Il ne sera pas question ici d’analyser de façon exhaustive toutes les dispositions des actuels projets de réforme du Code civil ; néanmoins, le sujet étant tellement grave, il nous a semblé indispensable de mettre en perspective historique sociologique et politique certains aspects essentiels de ces réformes.
Lorsque les rédacteurs du Code civil de 1804 distinguaient les biens des obligations, ils analysaient une situation et agissaient dans le sens de la taxinomie, conformément à la méthodologie répandue au XVIIIe siècle. La logique suivie est claire et le résultat compréhensible c’est-à-dire que la raison logique de chacun est capable de l’appréhender sans recours à aucun artifice.
Ainsi, l’actuel article 516, dont la rédaction est celle de 1804, indique-t-il que « tous les biens sont meubles ou immeubles ».
Dans le même ordre d’idée, le Code de 1804 distingue entre les biens et les obligations, cette dernière catégorie se justifie en ce qu’elle permet d’acquérir la propriété de biens. Ainsi, les obligations sont localisées dans le livre III du Code civil intitulé Des différentes manières dont on acquiert la propriété, dont un titre III est intitulé Des contrats ou des obligations conventionnelles en général.
Ainsi, dans ce projet présenté, comme il est devenu habituel, comme une nécessaire modernisation du droit français ; laquelle modernisation doit être rapidement mise en œuvre en catimini par le gouvernement par voie d’ordonnance, afin de ne pas risquer d’éventuels − bien que peu probables − houleux débats parlementaires.
À ce stade de l’analyse et une fois pour toutes, il importe d’aborder là une question méthodologique essentielle. Tous les textes dits de modernisation du droit français sont issus d’une idéologie anglo-saxonne et sont tournés vers la prédation économique du grand capital. Ces textes étaient, en France, habituellement imposés par le bien commode droit européen, c’est-à-dire par les services de la Commission européenne. Or, nous avons déjà expliqué que les institutions européennes sont un relais des intérêts du grand capital qui a, depuis la Révolution française, pris en interne le contrôle des rênes du pouvoir ; aussi la Commission européenne est-elle bien souvent utilisée par les partisans internes de la Réforme (c’est-à-dire les hommes politiques et ceux qui détiennent le pouvoir institutionnel) − qui est en réalité une Révolution − pour se dispenser d’avoir à présenter eux-mêmes des explications et des justifications aux citoyens et contribuables français qui les élisent, leur accordant par là leur confiance dans le même temps qu’ils leur ouvrent leurs portes-monnaie.
Cet aparté établi, revenons au projet de réforme du Code civil, présenté comme une nécessaire modernisation du droit français.
Ainsi, il se trouve que le droit des biens et celui des obligations se verraient, l’air de rien, très profondément modifiés à la fois d’un point de vue méthodologique et d’un point de vue symbolique.
Ainsi, le nouvel article 520 du Code disposerait que « sont des biens, au sens de l’article précédent, les choses corporelles ou incorporelles faisant l’objet d’une appropriation, AINSI que les droits réels ou personnels tels que définis aux articles 522 et 523 ».
D’un point de vue formel, plusieurs remarques s’imposent. Cet article ne se suffit pas à lui-même, il n’est pas compréhensible à sa seule lecture. En effet, pour comprendre le nouvel article 520, pas moins de trois renvois à d’autres articles sont indispensables. À elle seule, cette remarque permet de comprendre que les choses énoncées ne sont pas si claires et qu’elles se cachent derrière une complexité qui n’augure rien de bon. La complexité est la mère du complot en ce qu’elle permet d’agir discrètement mais ouvertement, mettant en œuvre de manière éclatante le premier des stratagèmes chinois de l’art de la guerre : « le grand jour est une cachette plus sûre que la pénombre ». Cette méthode du renvoi systématique à d’autres textes est devenue un leitmotiv de toutes les réformes législatives actuelles.
Par ailleurs, cet article laisse penser, par son « ainsi que » qu’il existe des biens qui ne sont ni des biens corporels ni des biens incorporels faisant l’objet d’une appropriation. À côté des classiques biens corporels et incorporels, susceptibles d’appropriation, il existerait donc une catégorie nouvelle de choses susceptibles d’être appropriées… Cette catégorie nouvelle est en réalité la catégorie ancienne, c’est-à-dire connue des rédacteurs de 1804 comme étant celle des obligations. Ainsi, les obligations deviennent, avec ce projet de réforme, susceptibles d’appropriation.
Nous y voilà : l’actuel projet de réforme du Code civil aurait précisément pour raison d’être de rendre juridiquement possible le bail-in bancaire autant que de préparer l’avènement du projet scélérat de propriété économique, qui scellera la fin du concept de propriété privée et l’avènement nouveau de l’accaparement légal.