Un coup non. Un coup oui. Et puis peut-être bien… Il est difficile de suivre Paris sur la question de la livraison d’armes aux rebelles syriens, du moins à ceux qui ne sont pas affiliés à des mouvements salafistes ou se réclamant d’al-Qaïda.
En août 2012, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, affirmait qu’il n’était pas question de fournir des armes aux rebelles syriens hostiles au régime de Bachar el-Assad. “On ne peut pas livrer des armes à des personnes dans des conditions qui risqueraient de se retourner ensuite contre nous”, expliquait-il alors. Aussi, l’aide aux insurgés s’était limitée à l’envoi de matériels “non-létaux”, comme le peuvent l’être des équipements de communication ou d’observation.
Puis, en novembre de la même année, après la reconnaissance par la France de la Coalition nationale syrienne (CNS) comme seule représentante du peupe syrien annoncée par le président Hollande, le chef du Quai d’Orsay avait évoqué une éventuelle livraison d’armes “défensives” aux rebelles, afin de leur permettre de tenir les régions qu’ils venaient de “libérer.” “La question de l’armement défensif va être posé”, avait-il affirmé au micro de RTL, sans préciser ce qu’il entendait par “arme défensive.”
Or, l’Union européenne a imposé un embargo sur les armes à destination de la Syrie. Pour pouvoir en livrer aux rebelles, il faudrait qu’il soit levé. Chose que Paris, qui venait de rejoindre Londres sur la nécessité d’armer les insurgés, comptait demander de faire à ses partenaires européens, et cela, le plus rapidement possible.
Car, faisait valoir, le mois dernier, Laurent Fabius, il y avait “urgence” à livrer des armes aux rebelles. Et d’ajouter : “On ne peut pas accepter qu’il y ait ce déséquilibre actuel avec d’un côté l’Iran et la Russie qui livrent des armes à Bachar et de l’autre des résistants qui ne peuvent pas se défendre”. Aussi, avait-il expliqué, le 14 mars, sur France Info, “lever l’embargo, c’est un des seuls moyens qui restent pour faire bouger politiquement la situation.”
En fait, d’après les confidences faites au Nouvel Observateur par une “source fiable au sein de l’appareil d’État français”, il s’agissait surtout de “légaliser une situation de fait” car le président Hollande aurait “décidé mi-décembre de livrer des armes à l’Armée Syrienne Libre à des groupes sélectionnés par les services de renseignement.”
Seulement, lors de son intervention télévisée du 28 mars, le chef de l’État a, du moins en apparence, fait machine arrière, alors qu’il avait affirmé, à peine deux semaines plus tôt, que la France “prendrait ses responsabilités” en cas de “blocage d’un ou de deux pays” pour lever l’embargo européen sur les armes.
“Nous ne le ferons pas tant que nous n’aurons pas la certitude qu’il y a un contrôle total par l’opposition (syrienne, ndlr) de la situation. Pour l’instant, nous ne l’avons pas”, a déclaré François Hollande au sujet des livraisons d’armes. Cela étant, un diplomate français a pourtant confié au quotidien Le Monde que le Quai d’Orsay disposait d’une “bonne cartographie des groupes armés (syriens)”. Et d’insister : “Nous savons qui fait quoi et où.” Comment ? On l’ignore étant donné que les services diplomatiques français ont fermé leur porte à Damas…
Seulement, les services de renseignement français semblent avoir une appréciation différente de la situation. Car le risque est de voir des armes fournies par la France se retrouver aux mains des jihadistes. Or, il existerait bel et bien des passerelles entre les différents groupes armés syriens. Conclusion : le risque est trop grand, d’où la prudence affichée par le président de la République.
À l’antenne de BFM TV, le 3 avril, Laurent Fabius a quant à lui affirmé que la France n’a pas encore arrêté sa position sur la levée de l’embargo sur les armes à destination de la Syrie. Il faut d’abord savoir “si on peut avoir confiance” dans l’opposition syrienne, a-t-il estimé. “Nous devons donner une réponse fin mai. D’ici là, je ne peux pas vous dire aujourd’hui oui ou non”, a déclaré le chef de la diplomatie française.
“Nous n’allons pas livrer des armes si les armes doivent aller aux extrémistes de l’opposition”, a-t-il poursuivi. “Il faut faire un travail très précis pour voir qui nous avons en face de nous”, a ajouté le ministre. “Nous avons la semaine prochaine à Londres une réunion et nous avons demandé que soient présents Moaz al-Khatib (chef – démissionnaire – de l’opposition syrienne), Ghassan Hitto (Premier ministre par intérim élu par la CNS) et Selim Idriss (chef d’état-major de l’Armée syrienne libre)”, a-t-il précisé.
“Si les choses continuent comme aujourd’hui, la Syrie va exploser, avec d’un côté un arc irano-syrien et de l’autre les extrémistes sunnites, al-Qaïda. Si on veut éviter cela, il faut une solution de transition politique entre les gens raisonnables de l’opposition et certains éléments du régime, mais pas Bachar” el-Assad, a encore estimé Laurent Fabius.
En attendant, la Ligue arabe, qui a octroyé le siège de la Syrie à la CNS, n’a pas ce genre de doutes. Le 26 mars dernier, elle a affirmé, dans une résolution, que “chaque État membre a le droit d’apporter tous les moyens d’autodéfense, y compris militaires, pour soutenir la résistance du peuple syrien”, tout en affirmant que la recheche d’un règlement politique constitue une “priorité.”
Et certains pays n’ont pas attendu, comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, pour armer les rebelles, quitte à ce que certaines armes se retrouvent entre les mains des jihadistes du Front al-Nosra, comme cela a été le cas de lance-roquettes antichars M79.
D’ailleurs, la Turquie a annoncé, le 29 mars, avoir saisi plusieurs milliers d’armes et de munitions dans un entrepôt situé à la frontière syrienne. Selon l’agence de presse Dona, la valeur de cet arsenal serait estimée à 1,7 million de dollars. Mais il n’est pas question, du moins officiellement, pour les autorités turques de le livrer aux rebelles, qu’elles soutiennent pourtant, de crainte d’être entraînées dans le conflit.