Une question à ceux qui soutiennent ouvertement la « solution à deux États », c’est-à-dire à peu près tout le monde, depuis le secrétaire d’État US John Kerry jusqu’au professeur Shlomo Avineri : vous dites tous que cette solution est en grand danger, peut-être même agonisante. Mais que faudrait-il qu’il advienne pour que vous admettiez qu’elle a rendu son dernier soupir ? Que faut-il de plus pour que vous admettiez qu’elle est morte ? Dix mille colons de plus ? Ou vingt mille ? Cinq ans de plus dans l’impasse ? Quand est-ce que vous allez l’admettre ?
La plupart des gens connaissent la vérité, mais refusent de l’admettre. Ils savent que le nombre des colons a atteint une masse critique. Ils savent qu’aucun parti israélien ne les fera jamais évacuer. Et sans qu’ils soient tous évacués – et cela aussi c’est une chose que chacun sait – il n’y a pas d’État palestinien viable.
Ils savent que le colonisateur israélien n’a jamais eu l’intention de mettre en œuvre la « solution à deux États ». Le fait est que tous les gouvernements israéliens – absolument tous – ont continué l’entreprise de colonisation.
Les supporters des deux États sont préoccupés par la situation, même effrayés. Ils se conduisent comme les proches d’un patient moribond, qui est déjà en état de mort cérébrale, et dont on a besoin de prélever les organes pour les transplanter, mais qui refusent, espérant que d’une manière ou d’une autre un miracle va survenir qui le ramènera à la vie. De Kerry à Avineri, c’est exactement ainsi que se conduisent les partisans des deux États : ils espèrent un miracle et pour cette raison ils s’opposent à des transplantations qui sauveraient des vies.
Il est difficile de tout reprendre à zéro. La « solution à deux États » était idéale [1]. Elle garantissait une relative justice aux deux parties, et un État pour chaque nation. Mais Israël a tout fait pour la détruire, via ses colonies, le seul facteur irréversible dans l’équation de la relation entre Israël et la Palestine.
C’est la raison pour laquelle la colère du monde contre les colonies s’est soudain intensifiée : il sait qu’elles sont irréversibles. Mais pour autant les soutiens des deux États, que ce soit à Jérusalem ou à Washington, n’ont jamais rien entrepris pour y mettre fin quand il était encore temps. La conclusion est inévitable : déclarer la mort de la « solution à deux États ». Mais au lieu de cela, ils continuent à attendre un miracle.
Kerry, Avineri et leurs semblables sont pleins de bonnes intentions. Ils ont raison, d’ailleurs, de dire que c’était la seule solution. Mais en niant qu’elle soit morte, ils ne font rien d’autre que consolider le statu quo, l’occupation, ce qui est le but du gouvernement israélien.
En Europe, aux États-Unis, à l’Autorité palestinienne et en Israël, des gens continuent à psalmodier « deux États », par inertie et par peur des conséquences du changement. Et ce faisant, ils anesthésient et étouffent toute réflexion adaptée à la nouvelle situation.
S’accrochant de toute leur volonté à la solution d’hier, les soutiens de la « solution à deux États » répondent agressivement à quiconque essaie de remettre en question leur foi irrationnelle en un miracle. C’est la manière de faire classique pour les croyance religieuses, quasiment messianiques : malheur à qui essaie de les mettre en doute. Et c’est ainsi qu’ils se conduisent actuellement envers A. B. Yehoshua, qui a proposé une solution typiquement dans le bon vieux style israélien à la situation nouvelle [2].
Yehoshua a proposé d’accorder un statut de résident permanent à des Palestiniens qui vivent dans la « zone C » [de la Cisjordanie occupée], sous contrôle israélien total. C’est trop étriqué, trop nationaliste et trop discriminatoire. Yehoshua croit encore en la supériorité des juifs, dans des accords intérimaires et dans les petits pas au-dessus des abysses. Mais, contrairement aux tenants de la « solution à deux États », au moins a-t-il le courage et l’intégrité de reconnaître la nouvelle réalité et d’essayer d’y offrir des solutions. Et cela seul suffit pour qu’il soit considéré comme un hérétique par ses pairs.
En effet, la solution d’un seul État démocratique est une hérésie au regard de toutes les croyances dans lesquelles nous avons été élevés. Elle nous impose de tout repenser : repenser le sionisme et tous les privilèges qui ne sont accordés qu’à un seul peuple. C’est ici que commence une longue et pénible route. Mais c’est la seule qui nous reste encore ouverte.
Cette route conduit à l’une des deux destinations : un État d’apartheid ou un État démocratique. Il n’y a pas de troisième option. Le discours croissant de l’annexion et les loi anti-démocratiques adoptées à la hâte démontrent qu’Israël est en train de jeter les bases idéologiques et légales pour mettre en œuvre la première option, un État d’apartheid.
Le combat contre cela doit se concentrer sur la seconde option : l’État démocratique. Ceux qui continuent à jacasser à propos des deux États sabotent cet effort.
Un rappel : la « solution à un État » existe depuis déjà longtemps. Au cours de l’année qui commence aujourd’hui, on va célébrer le 50e anniversaire de sa fondation. Le moment est venu de lancer une bataille à propos de la nature de son régime.
Réécouter l’analyse d’Alain Soral sur l’escroquerie de la solution à deux États (interview du 20 juin 2011) :