Je suis tombé par hasard, dans ma bibliothèque municipale, sur un petit livre récent de Michel Onfray, Solstice d’hiver : Alain, les Juifs, Hitler et l’Occupation. Il s’agit d’une préface au Journal inédit du philosophe Alain, publié en 2018.
L’éditeur ayant refusé la préface d’Onfray, celui-ci la publie séparément. Onfray s’y vautre sans complexe dans la dénonciation de l’antisémitisme d’un homme mort depuis plus d’un demi-siècle. Transposez le personnage dans l’immédiat après-guerre, et vous imaginez le zèle avec lequel il eût participé à l’épuration, traquant jusque dans leur journal intime les antisémites cachés.
Voici pour commencer le texte de quatrième de couverture :
« Plus d’un demi-siècle après la mort du philosophe Émile Chartier dit Alain, paraît son Journal inédit. Ce gros volume rédigé entre 1937 et 1950 doit être lu d’un point de vue à la fois philosophique et historique. Jusqu’alors, l’auteur des Propos de politique se présentait comme un radical-socialiste ou comme un penseur de l’antimilitarisme. Régulièrement au programme du bac, professeur au Lycée Henri-IV, il a gagné sa place parmi les plus grands philosophes du siècle dernier. Que contient alors ce journal longtemps caché à la vue du public ? Des propos antisémites et même... des lectures enthousiastes de Mein Kampf et des éloges du Führer ! Il fallait Michel Onfray pour s’aventurer crayon en main dans ce journal qui, si l’on évite tout raccourci ou anachronisme, décrit une époque où la confusion de la guerre et de la politique l’a emporté sur la pensée libre. »
Quel est le propos d’Onfray ? Avertir le lecteur du journal d’Alain (tenu entre 1936 et 1950), que « ce gros volume contient des informations qui vont, me semble-t-il, définitivement ruiner la réputation du philosophe ». « Avec ce Journal, il risque de devenir un pestiféré. »
Comprenons bien qu’en réalité, c’est Onfray lui-même qui vise, par son petit brûlot, à déboulonner Alain, et qui se féliciterait si, grâce à lui, on débaptisait quelques rues et quelques lycées.
Car la moisson réalisée par Onfray des propos antisémites d’Alain est en réalité bien maigre. Les plus intéressants portent sur le jugement favorable que porte Alain sur Hitler et son livre Mon combat : Hitler, écrit Alain, est un « penseur extraordinaire », un « esprit invincible ».
« Tout ce qu’il pense a été essayé par lui avec un sérieux admirable et la conscience d’un homme qui assure chacun de se pas de façon à ne point tomber. »
Alain approuve ce qu’écrit Hitler sur l’importance de l’art oratoire (on dirait aujourd’hui qu’il soutient le « populisme ») :
« Je soutiendrais que les masses ne choisissent pas mal et Hitler m’en serait un exemple. »
« Je conclu provisoirement par ce que dit Hitler ; il faut savoir parler aux masses et les persuader ; c’est là le ressort démocratique. L’orateur est libre de ses développements, de ses sentiments, de ses mouvements et cela même nie le tyran en tout orateur véritable. Soyons donc orateur. »
Alain, il est vrai, est enthousiaste à la lecture de Mein Kampf :
« Aussitôt l’illusion anglaise se dissipait, ainsi que la puissance juive, toutes deux profondément liées par le dessous. Toute l’humanité prenait un autre sens. Je rassemble ces idées avec l’espoir qu’elles referont les nouvelles notions politiques selon lesquelles nous devrons vivre. »
Alain donne raison à Hitler sur « la question juive », qu’il traite « avec une éloquence extraordinaire et une remarquable sincérité », mais il lui reproche de ne pas aller assez loin dans son analyse : « Il remarque, écrit-il que la corruption du capitalisme a pour cause la puissance de quelques Juifs. D’un autre côté, Marx est juif, et c’est par là que le côté ouvrier et corrompu aussi… » Mais « il ne va pas aux causes ».
Alain se montre surtout insatisfait de l’approche trop racialiste d’Hitler et commente à ce sujet :
« On verra peut-être si, les Juifs éliminés de tout pouvoir, les choses vont mieux. Il se peut mais je n’en sais rien. J’ai connu plus d’un homme injuste, vaniteux, cupide et qui n’était pas Juif. »
Alain écrit en juillet 1940 :
« Il est remarquable que la guerre revient à une guerre juive c’est-à-dire à une guerre qui aura des milliards et aussi des Judas Maccabées. »
Onfray reproche à Alain son pacifisme, qui pourtant n’était nullement caché et n’est pas une nouveauté. Le 11 septembre 1938, Alain signait une pétition invitant les gouvernements français et anglais à traiter avec Hitler par la diplomatie plutôt que par la guerre. Giono figurait parmi les signataires. Le 15 septembre, Alain se félicite, dans son journal, de la rencontre entre Chamberlain et Hitler, estimant que l’effet de sa pétition « ne fut pas nul ».
Sur l’occupation allemande, Alain écrit, le 2 août 1940 :
« Je constate un effet de la guerre qu’on ne prévoyait point. C’est que la défaite est supportable aux vaincus. Et pourquoi ? Parce que les besoins inférieurs prennent le premier rang, et que le conquérant s’occupe de satisfaire de tels besoins. En sorte que la paix se fait par les lois de la nature sans éveiller de très vifs sentiments. »
Alain, selon Onfray, avoue son antisémitisme :
« Je voudrais bien, pour ma part être débarrassé de l’antisémitisme, mais je n’y arrive point, ainsi je me trouve avec des amis que je n’aime guère, par exemple Léon Blum. Je devrais oublier les remarques faciles. En réalité quand je lis avec indignation le mauvais style de Bergson, je n’oublie pas qu’il est juif, et en cela je me sens injuste. Il me semble qu’il faut être juif pour écrire aussi mal, et pour se présenter en même temps comme un bon écrivain. C’est peut-être qu’un Juif imite simplement le style ordinaire, je veux dire le style Boutroux, Jules Lachelier, etc., et arrive à faire aussi bien que ces messieurs ; il a la simplicité d’en être fier. »
En voilà assez, selon Onfray, pour « définitivement ruiner la réputation du philosophe », ce qu’il se targue d’avoir fait par ce petit livre facile. Regardez Onfray au milieu de cette orgie de journalopes et vous serez définitivement dégouté du personnage :
Bravo, Monsieur Onfray, encore un effort et vous aurez mérité votre fion de hamster. Vous avez trouvé le bon filon. Continuez d’éplucher les journaux intimes des grands écrivains. Je vous conseille par exemple celui d’André Gide. Vous y trouverez ceci, et sans doute bien davantage :
« Il me paraît que cette sorte de résolution de mettre continuellement en avant le Juif, de préférence, et de s’intéresser de préférence à lui, cette prédisposition à lui reconnaître du talent, voire du génie, vient de ce qu’un Juif est particulièrement sensible aux qualités juives. »
À mes yeux, votre petit livre a ruiné définitivement votre réputation.