On se souvient que les grands emportements d’émotion qui avaient étreint tout le « monde libre » après les attentats contre Charlie Hebdo avaient très vite connu des tiédeurs. Dès la sortie du « numéro des survivants » certains médias internationaux avaient fait le choix de ne pas publier la fameuse page de couverture. Depuis, les réticences à être Charlie dans les milieux culturels n’ont cessé de s’élargir et de se durcir.
Le dernier exemple de cette tendance est éloquent : après que l’association littéraire américaine PEN American Center, aux nombreuses activités littéraires ou sociales, a annoncé qu’elle allait décerner un prix pour la liberté d’expression à Charlie Hebdo, six écrivains et journalistes membres du PEN (Peter Carey, Michael Ondaatje, Francine Prose, Teju Cole, Rachel Kushner et Taiye Selasi) ont annoncé qu’ils ne se présenteraient pas au gala de l’association en mai prochain, au cours duquel ledit prix doit être remis. Par la suite, une lettre de protestation contre cet hommage à Charlie Hebdo à été signée par une vingtaine de membres [1].
Les contradicteurs ne se justifient pas en mentionnant l’évidente récupération politique des événements de janvier, qui a très vite été remarquée par tous. Ils n’insistent pas non plus sur une éventuelle règle de neutralité que le PEN American Center aurait enfreinte. Ils précisent bien qu’à leurs yeux, Charlie Hebdo est un journal positionné sur une ligne éditoriale très identifiée, que lui décerner un prix revient à défendre cette ligne, et que celle-ci pose problème.
Ainsi, le mensonge consistant à faire croire que le journal satirique n’est autre qu’un petit feuillet irrévérent et apolitique commence à tomber. Un des écrivains refusant de se rendre au gala parle de « laïcisme forcé » quand d’autres mettent en évidence des attaques délibérées envers une communauté qui est déjà l’objet d’une vindicte médiatique. Effectivement, et c’est bien ce point qui montre toute la contradiction du discours officiel, la communauté musulmane, qui pourtant n’a rien demandé de tel, se voit attaquée et offensée par des dessins réalisés au nom de la « liberté d’expression », soit de la démocratie. On peut rappeler le champ lexical du « combat » utilisé à outrance après le 7 janvier, comme s’il fallait se défendre contre une prétendue attaque en produisant une recrudescence de caricatures blasphématoires [2].
D’ailleurs, l’état d’esprit des pourfendeurs de cette petite révolte d’écrivains en dit long. Salman Rushdie, membre du PEN, a traité ses confrères de pleureuses (« pussies ») et a clairement dit que s’ils n’étaient pas Charlie, cela faisait automatiquement d’eux des « compagnons de route » des terroristes [3].