Des documents versés au dossier d’instruction, que France 3 a pu consulter, montrent que la chancellerie et l’association Anticor se sont concertées face aux accusations de Patrick Buisson. L’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy a porté plainte contre Christiane Taubira pour « prise illégale d’intérêt » en 2013.
C’est un dossier très sensible qui se trouve – depuis près de deux ans – sur le bureau de la juge d’instruction parisienne Sabine Kheris. Si sensible que, depuis que cette juge s’est vu confier cette délicate affaire de « prise illégale d’intérêt », aucun acte d’instruction n’a été accompli. Il faut dire que la plainte vise un membre très en vue du gouvernement : Christiane Taubira, la ministre de la Justice et garde des Sceaux.
A l’origine de l’affaire, la plainte lancée en 2010 par l’association Anticor contre Patrick Buisson, le « Monsieur sondages de l’Élysée » sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012). Anticor, qui traque les malversations des responsables politiques, accuse Patrick Buisson d’avoir réalisé, pour le compte de l’ancien président, pour près de 1,4 million d’euros de sondages d’opinion sans respecter les règles de l’appel d’offres.
Mis en examen dans cette affaire, Patrick Buisson contre-attaque le 11 décembre 2012 en dénonçant la présence de Christiane Taubira dans le comité de parrainage d’Anticor : lui et son avocat, Gilles-William Goldnadel, déposent plainte à leur tour contre Christiane Taubira pour « prise illégale d’intérêt ». Pour Patrick Buisson, la garde des Sceaux, qui est l’autorité hiérarchique du parquet, serait donc à la fois juge et partie. Après une longue bataille de procédure, cette plainte a été validée par la cour d’appel en janvier 2014. Une juge d’instruction a été saisie. Mais, depuis, le dossier est au point mort.
Aujourd’hui, des documents versés au dossier d’instruction, que France 3 a pu consulter, apportent un éclairage sur les relations entre la chancellerie et Anticor. Et ils pourraient étayer les soupçons de « prise illégale d’intérêt ».
Echanges d’e-mails inquiets entre les dirigeants d’Anticor
Des rivalités internes au sein de l’association Anticor ont suscité une brouille entre les militants. Certains d’entre eux ont choisi de partir en claquant la porte, mais pas avec les mains vides. Désir de vengeance ou de transparence ? Ces dissidents ont communiqué à la justice les e-mails internes échangés tout au long de l’affaire par les dirigeants d’Anticor. France 3 a eu accès à l’intégralité de ces courriels.
On peut y lire que la présence de Christiane Taubira au conseil d’administration d’Anticor préoccupe les dirigeants de l’association. La révélation de la présence de la garde des Sceaux au sein du comité de parrainage de l’organisation ne laisse pas ses responsables indifférents.
Ainsi, dans l’après-midi du 13 novembre 2012, quelques heures après les déclarations de Patrick Buisson accusant Christiane Taubira, les dirigeants échangent leurs points de vue dans un e-mail intitulé : « Mises en causes (sic) liens Taubira-Anticor ».
Ainsi, Suzanne Devallet, membre du bureau, écrit : « Au-delà de ’l’affaire Taubira’, je continue de penser que, permettre à des personnalités politiques membres du gouvernement de faire partie de notre comité de parrainage, c’est se tirer inutilement une balle dans le pied. (…) Je suis convaincue qu’il ne faut pas réagir maintenant face à cette question, sous peine de donner l’impression que nos accusateurs fallacieux ont raison, mais je persiste à croire qu’il faudra éclaircir ce point dans le moyen terme. »
Philippe Petit, le trésorier, est du même avis : « Je n’ai rien contre avoir des élus au sein d’Anticor, mais, quand ils rejoignent un gouvernement, leur présence au sein du comité de parrainage devrait être mise automatiquement entre parenthèses. » Avis également partagé par une autre responsable, Gabrielle Audefroy, selon ses courriels.
Dans la soirée de ce 13 novembre 2012, l’ancienne présidente (aujourd’hui décédée) Catherine Le Guernec regrette qu’aucune décision n’ait été prise par le conseil d’administration : « Nous avons eu une discussion à la dernière CA sur le sujet mais quelques réticences ont fait que nous ne sommes pas allés au-delà, ce fut un tort. »
Le 19 décembre 2012, après le dépôt effectif de la plainte de Patrick Buisson, Suzanne Devallet tire à nouveau la sonnette d’alarme : « Il me paraît plus qu’urgent que Taubira sorte du comité de parrainage », insiste-t-elle.