Pour ce quatrième article de ma chronique Philosophie & Blockchain, une série dont l’objectif est d’analyser la blockchain à travers le prisme des classiques de la philosophie, je vais m’attarder sur Proudhon. Souvent considéré comme le père de l’anarchisme (voir Bitcoin, l’anarchisme et le crypto-anarchisme), Proudhon joue en réalité un rôle encore plus important dans l’apparition des monnaies numériques. J’ose la comparaison : Satoshi Nakamoto est véritablement son alter ego.
Investisseurs institutionnels, bourse, trading de crypto-monnaies, bulles, crises, opportunités… Pour beaucoup, la multiplication des cryptomonnaies ainsi que l’explosion de leurs valorisations ont fait perdre de vue le fond révolutionnaire de Bitcoin (BTC), comme si nous nous étions peu à peu éloignés d’un état de nature de la cryptomonnaie. Pour en savoir plus, plongeons dans la vie d’un homme fascinant, père non seulement de la mouvance qui verra naître Bitcoin, mais également le premier qui cherche à concurrencer l’autorité de l’État dans l’émission de monnaie.
Proudhon est le dissident monétaire originel, Satoshi réalisant cette idée plus d’un siècle plus tard. Les similitudes dans le parcours des deux hommes ne s’arrêtent pas là : comme Satoshi, Proudhon comprenait également fort bien les mécanismes économiques, au point qu’il avait prédit en son temps le futur de la monnaie.
« Proudhon le rebelle, sans doute en train de fomenter la fin des capitalistes. Renommé pour son accoutrement, célèbre pour être le plus mal habillé des députés, on dit qu’il y avait la queue pour aller chez lui parce qu’il aidait les hommes dans le besoin. » [1]
Satoshi, fils spirituel de Proudhon
Résumer Proudhon à l’anarchisme semble un brin réducteur. Fils de paysan et ancien ouvrier, Proudhon a été :
« tout à la fois, le père du “socialisme scientifique” [2], de l’économie politique socialiste et de la sociologie moderne, le père de l’anarchisme, du mutualisme, du syndicalisme révolutionnaire, du fédéralisme et de cette forme particulière du collectivisme qu’actualise aujourd’hui l’“autogestion” » [3] [4]. Face à un tel palmarès, Satoshi Nakamoto n’a qu’à bien se tenir !
Comparativement à nos auteurs précédents (Machiavel et Montesquieu), l’œuvre de Proudhon semble moins étudiée aujourd’hui. La postérité ne semble avoir retenu que trois de ses célèbres formules, et ce alors même que Proudhon regrettait déjà de son temps que l’on y réduise sa pensée[3]. Aujourd’hui, on connaît bien sûr, « La propriété, c’est le vol », mais également « L’anarchie, c’est l’ordre » et « Dieu, c’est le mal » [5]. Cette méconnaissance de son œuvre est d’autant plus étonnante que les idées que défend Proudhon sont finalement très contemporaines. Député en 1848, il est néanmoins un fervent détracteur du système représentatif :
« Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle une Assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent » [6].
Considérant le suffrage universel comme « le moyen le plus sûr de faire mentir le peuple », il incite déjà les ouvriers à l’abstention et au vote blanc [7]. Mais en vérité, ce sont surtout les questions économiques qui l’intéressent. Proudhon se considère avant tout comme un économiste (socialiste), et non comme un homme politique. Pour lui, « l’économie prévaut sur le politique » [8], le poussant même jusqu’à dire :
« Le politique aujourd’hui est de l’économie politique […]. La langue économique est le fond de l’intelligence humaine, le point de départ de toute philosophie » [9]. C’est donc de l’économie que viendra la révolution.
En cela, Proudhon et Nakamoto se rejoignent. L’action de Nakamoto démontre son accord sur la primauté de l’économique sur le politique. Le changement vient de Bitcoin (BTC), et non d’idées que Nakamoto rechigne d’ailleurs à partager.