Dommage que Frédéric Lordon n’ait pas été là pour participer à la discussion et la rapporter dans son style si fleuri (son dernier papier est un excellent cru). En discutant avec un ami de la crise financière, j’ai été interpellé par un banquier qui était à côté et nous avons entamé une conversation très éclairante.
« Une banque ne peut pas faire faillite »
Alors que nous parlions de la crise de 1929 et des similitudes avec celle de 2008 en évoquant la faillite des banques, notre banquier de voisin nous a alors poliment interrompu en nous disant qu’une « banque ne peut pas faire faillite ». J’avoue avoir mis quelques instants avant de pouvoir rentrer dans le débat tant cette affirmation me semblait incongrue. Il nous a alors soutenu que toutes les activités bancaires étaient par définition profitables et que les banques pouvaient s’assurer. Il nous a alors rappelé qu’en France, l’État avait prêté 10 milliards, plus pour la forme que pour le fond.
Je lui rétorquais alors avec le cas d’AIG mais il répliqua alors qu’AIG pouvait se réassurer, que l’État avait finalement fait un profit et que la crise de liquidités de l’assureur n’avait duré que 5 mois. Ce à quoi je répondis en lui rappelant qu’in fine, même avec une cascade d’assurance, il y avait bien quelqu’un qui devait assumer le risque, en critiquant justement la titrisation, où, à force de transférer le risque, il est à la fois nulle part et partout, et démultiplié. Je lui rappelai qu’il avait fallu 180 milliards de dollars d’aide publique pour sauver AIG, près de deux fois son chiffre d’affaires annuel.
Enfin, je croyais asséner un coup définitif en évoquant Lehman, en soulignant que sans l’intervention de l’État au sens large, tout le système bancaire se serait effondré fin 2008 et qu’il n’était pas très sain que la BCE se trouve contrainte de refinancer les banques à hauteur de 1000 milliards. Il me répliqua que 1000 milliards d’euros, ce n’était pas tant que cela à l’échelle de la zone euro (10 % tout de même) et que Lehman n’avait pas fait faillite puisque d’autres banques avaient repris ses activités, vendues à la découpe lors de la liquidation de la banque, la poubelle de la finance internationale.
Certains banquiers se croient immortels
Je dois préciser que mon banquier de voisin a alors souligné que les banques devaient aujourd’hui faire des efforts pour se plier aux nouvelles règles prudentielles, que cela impliquait notamment des plans sociaux et des réductions de nombre de postes. Je lui répliquais que les normes prudentielles étaient sous influence en lui parlant des derniers ajustements techniques aux normes Bâle 3, qui réduisent sensiblement les contraintes imposées aux banques en matière de liquidités.
Mais cela ne l’a pas fait dévier du discours politiquement correcte en cours dans ces cénacles, dérivant sur la nécessaire fédéralisation de l’Europe pour sortir de la crise (et la mise en place d’euro-obligations), ce à quoi je lui répliquais que jamais les Allemands n’en voudraient, à juste titre et que, de toutes les façons, cela ne résoudrait rien. Il faut être clair, le banquier avec qui j’ai discuté était sans aucun doute parfaitement honnête dans son discours. Il pensait tout ce qu’il disait.
Et d’une certaine mesure, c’est presque pire car cela montre des choses très graves. Il n’y a pas à chercher plus loin pour comprendre pourquoi il y a des crises financières. Il est évident que le sentiment d’immortalité qui semble exister chez certains banquiers n’est guère propice à la prudence et la mesure. Le déni à l’égard de la gravité de la crise de 2008 explique bien pourquoi le système n’est pas vraiment réformé aujourd’hui. Et cela montre que les élites ne font pas leur travail.
Bien sûr, il ne s’agit que d’une anecdote. Néanmoins, je crois qu’elle est extrêmement révélatrice de l’état d’esprit du monde financier, qui est reparti à ses petites affaires comme si de rien n’était, gagné par un sentiment d’immortalité qui ne présage rien de bon pour l’avenir.