monde sont émis aux pauvres puisque 90 % de la population mondiale est hors des pays développés

    - la titrisation même si elle est abjecte n’est qu’un vecteur un packaging

    L’unique pb dans les subprime et (c’est la qu’est la véritable escroquerie) dans les CDS : crédit default swap : soit une pseudo assurance portée par le produit titrisé.
    Des entreprises "triées sur le volet" et qui ne sont pas des banques et qui ne portant aucune garantie proposent d’assurer ces produits titrisés (personnes ne vérifie si vous êtes comme pour une assurance normale capable de couvrir le risque) . En achetant un produit financier sensé être assuré vous n’avez plus a vous soucier de provisionner le risque. on a donc une pyramide de délégation de risque qui abouti a des comptes de résultats faux n’incluant pas la réalité des engagements portés (dans ou hors bilan)
    La crise de 2008 vient du fait que personne n’a pu honorer le paiement des assurances CDS vendu pour courir ces crédits titrisés ou pas en cas de défaut

    Les CDS ont été inventé par Blythe masters de JP Morgan après une validation et l’émission d’une autorisation signé par Georges Bush !!!

    je vous laisse regarder sur le web de quel club il faut être issu pour être autorisé a vendre des CDS. Si vous ou moi on se présente pour récupérer 2% pour assurer des crédits sans le moindre centimes en poche nous n’aurions aucune chance mais certains si !!!!
    Le Carthaginois

     

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  • La théorie vient en dernier. On échange des reconnaissances de dettes depuis l’apparition des billets de banque.

     

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