Sœur atterrée du pamphlétaire d’extrême droite, cette actrice féministe et écolo ausculte leur fraternité jalouse et abîmée.
Il y a Agnès et il y a Alain. L’une est une actrice qui a acquis une célébrité précoce au cinéma dans Tchao pantin et qui poursuit sa carrière de pièces de théâtre en téléfilms. L’autre est un polémiste qui fricote avec Dieudonné et l’extrême droite, manie la provocation antisémite et cède souvent au complotisme. Ils sont frère et sœur. Ils partagent le même nom, Soral, qui est en fait un pseudo popularisé par Agnès. Ils ont grandi ensemble, et ne se parlent plus depuis dix ans. La rupture s’est enkystée quand elle lui a lancé :
« Je serais juive, je te péterais la gueule. »
C’est vrai qu’on n’aimerait pas être à la place d’Agnès Soral. Il n’est pas simple de porter le même patronyme qu’un type qui se met en scène à Berlin, faisant une quenelle au cœur du Mémorial de la Shoah. C’est encore moins simple quand vous êtes écolo et féministe. C’est d’autant plus compliqué quand votre frère vous insupporte et vous émeut à la fois car vous savez d’où il vient et par où il est passé. Ce qui ne veut pas dire que vous excusez ses dérives. C’est sans doute pourquoi Agnès vient d’écrire sur Alain, un livre intitulé Frangin. Afin qu’on ne la confonde plus avec « Agnès Hitler ».
On la retrouve dans un bel appartement en fond de cour. Ses deux filles sont adultes, elle vit solo avec ses deux chats. Elle est en plein déménagement pour un dernier étage avec terrasse, toujours dans un quartier populo-bobo de Paris. Les perceuses ronflent, l’eau est coupée et le café a du mal à passer. Elle dit :
« Est-ce que je me suis débrouillée pour faire mes cartons, au moment de la sortie du livre ? C’est possible. Mon inconscient travaille énormément. »
L’approche est très psy. Avec cette difficulté que la version est unique. Et on se dit vaguement qu’on n’aimerait pas être Alain Soral, à devoir supporter la vision des choses de quelqu’un qui vous connaît trop bien pour ne pas vous mettre à nu et vous écorcher vif. En exergue, elle prévient :
« Je sais que la mémoire est fluctuante et sélective, mais c’est comme ça que je l’ai vécu et ressenti. »
Agnès Soral est un gibier de divan assez insistant. Elle a commencé par une « narco-analyse ». Elle s’est fait injecter un sérum de vérité, pratique tout à fait déconseillée sauf en salle de tortures. Elle est passée par Lacan, Jung, l’école de Palo Alto, sans oublier l’hypnose. Elle a tenté aussi le « rebirth », réinvention des traumatismes en couche-culotte. Ils sont trois enfants. Alain est le second. Agnès est la dernière. Ils ont deux ans de différence. Il est rétif, elle est charmeuse. Comme bien des détrônés familiaux, il aurait voulu l’étouffer, la noyer, la sadiser et autres enfantillages des premiers âges. Elle l’appelle « Râlain ». Il ouvre parfois les tiroirs de sa « boîte à rancune » pour lui faire payer ses manquements. Déjà, les déménagements sont fréquents, ce qui fait perdre à Alain la protection de sa nounou préférée, qui répond au doux nom de madame… Dieudonné.
Conseiller juridique, le père va d’investissements risqués en déboires professionnels. À l’extérieur, il porte beau. Au foyer, il se comporte en tyran domestique, rabaisseur d’épouse rétractée et frappeur d’enfants. Les punitions corporelles cessent le jour où Alain prend la défense de sa sœur. À moins que ce ne soit la fois où Agnès tord les couilles génitrices…
D’Agnès, on dit aujourd’hui qu’elle est « lunatique » et qu’elle peut passer de l’humour vibrionnant à la lenteur lourde et rigide. D’Alain, on parle comme d’un cas « relevant de la psychiatrie ». Elle détaille les choses ainsi :
« Le passé n’excuse pas tout. Il y a ceux qui pardonnent aux autres. Et il y a ceux qui retournent la maltraitance subie contre leur entourage et contre eux-mêmes. »
Elle précise :
« Je suis dans l’affect. Lui s’évite le sentiment. Il a toujours l’air détaché, cynique. Il crée une distance qui le remet dans le rôle du bourreau. Il est devenu ce père que nous avons subi. »
Et elle continue :
« L’intelligence n’empêche pas la névrose. Il peut être charmant, drôle, touchant. Mais, il s’est perdu. Il est ce gladiateur qui cherche la mort, qui attend la sentence. »
Et encore :
« Il a raté le coche souvent. Il n’est pas devenu l’artiste qu’il aurait pu être. Mais, il préfère être le premier chez lui que le second ailleurs. »
Un peu comme ce père qui se recréait à domicile un monde miniature sous contrôle, de circuits automobiles et de trains électriques.
Le duo a la nostalgie d’un paradis perdu. Le père a acheté des arpents à Milly-la-Forêt (Essonne). En sous-bois, la liberté attend les sauvageons enfin laissés tranquilles par la tutelle. Ils grimpent les rochers, se poissent les doigts de résine, mangent des champignons et des châtaignes. Et ne doivent de retrouver leur chemin qu’au sens de l’orientation d’Alain. Lequel propose désormais des stages de survie à de futurs maquisards. Milly est aussi l’apprentissage de l’arbitraire. L’armée veut expulser les Robinsons. Le père finira par perdre contre l’administration. Agnès lutte désormais contre la déforestation et soutient les Indiens d’Amazonie. À l’adolescence, le duo fait les quatre cents coups. Ils prennent le fusil paternel, tirent depuis le balcon sur la vaisselle de vendeurs ambulants ou jouent à la roulette russe. Il peut leur arriver de fuguer ensemble pendant dix jours et de revenir comme si de rien n’était.
À Paris, Agnès fait ouvreuse en festivités. Remarquée dans ses premiers rôles, elle tient table ouverte ou fracasse avec facilité les portes closes les plus huppées. Ils s’amusent comme des fous. Un jour, ils s’introduisent dans une secte. Affamés, ils boulottent le riz complet et détaillent les stratégies du maître des lieux qui échange beaux discours contre faveurs sexuelles. Elle imagine que son frère s’est inspiré de cet épisode pour ancrer son influence sur ses fidèles d’Égalité et Réconciliation, son mouvement qui est aussi un petit commerce (site, livres, stages, vin, resto). Au FN, qu’il a vite quitté, on le décrit en « gourou mégalo ne comprenant pas que Marine Le Pen n’adhère pas immédiatement à ses raisonnements ». Croyant au déterminisme plus qu’au libre-arbitre, Agnès, « humaniste » autoproclamée, questionne leur filiation politique. Elle n’y discerne ni racisme caché ni antisémitisme larvé. Le père avait beau être violent, il votait droite libérale, lisait L’Express et L’Obs.
Le diagnostic final tourne autour de la jalousie. Pour Agnès S., Alain S. envierait le succès précoce de sa sœur comme il a détesté la voir lui succéder dans l’ordre des naissances. L’essayiste en voudrait au coauteur juif d’un premier livre qui s’arrogea les faveurs des médias. Le dragueur compulsif se braquerait contre les hommes que lui préfèrent les filles qui ne cèdent pas à son charme bavard. Le ressentiment aurait grandi jusqu’à l’isolement agressif. Lequel n’aurait pas existé si la télévision lui avait donné la reconnaissance qu’il espérait. En défense d’une stricte liberté d’expression, elle dit :
« Si on ne les avait pas interdits de télé, lui comme Dieudonné seraient déjà passés à autre chose. »
En 6 dates
8 juin 1960 : Naissance à Aix-les-Bains.
1977 : Un moment d’égarement (Claude Berri).
1983 : Deux nominations aux césars pour Tchao pantin (Claude Berri).
2007 : Agnès Soral aimerait bien vous y voir… (one-woman-show).
2014 : Salaud, on t’aime (Claude Lelouch).
26 mars 2015 : Frangin (Michel Lafon).