20 septembre 2013, 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris.
9h30 : Il commence à y avoir pas mal de monde devant la 17e chambre, mais les portes ne sont toujours pas ouvertes.
10h00 : On nous annonce la nouvelle qui vient de tomber : l’audience est reportée à 13h30 sans que Zéon et son avocat n’en aient été avertis au préalable, technique bien connue pour décourager le public venu soutenir l’accusé.
13h20 : Les portes de la 17e chambre s’ouvrent enfin. La salle d’audience se remplit rapidement d’une centaine de personnes venues soutenir le dessinateur. Parmi elles, nous reconnaissons les dessinateurs Bluj, Eris, Ramo et Olive, l’imitateur Mister Mayo, le rappeur Kimto Vasquez, l’essayiste Mathias Cardet, ainsi que de nombreux sympathisants et militants de l’association Égalité & Réconciliation.
Dans le camp adverse, le journaliste Frédéric Haziza est l’unique soutien présent.
Ce dernier s’installe le plus naturellement du monde dans le carré presse VIP à côté des avocats des parties civiles. Il sera en revanche refusé aux dessinateurs de s’y assoir pour crayonner le déroulement du procès. Ils resteront donc à distance dans le public.
Après deux heures d’attente, le procès n’est toujours pas commencé et l’auditoire s’impatiente. Sur le banc des accusés, Zéon en profite pour « croquer » un Frédéric Haziza en train de bavasser avec les avocats de l’inquisition. Tout un symbole !
15h40 : Début du procès !
« Prévenu : Zéon ! Victime : la LICRA... » : le décor est planté...
Commence alors une lutte qui durera près de deux heures.
Argumentaire de la défense :
Le signalement de la LICRA date de 2011, le dessin incriminé a été posté sur le blog de Zéon en janvier 2009 : il y a donc prescription (au-delà d’un an).
Zéon : « On privilégie une souffrance, celle qui vaut le plus. C’est un dessin qui dénonce le deux poids, deux mesures. »
Réponse du juge (très insistant), répétant sans relâche : « C’est très vague ! Ça veut dire tout et n’importe quoi ! Je ne comprends toujours pas le sens de ce dessin. »
Zéon : « Ça fait sept fois que je vous le répète. Je dénonce, par ce dessin, la supercherie du sionisme qui entretient l’amalgame entre juif et sioniste afin de justifier ses crimes sous couvert de l’holocauste. »
Le juge fait mine de ne toujours pas comprendre et s’acharne sur les détails au détriment du fond.
Il s’agit simplement d’un dessin qui dénonce les idéologies suprémacistes et racialistes au niveau global et en l’occurrence ici : le sionisme.
Nous avons d’un côté :
1) Les caricatures antireligieuses redondantes de Charlie Hebdo :
2) Les caricatures clairement anti-arabes et anti-islam publiées sur le site Internet de la LDJ (Ligue de défense juive), une milice qui appelle au lynchage en public.
Sans compter les menaces de mort, les tentatives de guet-apens répétées... Sans parler des nombreux passages à l’acte, violences, agressions et crimes commis par ce groupuscule reconnu comme terroriste aux États-Unis et en Israël.
Zéon : « Mon dessin s’inscrit dans la tradition française de l’insoumission et du combat pour la liberté d’expression, comme le furent à leur époque les caricaturistes comme Honoré Daumier ou Charles Philipon... Plus récemment, les publications des journaux comme Hara-Kiri et Charlie Hebdo de la 1ère époque... Ou encore les bandes dessinées de Vuillemin comme Hitler = SS et Raoul Teigneux contre les druzes. »
Le juge : « Est-ce un dessin d’humour ? »
Zéon : « Oui. C’est un dessin d’humour trash. Et j’espère que ce procès ne tournera pas au délit d’opinion... »
Les avocats de la LICRA et du BNVCA picorent et repartent de plus belle :
« Dans les propos de Zéon, il y a de la haine et du mépris en permanence ! »
(Fou rire dans la salle et rappel à l’ordre de la part des juges)
Ils continuent dans leur petitesse :
« Les esprits faibles sont manipulés et manipulables » ;
« Les agressions sur les juifs sont en constante augmentation » ;
« Les juifs, c’est pratiquement tout le monde » (collector !) ;
« Le but de ce dessin est de provoquer les juifs ! » ;
« Ce n’est pas avec ce dessin qu’il y aura la paix en Israël et en France » ;
« Colonialisme en Israël, il n’y a pas » (sic) ;
« Il y a provocation à la haine, il y a du sang sur l’uniforme ! » ;
« Tout dans ce dessin est pointu : les oreilles sont pointues, les dents sont pointues, les yeux sont pointus ! »
À ce moment précis, Frédéric Haziza chuchote quelques mots aux avocats de la LICRA... Et la neutralité journalistique dans tout ça ?
L’avocate de la LICRA, rivalisant de médiocrité, s’y met aussi : « D’abord, l’antisémitisme, ce n’est pas que les juifs : c’est aussi les arabes ! »
Réponse de Zéon : « Ce n’est pas la définition contemporaine du dictionnaire. Cela ne concerne désormais que la communauté juive. »
L’avocat de la défense, charismatique, assène le coup de grâce :
« Zéon est un dessinateur qui s’inscrit dans la tradition française et le voilà aujourd’hui envoyé dans un tribunal pour un dessin ! Mais si on regarde ce dernier avec un œil objectif, il ne pose aucun problème car il ne stigmatise pas les juifs. C’est un dessin de critique politique absolument fascinant, très complexe, qui choque et fait réfléchir ! Il dénonce le raisonnement suivant : “Si vous critiquez ce soldat, vous êtes antisémite !” Alors maintenant, Israël est-elle une démocratie ? Force est de constater que les arabes israéliens, les israéliens non juifs et les noirs juifs n’ont pas les mêmes droits que les autres citoyens de ce pays. Je tiens également à rappeler que 34 résolutions de l’ONU ne sont actuellement pas respectées par Israël. »
Il citera ensuite divers auteurs antisionistes comme Shlomo Sand ou Norman Finkelstein (qui a expliqué que l’holocauste était exploité à des fins politiques). Il parle aussi du documentaire Defamation de Yoav Shamir, qui dénonce les mystifications et les arnaques autour du combat contre l’antisémitisme.
« Zéon n’est pas responsable de la réaction des gens. Le dessin incriminé est avant tout une œuvre d’art ! Pour toutes ces raisons, je vous demande de relaxer mon client. »
Zéon s’adresse alors directement à l’avocat du BNVCA :
« Pouvez-vous me répéter que je suis raciste ? »
L’avocat se terre dans le silence, alors qu’il avait, lors de sa plaidoirie, traité ouvertement Zéon de raciste haineux et méprisant.
Le dessinateur reprend et conclut :
« Nous avons assisté à un festival de casuistique dialectique. Si vous ne comprenez pas ce que j’entends par là, je vous recommande de lire L’art d’avoir toujours raison de Schopenhauer. »
« Je suis métis, fils de réfugié politique chilien qui fut enfermé dans les camps après le coup d’état de Pinochet. Je ne pense pas avoir le profil idéal pour incarner le racisme. »
« La LICRA se revendique antiraciste, pour eux, le “R” de racisme est un “r” minuscule. Il a d’ailleurs été ajouté en 1979. Quand on examine la composition du bureau exécutif, on n’y retrouve pas le visage de la diversité. »
« Le général Moshe Dayan (ministre israélien, décédé d’un cancer du côlon) reconnait lui-même le vol d’une terre et la destruction de tous les villages arabes. »
« Je vous rappelle également les massacres de femmes et d’enfants palestiniens, comme à Deir Yassin, ou plus récemment les massacres à l’arme chimique dans la bande de Gaza. »
« Ceux qui n’aiment pas mes dessins me menacent de mort ou m’insultent. Et ça, ce n’est pas normal ! »
« Le sionisme ne se cantonne pas seulement à la Palestine ou au Moyen-Orient. Il est répandu d’une manière globale, notamment aux États-Unis avec l’AIPAC et en France avec le CRIF... »
17h30 : Sortie du dessinateur sous les applaudissements de la foule, tandis que les avocats des parties adverses se frayent un chemin sans que personne ne prête attention à leur trivialité.
Délibéré le 25 octobre 2013. Affaire à suivre…
*Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme
**Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme